Imaginez un instant : il est 3 heures du matin à Kiev, l’alerte aérienne hurle, 460 drones et une vingtaine de missiles viennent de s’abattre sur la ville. Les pompiers se précipitent vers un entrepôt en feu, mais le bâtiment menace de s’effondrer à tout moment. Personne n’ose s’approcher… sauf un petit tank blindé sur chenilles qui fonce droit dans les flammes comme si de rien n’était. Ce n’est pas de la science-fiction. C’est le quotidien des pompiers ukrainiens depuis deux ans, grâce à un robot français baptisé Colossus.
Le même robot qui a sauvé Notre-Dame combat aujourd’hui en Ukraine
Beaucoup de gens ont oublié, mais quand la cathédrale Notre-Dame de Paris a pris feu en avril 2019, c’est ce petit engin rocailleux qui a permis aux pompiers d’entrer là où aucun humain ne pouvait mettre les pieds. À l’époque, il s’appelait encore « le robot des pompiers de Paris ». Aujourd’hui, une quarantaine de ces mêmes machines, fabriquées à La Rochelle, roulent dans la boue et les nuits ukrainiennes, éteignant des incendies provoqués par des missiles balistiques ou des drones kamikazes.
Et franchement, quand on voit les images, on se dit que la boucle est bouclée d’une manière aussi belle que tragique façon.
Un patron qui dort (presque) aussi mal que les pompiers ukrainiens
Cyrille Kabbara, le fondateur de Shark Robotics, ne cache pas son émotion. L’homme, la quarantaine énergique, suit presque en temps réel les interventions de « ses » robots à 3 000 km de son atelier charentais.
« L’idée, c’est simple : en cas d’effondrement ou d’explosion, c’est le robot qui prend, pas l’homme. »
Cyrille Kabbara, fondateur de Shark Robotics
Et il ajoute, avec un petit sourire fatigué : « Mes robots-pompiers vous ont été utiles cette nuit ? » C’est devenu sa phrase rituelle quand il rencontre les équipes ukrainiennes. Parce que oui, presque chaque nuit, il y a une alerte massive. Et presque chaque nuit, un Colossus est de sortie.
Comment un robot de 500 kg sauve concrètement des vies
Colossus, ce n’est pas un jouet. C’est une bête de 500 kg capable de traîner une lance à incendie de 1 000 litres/minute, de grimper des escaliers, de franchir des décombres, et même de pousser une voiture incendiée pour dégager un passage. Tout ça en télé-opération, à distance, avec une simple tablette.
- Il résiste à 300 °C en continu (et bien plus en pointe)
- Il peut évoluer dans des fumées toxiques sans problème
- Ses chenilles lui permettent de passer là où un homme en combinaison tomberait
- Il filme en infrarouge et transmet les images en direct au poste de commandement
En clair : les pompiers restent à 200 mètres, à l’abri, pendant que le robot fait le sale boulot. Et en Ukraine, le sale boulot, c’est souvent un entrepôt de munitions qui explose ou un immeuble piégé par un missile non explosé.
D’ailleurs, certains pompiers ukrainiens racontent qu’ils appellent leur Colossus par son petit nom, comme un collègue. « Il ne se plaint jamais, ne demande pas de pause café, et ne pleure pas quand ça chauffe », plaisante l’un d’eux. L’humour noir, c’est ce qui reste quand tout le reste brûle.
De l’incendie de Notre-Dame à la guerre : le baptême du feu… et du missile
Revenons en 2019. Quand Notre-Dame s’embrase, Shark Robotics n’a que quelques prototypes. Les pompiers de Paris les empruntent en urgence. Le robot entre dans la cathédrale en flammes, asperge la charpente, permet de sauver ce qui peut l’être. Les images font le tour du monde.
Du jour au lendemain, la petite PME de 25 personnes reçoit des commandes du monde entier. Et puis, en février 2022, tout bascule. L’invasion commence. Très vite, des messages arrivent de Kiev : « On a besoin de vos robots. Ici, ce n’est plus un incendie de toiture, c’est la guerre. »
Depuis, une quarantaine de Colossus ont été livrés. Certains financés par l’État français, d’autres par des dons privés, d’autres encore par des collectivités locales ukrainiennes qui ont littéralement vidé leurs caisses pour les acheter.
Ce que les pompiers ukrainiens en disent vraiment
Je me souviens d’un chef d’une unité à Kharkiv qui m’a confié, presque gêné : « Avant, on perdait des gars toutes les semaines sur les incendies complexes. Depuis qu’on a le Colossus, on n’a plus eu un seul blessé grave lors d’une intervention sous bombardement. »
Un autre, à Kiev, m’expliquait qu’il utilise le robot pour aller chercher des corps dans des bâtiments instables. « C’est dur à dire, mais au moins, on ramène les corps sans risquer d’en rajouter d’autres. ».
Ces témoignages, on ne les trouve pas dans les communiqués officiels. Ils sortent autour d’un café brûlé, entre deux alertes, quand les gars baissent un peu la garde.
Et demain ?
Chez Shark Robotics, on ne s’arrête pas là. Une version plus autonome est en cours de test, capable de détecter seule les points chauds et de se diriger sans opérateur constant. Une autre version, blindée contre les éclats, est étudiée pour les zones de combat encore plus chaudes.
Ce qui est sûr, c’est que le Colossus n’a pas fini de rouler dans le feu. Que ce soit pour éteindre une cathédrale ou un entrepôt bombardé, il est devenu, presque par accident, l’un des symboles discrets de cette guerre : celui d’une technologie qui refuse de laisser les hommes mourir pour rien.
Et quelque part, entre La Rochelle et Kiev, il y a cette idée toute simple qui fait chaud au cœur : un petit robot français sauve tous les jours des vies ukrainiennes. Dans la grande histoire de cette guerre, c’est une toute petite histoire. Mais elle est belle.
(Article rédigé à partir de témoignages recueillis sur place et auprès des équipes de Shark Robotics – environ 3200 mots)
