Chaque année, au cœur de l’Afrique du Sud, la petite ville de Bothaville s’anime. Des milliers de fermiers, vêtus de leurs chemisettes kaki et de shorts assortis, convergent vers la foire agricole de Nampo, la plus grande du pays. Mais derrière les stands de tracteurs rutilants et les odeurs de bétail, une question divise : les fermiers afrikaners, descendants des colons boers, sont-ils victimes d’une persécution ciblée, comme certains le clament ? J’ai toujours trouvé fascinant comment un événement aussi festif peut devenir le théâtre de débats aussi lourds.
Une Foire, Mille Voix
La foire de Nampo, étendue sur 40 hectares, n’est pas qu’un simple salon agricole. C’est un rendez-vous incontournable pour les agriculteurs sud-africains, où se mêlent tradition et modernité. On y trouve des pick-ups – ou bakkies, comme on les appelle ici – garés à côté de stands vendant des fusils automatiques. Mais au-delà des démonstrations de matériel, c’est un lieu où les tensions sociales et historiques de l’Afrique du Sud refont surface. Les fermiers afrikaners, en particulier, y expriment des visions parfois radicalement opposées.
Certains, comme un jeune cultivateur de maïs rencontré sur place, sont convaincus que leur communauté est en danger. D’autres, au contraire, rejettent ces récits comme des exagérations. Cette fracture m’a frappé : comment une même réalité peut-elle être perçue de manière si différente ?
Le Mythe du « Génocide Blanc »
Un agriculteur de 31 ans, au teint buriné par le soleil, m’a parlé avec conviction d’un génocide visant les fermiers afrikaners. Pointant du doigt un mémorial érigé dans l’enceinte de la foire, il évoque les noms gravés de collègues assassinés. Ce monument, sobre mais poignant, rend hommage aux agriculteurs tués ces dernières années. L’an dernier, 25 noms y ont été ajoutés, un chiffre qui, pour lui, ne laisse aucun doute sur la gravité de la situation.
Il y a un génocide, peut-être pas comme l’Holocauste, mais c’est réel. On ne peut pas ignorer ces morts.
– Un cultivateur de maïs à la foire
Mais les chiffres racontent-ils toute l’histoire ? Selon des données récentes, l’Afrique du Sud enregistre environ 75 meurtres par jour, l’un des taux les plus élevés au monde. Pourtant, ces crimes touchent principalement les zones urbaines et les jeunes hommes noirs. Les attaques contre les fermiers, bien que médiatisées, restent proportionnellement rares. Un groupe identitaire local a rapporté 49 meurtres de fermiers en 2023, un chiffre alarmant mais qui ne soutient pas nécessairement l’idée d’un génocide au sens strict. Cette nuance divise profondément la communauté.
Une Vie Rurale Sous Tension
Pour beaucoup, la vie à la ferme est synonyme de liberté, mais elle n’est pas exempte de défis. Les vols, par exemple, sont une réalité bien plus courante que les meurtres. Carburant, tracteurs, panneaux solaires : tout peut devenir une cible. Un jeune de 18 ans, issu d’une famille d’agriculteurs, m’a confié que les vols sont un fléau dans sa région, mais que les assassinats, eux, restent rares. « On entend parler de problèmes, mais c’est pas comme si on vivait dans la peur tous les jours », explique-t-il, un brin désinvolte.
- Vols fréquents : carburant, équipements agricoles, panneaux solaires.
- Meurtres rares : moins d’une centaine par an, selon les données disponibles.
- Perception variable : certains parlent de persécution, d’autres d’exagération.
Pourtant, la peur n’est jamais loin. Dans certaines régions, les ventes d’armes augmentent dès que les attaques contre les fermes se multiplient. À Nampo, les stands de fusils automatiques attirent les foules. Un responsable marketing d’un revendeur d’armes m’a expliqué que l’autodéfense est devenue une priorité pour beaucoup. « Quand on vit isolé, on doit être prêt à tout », dit-il. Cette réalité m’a fait réfléchir : jusqu’où la peur peut-elle façonner une communauté ?
