Imaginez un peu la scène : un type condamné à vingt ans pour trafic de stupéfiants, tranquillement installé dans sa cellule, qui passe un coup de fil pour ordonner un règlement de comptes à Marseille. Le tout avec un smartphone dernier cri, entré on ne sait trop comment. Ça vous semble dingue ? Pourtant, c’est le quotidien de certaines prisons françaises. Et visiblement, ça commence à sérieusement agacer tout le monde en haut lieu.
Ce vendredi matin, le ministre de la Justice a décidé de frapper un grand coup. Direction la prison de la Santé, à Paris, pour annoncer le lancement immédiat d’un dispositif baptisé sobrement « zéro portable ». L’objectif ? Rendre six établissements pénitentiaires totalement étanches aux téléphones mobiles. Et quand on dit « immédiatement », c’est vraiment tout de suite : les premières mesures démarrent dès aujourd’hui.
Un plan à 30 millions d’euros qui sent la poudre
Trente millions d’euros. C’est la première enveloppe débloquée pour cette expérimentation grandeur nature. Six prisons ont été choisies, pas forcément les plus tranquilles : la Santé à Paris, Arras, Toulouse et trois autres sites où, selon les termes employés sur place, balancer téléphones et drogue par-dessus les murs est presque devenu un sport local.
Le calendrier est serré : les travaux de sécurisation doivent être bouclés en moins de sept mois. Sept mois pour transformer des établissements poreux en forteresses numériques, c’est ambitieux. Voire un peu fou, quand on connaît le rythme habituel des chantiers publics. Mais bon, quand la volonté politique est là…
Les armes high-tech du ministère
Alors concrètement, on installe quoi ? Trois grandes familles d’équipements vont débarquer :
- Des brouilleurs dernière génération capables de couper tous les signaux mobiles dans l’enceinte (et seulement là, pour éviter les recours des riverains).
- Des scanners corporels pour les paquetages et les visiteurs – fini les caches dans les couches des bébés ou les semelles de chaussures.
- Des portiques à ondes millimétriques, le même genre de technologie qu’on trouve dans les aéroports, mais en version prison. Apparemment, il était plus facile de rentrer en taule avec un téléphone que de prendre l’avion. Ça pose question.
Le ministre a été clair : le coût des brouilleurs tourne entre quatre et cinq millions d’euros par établissement. Autant dire que ça ne rigole pas. Et pour les cours de promenade, où les « projections » (ces paquets lancés par-dessus les murs avec une précision de tireur d’élite) sont légion, la couverture intégrale est prévue pour 2026.
Pourquoi maintenant ?
La goutte d’eau, c’est évidemment l’assassinat récent d’un jeune à Marseille, commandité selon toute vraisemblance depuis une cellule. Quand on réalise que certains chefs de réseau continuent de gérer leur business comme s’ils étaient en vacances, on comprend l’urgence.
Derrière les téléphones, il y a les ordres d’exécution, les intimidations de témoins, le trafic qui continue, les comptes qui se règlent. Un portable en prison, ce n’est pas juste Instagram et Candy Crush. C’est parfois une question de vie ou de mort à l’extérieur.
Il faut empêcher des chefs de réseau de commander des assassinats depuis leur cellule.
– Le ministre, sans détour
La phrase est lourde, mais elle résume tout. On n’est plus dans le petit confort du détenu. On est dans la sécurité nationale.
1000 agents supplémentaires : le plus gros recrutement de l’État
Et parce qu’on ne fait pas de la haute sécurité avec des bouts de ficelle, le plan s’accompagne d’un recrutement massif : 1000 agents pénitentiaires en plus l’année prochaine. C’est, paraît-il, le plus important de toutes les administrations publiques. Ça donne une idée de la priorité accordée au sujet.
Car installer des brouilleurs et des portiques, c’est bien. Mais il faut aussi des yeux, des oreilles, des bras pour fouiller, contrôler, surveiller. Sans personnel en nombre, la plus belle technologie du monde ne sert à rien.
Et ça va vraiment marcher ?
Question légitime. On a déjà vu des plans grandioses se casser la figure sur la réalité du terrain. Les drones qui survolent les prisons ? Déjà là. Les filets anti-projection ? Installés dans certains endroits, mais jamais assez hauts ou assez solides. Les téléphones continuent de pleuvoir.
Alors oui, les brouilleurs nouvelle génération semblent efficaces. Oui, les portiques à ondes millimétriques détectent à peu près tout. Mais il restera toujours des esprits créatifs. Des visites sans contact où on passe les puces par la bouche. Des avocats corrompus (ça existe, hélas). Des gardiens qui ferment les yeux. La prison, c’est un microcosme où l’ingéniosité est sans limite quand il y a de l’argent à la clé.
Et puis il y a la question des droits. Certains vont crier à la surveillance généralisée, au traitement inhumain. Couper le téléphone, c’est aussi couper un lien avec la famille pour ceux qui n’ont rien à se reprocher. Le débat est ouvert.
Un modèle italien en ligne de mire
Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas sorti de nulle part. Le ministre l’a dit : on s’inspire ouvertement de la loi anti-mafia italienne. Là-bas, le régime 41-bis a permis de couper les ailes à la Cosa Nostra et à la Camorra. Isolement total, communications ultra-filtrées, brouillage systématique. Résultat ? Les parrains ne dirigent plus grand-chose depuis leur trou.
Est-ce qu’on va jusqu’au 41-bis à la française ? Pas encore. Mais on sent que l’idée fait son chemin. Quand la criminalité organisée menace la société entière, les demi-mesures ne suffisent plus.
Et après les six prisons ?
Si l’expérimentation fonctionne – et tout le monde croise les doigts –, l’étape suivante est évidente : généralisation. On parle déjà de dizaines d’établissements prioritaires. À terme, l’ensemble du parc pénitentiaire pourrait être concerné. Ce qui représenterait un investissement colossal. Mais quand on voit le coût humain et financier du narcotrafic, ça se discute.
Ce plan « zéro portable », c’est peut-être le début d’une petite révolution dans la façon dont on conçoit la prison en France. Moins permissive, plus technologique, plus dure. Certains applaudiront. D’autres grinceront des dents. Mais une chose est sûre : on vient d’entrer dans une nouvelle ère.
Et quelque part, entre deux murs d’enceinte, un téléphone vient probablement de sonner pour la dernière fois.
À suivre, évidemment. Parce que dans ce genre de bras de fer entre l’État et les réseaux criminels, il n’y a jamais de vainqueur définitif. Juste des rounds. Et celui-ci vient à peine de commencer.
