Imaginez-vous vivre dans une cave sombre, entouré de murs humides, pendant plus de trois ans, tandis que les explosions résonnent au-dessus de votre tête. C’est la réalité quotidienne pour certains habitants de l’Est ukrainien, dans des villes comme Lyman, ravagées par un conflit qui semble sans fin. Pourtant, malgré la peur et la destruction, beaucoup refusent de quitter leurs foyers. Pourquoi ? C’est ce que j’ai cherché à comprendre, et leurs histoires m’ont profondément marqué.
Quand la guerre redessine la vie
Depuis l’invasion de 2022, le Donbass, région déjà fragilisée par des années de tensions, est devenu un champ de ruines. Les immeubles s’effondrent, les rues se vident, et les habitants, quand ils le peuvent, se réfugient dans des sous-sols pour échapper aux frappes. Ce n’est pas juste une question de survie : pour beaucoup, rester est un acte de défi, une manière de préserver un lien avec leur passé, leur identité. Mais à quel prix ?
Lidia, gardienne de son « paradis »
Prenez Lidia, une femme de 86 ans qui vit seule dans une cave à Lyman. Son appartement, comme une grande partie de sa ville, n’est plus qu’un souvenir. Pourtant, elle s’obstine à rester. Dans un couloir étroit qu’elle appelle sa cuisine, elle fait rissoler des oignons, comme pour défier l’odeur de moisissure qui imprègne les lieux. « C’est mon paradis », dit-elle avec une conviction qui force le respect. Mais derrière ce mot, il y a une vérité plus profonde : Lidia ne peut pas partir. Pas parce qu’elle manque de moyens, mais parce que son cœur est ancré ici, près du cimetière où repose son mari.
« Je veux être près de lui, et nulle part ailleurs. »
– Une habitante de Lyman
Ce refus de partir, je l’ai vu dans ses yeux. Ce n’est pas de l’entêtement aveugle, mais une forme de résistance intime. Lidia raye chaque jour sur un calendrier, comme un rituel pour conjurer le chaos. Sa cave, son fauteuil usé, son calendrier : ce sont les derniers fragments d’une vie qu’elle refuse d’abandonner.
Valentyna, entre trêves et espoirs
À quelques kilomètres de là, Valentyna, également 86 ans, partage cette même détermination. Évacuée vers Kiev il y a trois ans, elle est revenue dans sa ville, à seulement dix kilomètres du front. Pourquoi ? Des punaises de lit dans son logement temporaire à Kiev ont suffi à la convaincre. « Je suis un peu sourde, les explosions ne me dérangent pas », lance-t-elle, appuyée sur sa canne, avec un sourire désarmant. Elle croit dur comme fer que la paix arrivera bientôt, peut-être en mai. Cet optimisme, presque irréel, est-il une illusion ou une force vitale ?
Les brèves trêves décrétées récemment n’ont pas arrêté les combats, mais elles ont semé une lueur d’espoir chez certains. Pour Valentyna, c’est une raison de plus de rester. Elle n’est pas la seule à nourrir cet espoir fragile, mais les volontaires qui tentent d’évacuer les habitants savent que cet optimisme peut être dangereux.
Les défis de l’évacuation
Les équipes de secours, comme celles de la fondation East SOS, risquent leur vie pour convaincre les habitants de partir. Mais souvent, ils se heurtent à des refus. Edouard, 33 ans, raconte l’histoire d’une maison qu’il devait évacuer, réduite en cendres par une frappe avant son arrivée. « Parfois, on arrive trop tard », confie-t-il, la voix lourde. Son collègue Roman, lui, ne cache pas son indignation face à ceux qui s’accrochent à leurs ruines. « Je ne comprends pas », avoue-t-il, marqué par l’expérience d’avoir lui-même fui sa ville natale.
« Les gens veulent espérer, mais cet optimisme peut mener à la mort. »
– Un volontaire d’East SOS
Les autorités régionales multiplient les appels à l’évacuation, parfois obligatoire, surtout pour les familles avec enfants. Mais pour certains, partir revient à trahir leurs racines. D’autres, plus pragmatiques, craignent de ne pas pouvoir subvenir à leurs besoins ailleurs. Avec une allocation mensuelle de 43 euros pour un adulte et 65 euros pour un enfant, la vie dans une nouvelle région peut sembler hors de portée.
