Vous est-il déjà arrivé de voir votre compte en banque plonger dans le rouge parce que vous avez oublié de faire un virement ? Multipliez cette sensation par plusieurs milliards et vous obtenez à peu près ce qui risque d’arriver à la France dès le 1er janvier 2026 si aucun accord budgétaire n’est trouvé. Douze milliards d’euros. C’est la facture minimum, et c’est pour le premier mois seulement.
Franchement, quand on entend ce chiffre, on se demande si on a bien compris. Douze milliards, ce n’est pas une petite erreur de calcul. C’est presque le budget annuel de la Justice ou de la Recherche réunis. Et tout ça parce que le Parlement patine sur le projet de loi de finances. On en est là.
Le piège de la « loi spéciale » que personne ne veut vraiment
En théorie, la Constitution française est bien faite : si le budget n’est pas voté à temps, l’État ne s’arrête pas comme aux États-Unis avec leur célèbre shutdown. Chez nous, on active un mécanisme de secours : une loi de finances rectificative spéciale qui permet de continuer à payer les fonctionnaires, les retraites, les aides sociales… Bref, tout ce qui est obligatoire.
Mais voilà le hic, et il est énorme : cette solution de dépannage coûte extrêmement cher. Pourquoi ? Parce qu’elle reconduit automatiquement les dépenses de l’année précédente, sans aucune possibilité de les réduire. Et comme les dépenses augmentent naturellement chaque année (inflation, nouveaux droits, indexations…), on se retrouve avec un décalage monstrueux entre ce qu’on dépense et ce qu’on encaisse.
« Faute de viande, on boit du bouillon », dit l’adage. Traduction libre : sans vrai budget, on se contente d’une version light qui coûte en réalité beaucoup plus cher que prévu.
D’où viennent ces 12 milliards minimum ?
Le calcul est assez simple à comprendre, même s’il fait peur. En 2025, le déficit prévu était déjà autour de 5-6 % du PIB. Si on reconduit purement et simplement les crédits 2025 en 2026 sans toucher aux recettes fiscales (qui, elles, risquent de baisser en l’absence de nouvelles mesures), le trou se creuse mécaniquement.
Ajoutez à ça l’inflation qui continue de pousser certaines dépenses (retraites indexées, salaires des fonctionnaires, aides sociales…), et vous obtenez facilement ces 12 milliards supplémentaires par mois. Certains experts parlent même de 15 milliards si la croissance est plus faible que prévue. Autant dire qu’on joue à se faire peur.
- Retraites et prestations sociales : +3 à 4 milliards mensuels automatiques
- Salaires des fonctionnaires et indexations : +2 milliards
- Intérêts de la dette (qui augmentent avec le déficit) : +1 à 2 milliards
- Remboursements de crédits d’impôt non compensés : + plusieurs centaines de millions
- Absence de nouvelles recettes fiscales votées : manque à gagner colossal
Et je ne parle même pas des investissements qui seraient gelés. Les collectivités locales, les hôpitaux, les universités… tout le monde serait touché.
Un précédent historique qui fait trembler
Ce n’est pas la première fois qu’on frôle le mur. Souvenez-vous de l’automne 2024 : le budget avait déjà été adopté grâce à l’article 49.3 dans la douleur. Là, on est un cran au-dessus. Le volet recettes a été rejeté à une majorité écrasante. Du jamais-vu sous la Ve République.
Quand même les oppositions de tous bords votent ensemble contre les recettes, c’est que le signal est clair : personne ne veut porter le chapeau des hausses d’impôts ou des coupes nécessaires. Résultat ? On se dirige tout droit vers la solution de facilité… qui est en réalité la plus coûteuse.
Pourquoi les députés jouent avec le feu
Il y a une forme de poker menteur en ce moment à l’Assemblée. Chaque camp espère que l’autre craquera en premier. La majorité relative mise sur la responsabilité républicaine des oppositions. Les oppositions, elles, surfent sur le rejet populaire des mesures d’austérité.
Mais au final, qui paiera la note ? Nous. Les contribuables. Parce que ces 12 milliards (et probablement bien plus sur l’année) viendront s’ajouter à une dette déjà colossale. Et devinez qui rembourse la dette ? Toujours les mêmes.
Le plus ironique, c’est que tout le monde dénonce la dépense publique… mais personne ne veut voter les mesures pour la réduire quand il le faut.
– Un observateur régulier des débats budgétaires
Les scénarios possibles d’ici la fin de l’année
On est fin novembre 2025. Il reste théoriquement un mois pour trouver un accord. Plusieurs pistes circulent dans les couloirs :
- Un compromis de dernière minute avec des concessions des deux côtés (peu probable vu les positions actuelles)
- L’utilisation massive du 49.3 sur un texte modifié (risque de censure)
- Le recours à une loi spéciale dès janvier, avec une nouvelle tentative de budget au printemps (scénario catastrophe)
- Des élections anticipées (on en parle déjà beaucoup)
Personnellement, je penche pour un mélange du 2 et du 3. On va probablement forcer un texte avec le 49.3, il passera de justesse, et on se retrouvera quand même avec des mois de dépenses débridées avant un vrai budget rectificatif.
Ce que ça dit de notre démocratie
Au-delà des chiffres, il y a quelque chose de profondément révélateur. Quand le Parlement n’arrive plus à voter un budget – acte fondamental de toute démocratie – c’est que le système est grippé. On a une majorité relative qui ne gouverne plus vraiment, et des oppositions qui préfèrent bloquer plutôt que proposer.
Et pendant ce temps, les agences de notation nous regardent. Elles n’aiment pas du tout les pays qui ne maîtrisent plus leurs finances. Une dégradation du triple A français ? Ce n’est plus de la science-fiction.
Alors oui, 12 milliards par mois, ça fait mal. Mais le vrai coût, c’est peut-être celui de la confiance. Confiance des Français dans leurs institutions. Confiance des investisseurs. Confiance en l’avenir.
On a encore quelques semaines pour éviter le pire. Espérons que la raison l’emporte. Parce que le bouillon, à ce prix-là, risque d’être vraiment très très amer.
(Article mis à jour le 29 novembre 2025 – la situation évolue vite, et je ne serais pas surpris qu’on ait du nouveau dès la semaine prochaine.)
