Vous avez déjà retrouvé votre scooter complètement nu un matin en descendant chercher votre pain ? Si vous habitez Paris ou que vous bossez à La Défense, la probabilité n’est pas nulle. Et pendant quelques semaines, un seul homme a fait trembler des centaines de propriétaires de deux-roues. On l’appelait « Jésus » dans le milieu. Drôle de surnom pour quelqu’un qui dépouillait les machines comme on pille une tombe.
Entre septembre et début novembre, ce gars de 28 ans a opéré à une cadence presque industrielle. Et quand je dis industrielle, je n’exagère pas : les enquêteurs lui attribuent au minimum vingt-cinq faits, mais ils savent très bien que le chiffre réel est probablement plus élevé. Le préjudice ? Plus de cinquante mille euros pour les victimes directes, et près de quatre-vingt-douze mille euros encaissés par le voleur grâce à la revente express des pièces. Chiffres fous pour des « petits » larcins, non ?
Un mode opératoire rodé au millimètre
Ce qui frappe d’abord, c’est la précision chirurgicale. Pas de casse gratuite, pas de scooters brûlés pour faire joli. Non, lui, il arrivait, il ouvrait, il prélevait ce qui l’intéressait et il refermait même parfois derrière lui. Selle, batterie lithium, variateur, ECU, carénages siglés… Tout ce qui vaut cher et pèse peu partait dans le sac.
Quinze minutes maximum par machine. Parfois moins. Les propriétaires retrouvaient leur engin sur place, mais vidé comme une coquille d’escargot après le passage d’un gourmet. Et le pire ? Beaucoup ne se rendaient compte de rien avant d’essayer de démarrer. Batterie HS, plus de selle, plus rien sous la main.
« À la limite de la kleptomanie », ont lâché les enquêteurs qui ont suivi l’affaire. Le type semblait incapable de s’arrêter.
Et effectivement, il enchaînait. Nuit après nuit. Quartier Opéra, Bastille, République, puis La Défense quand Paris commençait à être trop chaude. Il connaissait les rues où les caméras sont aveugles, les parkings souterrains où les gardiens dorment, les horaires où les patrouilles passent… Un vrai professionnel du vol furtif.
La machine à cash des plateformes de seconde main
Ce qui rend l’histoire encore plus dingue, c’est la facilité avec laquelle il écoulait la marchandise. Des sites bien connus du grand public, ceux où vous avez déjà vendu un vieux canapé ou acheté un vélo d’occase. Lui, il postait des selles Yamaha T-Max à 350 €, des batteries neuves à moitié prix, des kits carénage complets « sortis d’un scooter accidenté »… Et ça partait en quelques heures.
Parfois il créait plusieurs comptes, changeait les photos de fond, effaçait les numéros de série visibles. Mais globalement, il ne se cachait même pas trop. Pourquoi faire ? La plupart des acheteurs ne posent pas de questions quand le prix est 40 % en dessous du marché.
- Une batterie lithium 2024 vendue 380 € au lieu de 850 €
- Un ECU débridé à 420 € (prix neuf : 1 200 €)
- Des jantes complètes avec disques à 550 € la paire
- Des selles chauffantes encore tièdes de la veille…
En deux mois, le compteur a explosé. Quatre-vingt-douze mille euros. De quoi se payer une très belle voiture neuve, ou plusieurs années de loyer parisien. Tout ça avec une simple clé à molette et un tournevis Torx.
Comment il s’est fait prendre (et pourquoi si tard)
Comme souvent, c’est l’avidité qui perd. À force de poster des dizaines d’annonces par semaine, il a fini par attirer l’attention d’un motard particulièrement énervé qui avait reconnu sa selle sur une photo. Numéro de série encore visible sur un autocollant. Le genre de détail qui ne trompe pas.
Plainte, signalement sur les plateformes, puis enquête express. Les policiers ont vite fait le lien entre plusieurs affaires qui traînaient depuis des semaines. Et quand ils ont débarqué chez lui, ils sont tombés sur un véritable entrepôt : pièces empilées partout, emballages prêts à être expédiés, trois imprimantes pour les étiquettes Colissimo… Une petite entreprise du crime.
Un complice logistique l’aidait à gérer les envois. Lui se chargeait du « terrain ». Binôme parfait, jusqu’au jour où tout s’est effondré.
Le profil du voleur : entre génie et pathologie
Ce qui intrigue les enquêteurs, c’est le profil. Pas le classique délinquant en galère qui vole pour manger. Non, un gars structuré, organisé, qui aurait très bien pu monter une vraie boîte de préparation scooter. Il connaissait chaque modèle sur le bout des doigts, savait exactement quelle pièce vaut quoi, comment la démonter sans l’abîmer.
Mais il y avait cette pulsion. Cette incapacité à s’arrêter. Les policiers parlent d’un comportement « limite kleptomaniaque ». Il volait même quand il n’avait plus besoin d’argent. Juste parce que l’occasion était là et que ça lui procurait quelque chose. Une adrénaline ? Un sentiment de puissance ? Difficile à dire.
« Il était fier de son savoir-faire. Il nous a expliqué ses techniques comme s’il donnait un cours », a confié un enquêteur dépité.
Et les victimes dans tout ça ?
Elles, elles restent avec la rage. Parce que même quand le voleur est arrêté, l’assurance rembourse rarement la totalité (franchise, décote, pièces détachées non couvertes…). Et retrouver un scooter en état prend des mois.
Certains ont dû racheter une machine neuve. D’autres ont tout simplement abandonné le deux-roues motorisé. « Trop risqué à Paris », disent-ils. Et on les comprend.
Ce que cette affaire dit de notre société
Franchement, cette histoire est un miroir grossissant de plein de choses qui clochent.
- La valeur folle que prennent certaines pièces de scooter (une batterie de T-Max coûte plus cher qu’un moteur de Clio d’occasion…)
- La facilité déconcertante à revendre du matériel volé sur des plateformes grand public
- L’impuissance relative des forces de l’ordre face à une délinquance ultra-mobile et spécialisée
- Et surtout, cette zone grise où des milliers d’acheteurs profitent, souvent sans le savoir, du fruit de vols
Car oui, derrière chaque pièce vendue à -50 %, il y a presque toujours une victime. Et on est tous un peu complices quand on clique « acheter » sans poser de questions.
Épilogue judiciaire
Le dossier a été renvoyé au 15 janvier. « Jésus » et son complice ont été placés en détention provisoire. Vu le nombre de faits, la récidive et le montant du préjudice, la peine risque d’être lourde. Peut-être la fin d’une carrière fulgurante dans le vol de deux-roues.
Mais dans six mois, un autre prendra probablement la relève. Parce que tant qu’il y aura des scooters hors de prix garés dans la rue et des acheteurs prêts à faire de bonnes affaires, le business continuera.
Triste constat, mais réalité.
Et vous, vous attachez encore votre scooter avec un simple antivol de direction ? Peut-être qu’il serait temps de réfléchir à un vrai U dernière génération et à une bonne alarme. Parce que « Jésus » est derrière les barreaux… mais ses disciples, eux, roulent encore dans Paris.
