Vous arrive-t-il parfois, au bureau, d’ouvrir le frigo commun pour chiper un yaourt oublié ou un reste de gâteau d’anniversaire ? La plupart du temps, personne n’y trouve rien à redire. Sauf en Corée du Sud, apparemment, où une simple fringale peut vous valoir presque deux ans de galère judiciaire pour… 60 centimes d’euro de biscuits.
Cette histoire, aussi dingue qu’elle puisse paraître, s’est réellement déroulée ces dernières années et vient de connaître son épilogue. Un sous-traitant, employé par une société de logistique, a été acquitté après une bataille juridique interminable. Et franchement, quand on découvre les détails, on se demande si on n’est pas tombé dans une dimension parallèle où la justice a perdu tout sens des proportions.
Quand deux gâteaux deviennent un « vol qualifié »
Tout commence un matin comme un autre. L’homme travaille tôt, la faim le tenaille, il ouvre le réfrigérateur réservé aux employés de l’entreprise principale. Dedans, il trouve de quoi calmer son estomac : une petite pâtisserie à la crème et un célèbre Choco Pie, ce biscuit fourré au marshmallow adoré dans tout le pays. Valeur totale : 1 050 wons. À peine plus de 60 centimes.
Pour lui, c’est un geste anodin. Pour l’entreprise, c’est un crime. Seuls les salariés en CDI de la boîte ont le droit, selon elle, de se servir dans ce frigo. Les sous-traitants, eux, doivent apparemment jeûner ou apporter leur gamelle. La direction porte plainte pour vol.
Oui, vous avez bien lu : plainte déposée. Pour deux gâteaux.
« Il avait juste eu faim tôt un matin »
– L’avocat du prévenu, à l’issue du verdict final
Un parcours judiciaire complètement démesuré
Le parquet, conscient que l’affaire est minuscule, propose une procédure simplifiée. Mais l’employé refuse de plaider coupable. Il clame son innocence et exige un vrai procès. Erreur ou acte de courage ? Les deux, probablement.
En première instance, le tribunal le condamne. Amende : 50 000 wons. Autrement dit presque 50 fois la valeur des biscuits. Une sanction qui fait déjà grincer des dents, mais qui reste dans le domaine du possible dans un système où l’image de l’entreprise prime souvent sur le bon sens.
L’homme fait appel. Et là, les choses prennent une tournure inattendue.
39 témoins pour sauver deux biscuits
Durant le procès en appel, la défense sort l’artillerie lourde. Pas moins de 39 sous-traitants viennent témoigner. Tous avouent, la main sur le cœur, ouvrir régulièrement le frigo quand la dalle est trop forte. Certains disent même que des responsables fermaient les yeux, voire encourageaient à « grignoter un truc » pour tenir le rythme.
- Des collègues confirment que le frigo était considéré comme « commun » dans les faits
- Plusieurs responsables hiérarchiques admettent ne jamais avoir interdit formellement l’accès aux sous-traitants
- Des messages internes montrent même des invitations à se servir lors de pauses
Face à ce déferlement de témoignages, la cour d’appel finit par conclure qu’il est impossible de prouver une intention criminelle. L’homme est acquitté. Après presque deux années de procédure pour… deux gâteaux.
Le parallèle avec Jean Valjean qui a enflammé le pays
Dès que l’affaire a commencé à fuiter dans les médias et sur les réseaux, les Coréens ont immédiatement fait le lien avec Les Misérables de Victor Hugo. L’histoire de Jean Valjean, condamné à cinq ans de bagne pour avoir volé une miche de pain afin de nourrir ses neveux affamés, est revenue en boucle.
Sur les forums, dans les syndicats, partout, on a commencé à parler du « Jean Valjean du Choco Pie ». Les commentaires étaient cinglants :
« On est en 2025 et on traîne quelqu’un en justice pendant deux ans parce qu’il avait faim ? C’est ça, le progrès ? »
Les syndicats, eux, y ont vu une illustration parfaite de la précarité des sous-traitants dans l’industrie coréenne. Horaires interminables, pression constante, et maintenant l’impossibilité de calmer une petite faim sans risquer sa réputation et son casier judiciaire.
Une rigidité culturelle qui dépasse l’entendement
Il faut comprendre le contexte. En Corée du Sud, la hiérarchie au travail est quasi militaire. Les règles, même les plus absurdes, sont sacrées. Refuser d’obéir, même pour une broutille, peut être perçu comme une attaque personnelle contre l’autorité.
Ajoutez à cela une culture où l’image de l’entreprise passe avant le bien-être des individus – surtout quand ces individus sont des sous-traitants, considérés comme du personnel « jetable » – et vous obtenez le cocktail explosif qui a transformé deux biscuits en affaire d’État.
Moi, ce qui me sidère, c’est le temps et l’énergie dépensés. Des juges, des greffiers, des avocats, des témoins… Tout ça pour 60 centimes. Pendant ce temps, des affaires bien plus graves traînent parfois des années sans avancer. Cherchez l’erreur.
Les leçons à tirer d’une histoire complètement folle
Cette affaire, aussi rocambolesque soit-elle, met en lumière plusieurs problèmes de fond :
- La précarité alimentaire au travail : des employés qui commencent à 5h du matin sans avoir le droit de grignoter, vraiment ?
- Le statut des sous-traitants : considérés comme des citoyens de seconde zone, même pour un frigo
- La rigidité du système judiciaire : prêt à mobiliser des ressources folles pour des faits dérisoires
- Et surtout, une question de bon sens : à partir de quel moment arrête-t-on de poursuivre des gens pour des peccadilles ?
Depuis l’acquittement, certains observateurs espèrent que cette histoire fera jurisprudence. Que les entreprises réfléchiront à deux fois avant de porter plainte pour des broutilles. Que les tribunaux refuseront plus souvent ce genre de dossiers. On peut toujours rêver.
Et nous, en Europe, on est à l’abri ?
On aurait tendance à ricaner en se disant « ça ne pourrait arriver qu’en Asie ». Et pourtant… Qui n’a pas entendu parler de salariés sanctionnés pour avoir pris un stylo, une ramette de papier ou même pour avoir utilisé les toilettes « réservées aux cadres » ?
La différence, c’est que chez nous, on porte rarement plainte au pénal pour si peu. Mais la logique est la même : une règle absurde, une hiérarchie susceptible, et un employé qui paie cher une faute vénielle.
Cette histoire coréenne nous renvoie une image déformée mais révélatrice de nos propres excès. Elle nous rappelle que la dignité au travail, c’est aussi pouvoir calmer sa faim sans risquer de tout perdre.
Finalement, l’homme a été blanchi. Il a récupéré sa tranquillité – ou du moins ce qu’il en reste après deux ans de stress. Les deux biscuits, eux, ont probablement été mangés depuis longtemps. Mais l’histoire, elle, continue de faire réfléchir. Et c’est peut-être le plus beau cadeau que ce « Jean Valjean moderne » pouvait nous laisser.
Parce qu’au fond, derrière l’absurde, il y a une vérité brutale : dans certains systèmes, la faim n’est pas une excuse. Elle est un crime.
