Il y a des victoires qui laissent un goût amer. Samedi soir au Stade de France, le XV de France a bien battu l’Australie 48 à 33, sept essais à cinq, un score presque fleuve qui aurait dû faire jubiler tout le monde. Pourtant, en quittant le terrain, on sentait déjà que quelque chose clochait. Et puis Fabien Galthié a parlé. Et là, plus de doute possible.
« Nous sommes moins forts qu’avant » : la phrase qui résonne
Il n’a pas cherché à enrober la pilule. Devant les micros, le sélectionneur a été d’une franchise brutale : « Si je remonte à 2021, nous sommes moins forts qu’avant, moins en place ». Venant de l’homme qui avait construit la machine à gagner la plus impressionnante du rugby français depuis vingt ans, ça fait l’effet d’un uppercut.
Reprenons un peu le contexte. Entre 2019 et 2022, les Bleus enchaînaient les séries folles : Grand Chelem en 2022, 14 victoires consécutives à un moment, un ratio de 24 succès en 26 matchs. On se pinçait pour y croire. Et puis patatras : le quart de finale perdu d’un point face à l’Afrique du Sud au Mondial 2023, la tournée de novembre 2024 déjà compliquée, et maintenant cette tournée 2025 qui se termine sur un bilan mitigé de deux victoires (Japon, Australie) et une défaite lourde contre les Springboks.
« On a encaissé cinq essais. Les règles favorisent la position offensive mais il y a quelque chose de récurrent que l’on n’a pas rectifié : c’est la maîtrise quand on n’a pas le ballon. »
Fabien Galthié, après France-Australie
Une défense en carton : le vrai cancer
Cinq essais encaissés contre les Wallabies, ce n’est pas un accident. C’est une habitude qui s’installe. Contre le Japon déjà, on avait pris trois essais évitables. Contre l’Afrique du Sud, quatre. Sur la tournée, ça fait douze essais encaissés en trois matchs. Pour une équipe qui se voulait la meilleure défense du monde il y a encore deux ans, c’est une chute vertigineuse.
Le problème ? Trop de fautes, trop de cartons (deux jaunes contre l’Australie), une agressivité mal canalisée, et surtout une incapacité chronique à ralentir le ballon adverse au sol. Résultat : les Australiens ont joué à la baballe dans notre camp comme chez eux pendant de longues minutes.
Et pourtant, paradoxe, l’attaque fonctionne plutôt bien. Sept essais marqués, des mouvements fluides, Louis Bielle-Biarrey qui met le feu sur son aile, Thomas Ramos qui régale au pied et en percussion. Mais quand tu marques 48 points et que tu en prends 33 derrière, tu n’es jamais tranquille. Le rugby moderne ne pardonne plus ça.
Les raisons d’une régression : pas seulement les blessures
On pourrait tout mettre sur le dos des absences. Oui, il manque des cadres historiques. Oui, la nouvelle génération met du temps à s’installer. Mais Galthié refuse cette excuse facile. Il parle plutôt d’un collectif « moins en place », d’une équipe qui a perdu ses automatismes, ses repères défensifs, sa discipline.
- Moins de temps de jeu ensemble à cause du calendrier infernal Top 14 / Europe
- Un turnover important (retraite de certains, blessures longues durée)
- Des jeunes très talentueux mais encore tendres sur l’intensité internationale
- Une usure mentale après l’échec du Mondial 2023 à domicile
Le sélectionneur le dit lui-même : les joueurs qui reviennent de blessure longue (comme certains cadres actuels) ont paradoxalement plus de fraîcheur physique que ceux qui enchaînent les matchs depuis trois ans. C’est tout le paradoxe de cette équipe : elle est à la fois jeune et usée.
Le classement World Rugby : la menace réelle
Autre sujet qui inquiète : la place de la France au ranking. Actuellement 5es ou 6es, les Bleus risquent de sortir du top 4 et donc de ne pas être tête de série pour le tirage au sort du Mondial 2027. Pourquoi ? Tout simplement parce que la plupart des grandes nations disputent plus de test-matchs qu’eux pendant la période de calcul.
Irlande, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Argentine… tout le monde joue plus. Nous, on reste bloqués sur nos trois matchs de novembre plus le Tournoi des 6 Nations. Résultat : même en gagnant tout jusqu’en 2027, on pourrait se retrouver dans une poule de la mort. Et là, bonjour les quarts dès la phase de poules potentiellement.
17 matchs pour se reconstruire : le compte à rebours est lancé
Galthié a été clair : il reste 17 test-matchs avant la Coupe du monde 2027 en Australie. 17 matchs pour retrouver une identité, une solidité, une cohésion. C’est peu. C’est énorme aussi. Tout dépend du point de vue.
Le positif ? Cette crise arrive tôt. On a le temps de corriger. On a encore les meilleurs joueurs du monde (Dupont, Ntamack quand il reviendra, Alldritt, Baille, Marchand…). On a un staff qui a déjà prouvé qu’il savait rebondir.
Mais il va falloir être honnête avec soi-même. Arrêter de se cacher derrière les « c’est une période de transition ». Remettre les bases. Retravailler la défense comme des malades. Réapprendre à gagner les matchs moches. Parce que les grandes équipes ne gagnent pas toujours en marquant 50 points.
Et maintenant ?
Le Tournoi des 6 Nations 2026 arrive vite. Ce sera le vrai test. Face à l’Irlande à Dublin, face à l’Angleterre à Twickenham, face au Pays de Galles qui se reconstruit… il n’y aura plus d’excuse. Soit les Bleus montrent qu’ils ont compris la leçon, soit la spirale négative risque de s’installer durablement.
Personnellement, je reste optimiste. Ce groupe a déjà connu des moments très compliqués (2020-2021) avant d’exploser. Galthié a cette capacité rare à transformer la crise en électrochoc. Mais il va falloir que tout le monde – joueurs, staff, clubs – tire dans le même sens. Et vite.
Parce que dans deux ans, en Australie, il n’y aura plus de « on est en reconstruction ». Il y aura juste la Coupe du monde. Et là, personne ne voudra se souvenir qu’on avait prévenu dès novembre 2025 que ça sentait le roussi.
Le rugby français a cette particularité : il adore se faire peur. Espérons juste qu’on ne se réveillera pas trop tard.
