Vous vous souvenez quand on vous disait à l’école que les grands voiliers avaient disparu avec l’arrivée des moteurs ? Eh bien quelqu’un a oublié d’envoyer le mémo à une poignée d’ingénieurs français un peu fous. Le 16 octobre dernier, un monstre de 136 mètres a quitté Saint-Nazaire poussé presque exclusivement par le vent. Et moi, j’étais à bord. Franchement, je n’y croyais qu’à moitié avant de voir ces immenses voiles se déployer toutes seules comme dans un film de science-fiction.
Le vent revient en force dans la marine marchande
Ce n’est pas un bateau de plaisance agrandi, ni un concept d’étudiant. C’est un vrai cargo, capable de transporter 1 200 conteneurs ou 8 000 tonnes de marchandise, qui a décidé que le fuel lourd, c’était has-been. Son nom ? Neoliner Origin. Et croyez-moi, quand vous le voyez pour la première fois, vous restez scotché.
Je me souviens encore de l’arrivée à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les habitants ralentissaient en voiture, les gamins collaient leur nez aux vitres. Un bateau de cette taille avec des mâts en carbone qui dépassent toutes les maisons de l’île, ça ne passe pas inaperçu. Et pourtant, c’est bien réel.
Un géant qui danse avec le vent
136 mètres de long, 22 mètres de large, deux mâts de 60 mètres de haut. Les chiffres donnent le vertige. Mais le plus impressionnant, ce sont ces voiles rigides en fibre de verre, un peu comme des ailes d’avion géantes posées à la verticale. Elles pivotent toutes seules, s’orientent en fonction du vent, se replient en cas de tempête. Le tout piloté par un ordinateur qui fait passer les systèmes des vieux gréements pour des jouets.
L’équipage ? Seulement 14 personnes. À titre de comparaison, un porte-conteneurs classique de même taille embarque souvent le double. Moins de monde, moins de consommation, moins d’émissions. La logique est brutale et magnifique à la fois.
« On a réduit de 80 % la consommation de carburant sur les premiers essais, parfois même 100 % quand le vent est avec nous. »
Un des officiers à bord, encore ébahi lui-même
L’Atlantique ne fait pas de cadeaux
Traverser l’Atlantique en voilier, même ultra-moderne, ça reste une aventure. Quelques jours après le départ, la grande voile arrière s’est pris un coup de vent un peu trop franc. Résultat : une déchirure de plusieurs mètres en haut du triangle. Rien de dramatique, la structure a tenu, mais ça rappelle vite que la nature reste le patron.
À Saint-Pierre, pendant que les habitants prenaient des selfies, les techniciens ont décroché la têtière abîmée avec une grue. Réparation dans la cale, puis on repart. C’est ça aussi, la nouvelle marine marchande : high-tech oui, mais avec les pieds dans le réel et le sel dans les cheveux.
Pourquoi maintenant ? Parce qu’on n’a plus le choix
Le transport maritime, c’est 3 % des émissions mondiales de CO2. Dit comme ça, ça paraît peu. Sauf que c’est plus que tout le trafic aérien mondial réuni. Et avec l’explosion du e-commerce, le fret maritime continue d’augmenter. Si on ne fait rien, en 2050 ce sera 17 %. Intenable.
Les solutions ? Hydrogène, ammoniac, méthanol… tout ça existe, mais c’est cher, compliqué, et ça demande des infrastructures qui n’existent pas encore partout. Le vent, lui, il est gratuit, disponible partout, et il ne demande qu’à pousser.
- 80 à 100 % de réduction de carburant selon les conditions
- Retours d’expérience déjà validés sur des prototypes plus petits
- Coût d’exploitation prévu 20 à 30 % inférieur sur certaines lignes
- Retour sur investissement estimé entre 7 et 10 ans
Et là, je vous vois venir : « Oui mais quand il n’y a pas de vent ? » Bonne question. Le bateau a des moteurs diesel-électriques en backup. Mais l’idée, c’est de les utiliser le moins possible. Sur la traversée que j’ai faite, on a parfois roulé à 14 nœuds rien qu’avec le vent. C’est énorme pour un cargo.
Ce que ça change concrètement pour les marchandises
On va être honnête : ces voiliers ne remplaceront pas les mastodontes de 400 mètres qui traversent le Pacifique à 25 nœuds. Pas tout de suite. Par contre, sur les lignes transatlantiques, caraïbes, ou même certaines routes africaines, là où les distances sont raisonnables et les vents souvent favorables, c’est parfait.
Et pour le client final ? Certains sont prêts à payer un peu plus cher pour un transport moins polluant. Pas tous, soyons réalistes. Mais de plus en plus. Les grandes marques qui communiquent sur leur bilan carbone adorent. Et quand la réglementation va se durcir (et elle va se durcir), ceux qui auront pris les devants seront tranquilles.
Et demain ? Une flotte entière en vue
Le Neoliner Origin n’est que le premier. Quatre autres sister-ships sont déjà commandés. D’autres projets sortent de terre partout : Grain de Sail en France, TOWT, EcoClipper aux Pays-Bas, Oceanbird en Suède… Même des géants comme Airbus testent des voiles sur leurs propres navires.
On assiste à une vraie renaissance. Pas par nostalgie des clippers du XIXe siècle, mais parce que la physique est têtue : le vent reste l’énergie la plus propre, la plus abondante et la moins chère qui existe en mer.
« Dans dix ans, voir un cargo sans voiles sur certaines routes paraîtra aussi ringard que de voir une voiture sans ceinture de sécurité aujourd’hui. »
Un ingénieur du projet, sourire en coin
Je ne sais pas si ça ira aussi vite. Mais une chose est sûre : j’ai vu de mes yeux un cargo de 136 mètres traverser l’Atlantique poussé par le vent, avec des conteneurs pleins dans les cales. Et ça, personne ne pourra plus me l’enlever.
La marine marchande remet les voiles. Et cette fois, ce n’est pas un retour en arrière. C’est un bond en avant.
Alors oui, il reste des défis : la fiabilité des systèmes automatiques, l’optimisation des routes météo, la formation des équipages. Mais quand vous êtes sur le pont, le vent dans le dos, le silence presque total sauf le bruit des vagues… vous comprenez que ça valait le coup de rêver un peu fou.
Le futur du transport maritime ne sent plus seulement le fuel. Il sent à nouveau le sel et la liberté.
