Quand on pense à la guerre, on imagine souvent des soldats, des champs de bataille, des stratégies militaires. Rarement des enfants de 6 et 9 ans qui dorment dans ce qu’ils croyaient être un refuge sûr. Pourtant, c’est exactement ce qui est arrivé à Janna et Abderrahim, deux petits Français, le 24 octobre 2023, dans le nord de la bande de Gaza.
Deux missiles. Un toit éventré. Et plus jamais le rire de ces gamins. Leur histoire, longtemps restée dans l’ombre des milliers de victimes du conflit, resurgit aujourd’hui avec une force particulière : la justice française s’en saisit officiellement.
Une enquête qui change la donne
Fin novembre 2025, le parquet national antiterroriste a franchi un pas décisif. Il demande l’ouverture d’une information judiciaire pour crimes de guerre. Pas pour génocide, pas pour crime contre l’humanité – ces qualifications ont été écartées – mais bel et bien pour crimes de guerre. Dans le contexte actuel, c’est déjà énorme.
Pourquoi ? Parce que Janna et Abderrahim avaient la nationalité française. Et quand un citoyen français meurt dans des circonstances suspectes à l’étranger, la France a le droit – et parfois le devoir – de regarder de plus près.
Que s’est-il réellement passé cette nuit-là ?
La famille avait tout fait pour se mettre à l’abri. D’abord l’appartement devenu trop dangereux. Puis une autre maison familiale. Enfin, une école. À chaque fois, les bombardements les rattrapaient. Épuisés, ils pensaient avoir trouvé un semblant de sécurité dans une maison du nord de l’enclave, entre Fallouja et Beit Lahia.
Erreur fatale.
Vers le milieu de la nuit, deux missiles – selon la plainte, tirés par des F-16 – ont frappé la bâtisse. Le premier a traversé le toit. Le second est entré directement dans la chambre où tout le monde dormait. Abderrahim, 9 ans, n’a pas survécu à l’impact. Sa petite sœur Janna, 6 ans, a été transportée à l’hôpital. Elle est morte peu après.
Leur frère Omar, grièvement blessé, a survécu. Il vit toujours là-bas, comme sa mère. C’est la grand-mère maternelle, Jacqueline, qui a porté l’affaire devant la justice française.
« Nous sommes satisfaits que le parquet nous rejoigne sur l’ouverture de l’instruction. Il va y avoir une enquête sur les tirs qui ont tué ces deux enfants français. »
– L’avocat de la famille
Crimes de guerre : de quoi parle-t-on exactement ?
En droit international humanitaire, attaquer des civils est interdit. Point. Attaquer des enfants dans leur sommeil, encore plus. Mais il y a une nuance de taille : pour qu’un acte soit qualifié de crime de guerre, il faut prouver soit une intention délibérée de viser des civils, soit une attaque disproportionnée, soit l’absence de précaution raisonnable.
Autrement dit : est-ce que l’armée savait qu’il y avait des civils dans cette maison ? Avait-elle des raisons de penser qu’une cible militaire légitime s’y trouvait ? Les procédures de vérification ont-elles été respectées ? Ce sont ces questions précises que l’enquête française va devoir explorer.
Et franchement, on sent que ça va être compliqué.
- Comment obtenir des preuves dans une zone de guerre toujours sous tension ?
- Comment accéder aux enregistrements militaires israéliens ?
- Comment entendre des témoins alors que la plupart des survivants ont tout perdu ?
Le précédent des bi-nationaux
Ce n’est pas la première fois que la France se penche sur des victimes franco-palestiniennes. On se souvient des affaires de 2014, de 2008-2009. À chaque fois, des plaintes déposées, des enquêtes ouvertes, puis… souvent classées ou abandonnées faute de coopération.
Mais quelque chose a changé. Depuis quelques années, la justice française semble plus déterminée. Peut-être parce que le nombre de victimes civiles ne cesse d’augmenter. Peut-être parce que l’opinion publique, en Europe, commence à bouger. Peut-être aussi parce que le droit international, malgré ses failles, reste le dernier rempart.
J’ai suivi plusieurs de ces dossiers. Ce qui frappe, c’est le courage des familles. Porter plainte contre une armée étrangère, dans un contexte où tout le monde vous dit que ça ne servira à rien… il faut une force incroyable.
Et les autres qualifications rejetées ?
La plainte initiale allait beaucoup plus loin. Génocide. Crime contre l’humanité. Le parquet a dit non. Pas assez d’éléments, selon lui, pour retenir ces qualifications extrêmement lourdes.
Est-ce surprenant ? Pas vraiment. Le génocide, en droit, demande une intention spécifique de détruire un groupe en tout ou en partie. C’est une barre très haute. Même la Cour internationale de justice, saisie par l’Afrique du Sud, avance prudemment sur ce terrain.
Mais rejeter ces qualifications ne veut pas dire blanchir qui que ce soit. Ça veut juste dire que la justice française choisit un chemin plus réaliste, plus praticable. Crimes de guerre, c’est déjà énorme. Et c’est peut-être le début de quelque chose.
Un contexte judiciaire plus large
Cette affaire ne sort pas de nulle part. Ces derniers mois, plusieurs plaintes ont été déposées en France concernant le conflit :
- Contre des soldats bi-nationaux accusés d’exécutions sommaires
- Contre des entreprises d’armement soupçonnées de complicité
- Sur la question de la colonisation en Cisjordanie
On assiste à une sorte de judiciarisation du conflit. Comme si, face à l’impuissance politique, certains misaient tout sur le droit. Est-ce efficace ? Pas toujours. Mais ça oblige tout le monde à rendre des comptes, au moins sur le papier.
Et maintenant ?
Un juge d’instruction va être saisi. Une enquête va démarrer. Elle durera des années, probablement. Elle sera entravée, critiquée, contestée. Mais elle existera.
Et quelque part, dans tout ce chaos judiciaire, il y a deux enfants qui ne rentreront jamais. Deux petits Français dont les photos, aujourd’hui, font le tour des dossiers d’instruction. Deux visages qui rappellent que derrière les statistiques, il y a toujours des histoires.
Peut-être que la justice n’effacera jamais leur absence. Mais au moins, elle refuse l’oubli.
Ce genre d’affaire, ça vous prend aux tripes. Parce qu’on se dit que ça pourrait être n’importe qui. N’importe quel enfant. Et que tant qu’on n’aura pas de réponses claires sur ce qui s’est passé cette nuit-là, la question restera : comment a-t-on pu en arriver là ?
