Vous êtes-vous déjà retrouvé en décembre, les pieds dans le sable tiède, à vous demander si votre calendrier n’avait pas tout simplement trois mois d’avance ? Moi oui, la semaine dernière, sur la grande plage de Saint-Jean-de-Luz.
Le thermomètre affichait 19,8 °C à l’ombre. Des gamins construisaient des châteaux de sable en short, un retraité lisait son journal torse nu, et une mamie trempait tranquillement ses pieds dans l’Atlantique comme si on le fait début mai. J’ai même croisé un serveur qui me confiait, tout sourire : « Hier on a fait terrasse non-stop de midi à 17 heures, du jamais vu à cette période ! »
Un air d’avril en plein hiver basque
Cette année, le Pays Basque a décidé de zapper l’hiver, ou du moins de le reporter à une date ultérieure. Depuis plusieurs jours, les températures flirtent avec les 20 °C sur la côte, parfois plus dans l’intérieur. Les records tombent presque quotidiennement : Biarritz, Bayonne, Hendaye, Saint-Jean-de-Luz… partout le même scénario.
Les écoles sortent les enfants en short pour la récré, les vélos roulent sans gants, et les terrasses des cafés affichent complet dès 11 heures du matin. Même les surfeurs, pourtant habitués à braver le froid, avouent qu’ils n’ont jamais connu une eau aussi clémente en décembre.
« Franchement, je n’ai pas sorti le bonnet une seule fois depuis quinze jours. C’est agréable, mais c’est bizarre… »
– Maxime, papa de deux enfants et habitant Ciboure
L’été de la Saint-Martin… version XXL
Beaucoup de locaux haussent les épaules : « C’est l’été de la Saint-Martin, on a toujours ça ici. » Et c’est vrai que cette douceur automnale tardive a un nom depuis des siècles dans le sud-ouest. Sauf que d’habitude, elle dure quelques jours et culmine à 15-16 °C.
Cette fois, on parle de presque trois semaines à plus de 18 °C, avec des pointes à 22-23 °C certains après-midis. Même les plus anciens avouent qu’ils n’ont pas vu ça depuis très longtemps, voire jamais avec une telle durée.
Et puis il y a ceux qui froncent les sourcils. Luce, 40 ans de Pays Basque dans les jambes, me confiait sur la digue : « On a des hivers doux, ok. Mais là, on passe de la pluie et 8 °C la semaine dernière à 21 °C cette semaine. C’est violent pour la nature, pour les cultures, pour tout… »
Les touristes déboussolés (et ravis)
Les visiteurs, eux, ne se posent pas tant de questions. Un couple de Madrid que j’ai croisé place Louis-XIV sirotait un café en manches courtes :
« On est venus pour le marché de Noël… et on a laissé tous nos pulls à l’hôtel ! On ne s’attendait pas à ça du tout. »
Les hôtels affichent des taux de remplissage dignes du mois d’août pour ce pont de décembre, les restaurants font des services continus, et même les chalets de Noël vendent… des crêpes et des glaces à côté des traditionnelles tartiflettes.
Un serveur du centre-ville m’a glissé, mi-amusé mi-fatigué : « On a fait plus de couverts ce week-end qu’un samedi de juillet l’année dernière. Les gens restent dehors jusqu’à 22 heures, c’est complètement fou. »
Un océan à température de bain
Le plus impressionnant reste l’eau. Habituellement autour de 12-13 °C en décembre, l’Atlantique frôle cette année les 16-17 °C sur la côte basque. Résultat : des dizaines de baigneurs chaque jour.
J’ai vu des familles entières se jeter à l’eau, des groupes d’amis faire des pique-niques sur la plage comme en plein été, et même des retraités faire leur marche aquatique quotidienne en souriant jusqu’aux oreilles.
- Des enfants qui construisent des châteaux de sable en décembre
- Des serveurs qui courent en t-shirt entre les tables en terrasse
- Des surfeurs qui sortent de l’eau… sans frissonner
- Des touristes qui prennent des selfies en débardeur devant la mer
C’est à la fois magique et un peu inquiétant.
Et derrière la carte postale…
Parce que oui, c’est magnifique de pouvoir se balader en t-shirt en décembre. Mais cette douceur a un goût étrange quand on sait que les Alpes n’ont presque plus de neige en dessous de 2 500 m, que les agriculteurs s’inquiètent pour les cultures, et que les stations de ski du Pays Basque intérieur tournent au ralenti.
Les vignerons de l’appellation Irouléguy observent déjà des bourgeons anormaux sur certaines parcelles. Les fruitiers risquent de débourrer trop tôt et de se faire piéger par un éventuel coup de gel en février. La nature est complètement déboussolée.
Et nous avec elle.
On profite, on savoure, on se dit que c’est incroyable… mais au fond, on sait tous que ce n’est pas normal. Cette parenthèse enchantée ressemble de plus en plus à un avertissement.
Alors oui, pour l’instant, le Pays Basque vit un rêve éveillé. Mais quand on voit les images des incendies en Californie ou des inondations ailleurs en Europe au même moment, on se demande combien de temps encore on pourra fermer les yeux en disant « c’est juste l’été de la Saint-Martin ».
En attendant, je vais aller marcher pieds nus sur le sable. Tant que c’est possible.