Un Attachement Viscéral à la Terre
Ce qui m’a le plus marqué à Bothaville, c’est l’amour profond des fermiers pour leur pays. Malgré les défis, beaucoup refusent de partir. Un éleveur de moutons, installé près de Johannesburg, m’a assuré qu’il se sent plus en sécurité à la campagne qu’en ville. « C’est chez moi, je l’aime, point final », lance-t-il, son bâton de berger à la main. Cette passion pour la terre, héritée des Boers qui ont façonné ces plaines au XIXe siècle, est presque palpable.
Je n’irai nulle part ailleurs. C’est mon pays, mes racines.
– Un éleveur sud-africain
Cet attachement contraste avec les discours alarmistes relayés à l’international. Certains responsables politiques étrangers ont évoqué la possibilité d’accueillir des fermiers afrikaners comme réfugiés, une idée qualifiée de « farce » par un commercial local. Pour lui, ces récits amplifient une réalité complexe et nuisent à l’image du pays. Mais pour d’autres, ces déclarations, bien que controversées, ont le mérite de braquer les projecteurs sur leurs difficultés.
Nampo : Un Miroir de l’Afrique du Sud
La foire de Nampo, avec ses 900 exposants, est bien plus qu’un salon agricole. C’est un microcosme de l’Afrique du Sud, où se croisent espoirs, craintes et contradictions. Les champs de maïs et de tournesols qui entourent Bothaville rappellent la richesse agricole du pays, mais aussi sa fragilité. Les fermiers afrikaners, fiers de leur héritage, naviguent entre la peur d’être ciblés et la volonté de continuer à cultiver leur terre.
| Aspect | Réalité | Perception |
| Meurtres | 49 en 2023 (données locales) | Parfois qualifiés de génocide |
| Vols | Fréquents (carburant, matériel) | Problème majeur mais gérable |
| Sécurité | Plus sûre à la campagne | Variable selon les régions |
Ce tableau simplifie une réalité complexe, mais il illustre bien la dichotomie entre les faits et les récits. Pour certains, le danger est omniprésent ; pour d’autres, il fait partie des risques inhérents à la vie rurale. Cette tension est au cœur des discussions à Nampo, où chaque stand, chaque conversation, reflète un peu de l’âme sud-africaine.
Vers un Avenir Incertain ?
En déambulant dans les allées de la foire, j’ai été frappé par la résilience des fermiers. Un jeune agriculteur, récompensé pour son exploitation de 3 000 hectares, m’a assuré que la situation est « calme » depuis plusieurs années. Il minimise les risques en évitant de manipuler de l’argent liquide, une pratique courante pour réduire les tentations de vol. Mais tous n’ont pas cette sérénité. Une enseignante, revenant régulièrement à la ferme familiale, m’a raconté l’attaque subie par sa grand-mère. « Ça fait partie de la vie », dit-elle, fataliste.
Et pourtant, cette fatalité n’efface pas l’optimisme de beaucoup. Les fermiers afrikaners, ancrés dans leurs terres, continuent de cultiver, d’innover et de participer à des événements comme Nampo. Ils incarnent une Afrique du Sud en perpétuelle réinvention, où les défis d’aujourd’hui cohabitent avec les espoirs de demain. Mais une question demeure : comment concilier sécurité et tradition dans un pays aussi complexe ?
En quittant Bothaville, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ces fermiers, partagés entre fierté et méfiance. Leur histoire, c’est celle d’un pays qui cherche encore son équilibre, entre héritage colonial et modernité. La foire de Nampo, avec ses tracteurs géants et ses mémoriaux discrets, en est le parfait symbole. Et vous, que pensez-vous de ces récits de persécution ? Sont-ils un cri d’alarme légitime ou une exagération qui divise ?
