Il est trois heures du matin, le silence est total, et pourtant vous êtes là, les yeux rivés sur votre téléphone. Pas pour scroller Instagram, non. Vous posez une question vitale à une intelligence artificielle. Et vous n’êtes pas seul. En trois petites années, cet outil est passé du statut de curiosité geek à celui de meilleur ami, de médecin de garde, de conseiller voyage et même de thérapeute de couple pour des millions de Français.
Franchement, qui l’aurait cru en 2022 ?
Quand l’IA devient la béquille dont on ne peut plus se passer
Je me souviens encore de ma première fois. Une douleur bizarre dans le dos, un dimanche soir, tous les cabinets fermés. Au lieu d’attendre le lundi, j’ai tapé mes symptômes. La réponse est arrivée en dix secondes, claire, posée, presque rassurante. Depuis, c’est devenu un réflexe. Et je ne suis clairement pas un cas isolé.
On parle ici d’une vraie mutation des habitudes. L’intelligence artificielle conversationnelle s’est infiltrée dans les interstices de la vie quotidienne avec une discrétion redoutable. Elle ne remplace pas encore le médecin, l’agent de voyage ou le psy… mais elle comble les trous. Et ces trous, en France, sont nombreux : délais de rendez-vous interminables, services publics saturés, solitude nocturne.
La santé : le domaine où tout bascule
C’est probablement le terrain le plus sensible, et le plus révélateur.
Imaginez : votre enfant a 39,5 °C de fièvre à 2 h du matin. Vous hésitez à filer aux urgences. Avant, vous appeliez votre mère ou vous googlaisiez dans la panique. Aujourd’hui, vous ouvrez l’application et vous décrivez tout. L’IA vous pose des questions précises – depuis combien de temps ? a-t-il vomi ? des plaques ? – et finit par vous dire si vous pouvez attendre le matin ou non.
« C’était comme avoir un médecin de famille disponible 24 h/24. Il m’a littéralement guidé pas à pas, j’avais l’impression de suivre une notice ultra-précise. »
Un père de famille parisien, la trentaine
Le plus fou ? Les gens ne s’en cachent même plus. Chez le dermatologue (quand ils finissent par en avoir un), certains avouent carrément avoir montré la photo de leur grain de beauté à l’IA avant. Le médecin lève les yeux au ciel… mais parfois confirme le diagnostic.
Attention, je ne dis pas que c’est bien. Je constate, c’est tout. Et la constatation fait un peu peur.
Voyages : fini les heures sur Booking et TripAdvisor
Avant, organiser un week-end à Lisbonne, c’était trois soirs à comparer les hôtels, lire 150 avis, vérifier les transports. Aujourd’hui ?
- Vous tapez : « Week-end 3 jours à Lisbonne en avril, budget 600 € par personne, bonnes tables et beaux points de vue »
- En trente secondes, vous avez un itinéraire jour par jour, des restaurants testés et validés, des astuces tram 28, et même une playlist Spotify portugaise en bonus.
Résultat : des voyageurs qui arrivent sur place en connaissant déjà les meilleurs pastel de nata du quartier Belém. C’est pratique, presque trop.
J’ai testé pour un road-trip en Toscane cet été. L’IA m’a sorti un programme tellement parfait que mes amis ont cru que j’avais engagé une agence. Non, juste un prompt bien tourné à 4 h du matin.
Amour, disputes et reconquêtes : l’IA joue les médiateurs
Là, on touche le fond, ou le génie, c’est selon.
Des Français (et pas qu’un ou deux) avouent utiliser l’intelligence artificielle pour rédiger leurs messages après une dispute. « Aide-moi à répondre à mon copain qui m’a dit que je passe trop de temps avec mes amis. » L’IA propose trois versions : la douce, la ferme mais respectueuse, et la version « on arrête les conneries ».
« Je suis souvent bluffée. Il trouve des formulations que je n’aurais jamais osé écrire, mais qui marchent à tous les coups. »
Claire, 29 ans, Toulouse
Certains vont encore plus loin : ils soumettent toute la conversation WhatsApp à l’IA pour qu’elle analyse qui a raison. Et, soyons honnêtes, ça calme souvent les ego.
Le plus troublant ? Quand l’IA devient coach de séduction. Des hommes (et des femmes) lui demandent comment relancer une conversation Tinder qui s’essouffle. Et ça fonctionne. VRAIMENT.
Au travail : gain de temps ou perte d’âme ?
Dans les open-spaces, c’est devenu banal. Un mail compliqué à rédiger ? Hop, on copie-colle le brief. Un PowerPoint à monter en urgence ? L’IA sort les slides en cinq minutes.
Une étude récente (je l’ai vue passer) estime que 68 % des cadres français utilisent déjà quotidiennement ces outils. Et ce n’est que le début.
Moi-même, je plaide coupable. Cet article ? Une partie du plan a été générée en dix minutes chrono. Le reste, c’est moi. Promis.
Mais alors, est-ce qu’on devient idiots ?
C’est la grande question qui revient tout le temps dans les dîners.
D’un côté, on gagne un temps fou. De l’autre, on délègue des compétences qu’on finit par perdre. Savoir rédiger un mail poli, chercher un itinéraire, diagnostiquer une petite maladie bénigne… tout ça devient flou.
Je vois déjà des jeunes de 20 ans incapables de rédiger trois lignes sans passer par l’IA. Et ça m’inquiète un peu, je l’avoue.
En même temps, est-ce si différent de la calculatrice qui nous a fait oublier les tables de multiplication ? Ou de Google Maps qui nous a rendus nuls en orientation ? L’histoire bégaie.
Le risque d’une dépendance douce
Le vrai danger, ce n’est pas l’IA elle-même. C’est la paresse cognitive qu’elle peut engendrer.
Quand tout devient trop facile, on arrête de réfléchir. On arrête de vérifier. On fait une confiance aveugle à une machine qui, rappelons-le, peut se tromper lourdement – surtout en médecine.
J’ai vu des cas où l’IA a minimisé des symptômes graves. Heureusement, les personnes ont quand même consulté. Mais demain ?
Et demain ?
Dans cinq ans, on fera quoi ? On aura tous un assistant implanté dans l’oreille ? On ne parlera plus qu’à des machines ?
Ce qui est certain, c’est que la frontière entre aide précieuse et dépendance toxique est déjà très fine. Et on est nombreux à l’avoir franchie sans même s’en rendre compte.
Alors la prochaine fois que vous ouvrirez l’application à 3 h du matin pour demander si votre bouton est cancérigène ou comment répondre à votre ex… posez-vous la question : est-ce que je suis en train de vivre, ou est-ce que je suis en train de déléguer ma vie ?
Parce qu’au fond, l’IA est un miroir. Elle nous renvoie surtout notre impatience, notre solitude, notre besoin d’être rassurés à chaque seconde.
Et ça, aucune intelligence artificielle ne pourra jamais le régler à notre place.
(Article écrit avec l’aide précieuse… d’un cerveau humain. Pour l’instant.)