Pourquoi rester ?
Ce choix de rester, aussi incompréhensible qu’il puisse paraître, repose sur des raisons complexes. Pour certains, c’est une question de souvenirs : une maison construite de leurs mains, un cimetière où reposent des proches. Pour d’autres, c’est une méfiance envers l’inconnu. Et puis, il y a ceux, plus rares, qui attendent discrètement l’arrivée des forces adverses, espérant un changement de régime. Mais la majorité reste par attachement viscéral à leur terre.
- Attachement émotionnel : Les liens avec le passé, comme un conjoint décédé ou une maison familiale, sont plus forts que la peur.
- Crainte financière : Les allocations modestes ne suffisent pas toujours pour repartir de zéro ailleurs.
- Espoir de paix : Les rumeurs de trêve alimentent l’idée que tout pourrait bientôt s’arranger.
J’ai été frappé par cette résilience, qui frôle parfois l’absurde. Comment peut-on choisir de vivre dans une cave, sous la menace constante des bombes, plutôt que de chercher la sécurité ? Pourtant, en écoutant ces histoires, j’ai compris que pour eux, partir, c’est abandonner une partie de leur âme.
Des évacuations à répétition
Pour les équipes comme les Anges blancs, une unité de police spécialisée dans les évacuations, le travail est épuisant. Pavlo, l’un des membres, raconte devoir parfois déménager la même famille plusieurs fois. « Deux, trois, quatre fois », soupire-t-il. Certains, après avoir été évacués, reviennent dans leur ville, parfois au prix de leur vie. Une frappe peut tout balayer en un instant.
| Situation | Conséquences | Fréquence |
| Refus d’évacuation | Risques accrus de blessures ou décès | Fréquent |
| Retour après évacuation | Exposition répétée au danger | Occasionnel |
| Évacuation obligatoire | Résistance émotionnelle forte | Régulier |
Ce cycle d’évacuations et de retours semble sans fin. Pourtant, il arrive que les équipes réussissent à convaincre. Pavlo raconte l’histoire d’une femme à Pokrovsk, une ville sous des tirs constants. Elle refusait de partir, jusqu’à ce qu’on lui montre une vidéo de sa sœur, qu’elle n’avait pas vue depuis dix ans. En quelques minutes, elle a fait ses valises. Ce genre de victoire, rare, rappelle que l’espoir peut parfois triompher.
Un optimisme à double tranchant
Les rumeurs de paix, les trêves éphémères, tout cela alimente un optimisme qui peut être fatal. « Pourquoi partir si tout semble calme ? », demandent certains habitants aux volontaires. Mais ce calme est trompeur. Une maison intacte un jour peut être détruite le lendemain. Roman, le volontaire, parle d’un optimisme mortel. Pourtant, cet espoir, aussi fragile soit-il, est ce qui permet à beaucoup de tenir.
En repensant à Lidia et Valentyna, je me demande si leur obstination est une forme de courage ou un refus de voir la réalité. Peut-être un peu des deux. Leur vie, réduite à quelques mètres carrés sous terre, est un témoignage de la force humaine, mais aussi de ses limites. Rester, c’est leur manière de dire au monde qu’ils existent encore.
Ce conflit, qui déchire l’Ukraine depuis des années, a transformé des villes en fantômes. Mais dans ces ruines, des âmes comme Lidia et Valentyna continuent de vivre, de résister, d’espérer. Leur histoire nous rappelle une vérité universelle : même dans les moments les plus sombres, l’attachement à la maison, à la mémoire, peut être plus fort que tout. Alors, la prochaine fois que vous entendrez parler de ces régions, pensez à eux. Ils ne sont pas que des victimes : ils sont des symboles de résilience.
Et vous, que feriez-vous si vous deviez tout abandonner ? Partiriez-vous, ou resteriez-vous, comme Lidia, à rayer les jours sur un calendrier, en attendant un avenir incertain ?
