Vous souvenez-vous de cette sensation quand, enfant, on ouvrait la fenêtre et qu’on découvrait que tout était blanc ? Cette année, la montagne nous offre exactement ce cadeau-là, mais avec une étiquette un peu particulière : « Attention, contenu fragile ».
Depuis dix jours, il neige sans discontinuer sur la plupart des massifs français. Les stations exultent, certaines avancent leur ouverture d’une semaine, les webcams montrent des pistes déjà bien blanches dès 1800 mètres. Et pourtant, derrière les sourires des moniteurs et les stories Instagram, un mot revient en boucle dans les refuges et les groupes WhatsApp des locaux : prudence.
Pourquoi la neige toute neuve peut devenir votre pire ennemie
J’ai passé assez d’hivers en montagne pour savoir une chose : la neige la plus belle est souvent la plus traîtresse. Quand il tombe cinquante centimètres, un mètre, parfois plus en quelques jours, le manteau neigeux n’a pas le temps de se stabiliser. C’est un peu comme empiler des assiettes humides : ça tient… jusqu’à ce que ça ne tienne plus.
En ce moment, la situation est claire : presque tous les massifs alpins du nord affichent un risque 3/5, ce qu’on appelle « marqué ». Dans les Pyrénées, c’est plus localisé, mais certains secteurs comme la vallée d’Aspe ou la Haute-Bigorre sont aussi à 3. Et même si les Vosges, le Jura ou le Massif central semblent épargnés à première vue, certains couloirs y sont chargés comme jamais.
Comprendre l’échelle du risque en deux minutes
On entend souvent parler de « 3/5 » ou « 4/5 », mais qu’est-ce que ça veut vraiment dire sur le terrain ?
- 1/5 : Départs rares, seulement sur de très fortes pentes et avec une grosse surcharge (plusieurs personnes).
- 2/5 : Risque limité, surtout sur les pentes raides orientées nord ou est. Il faut quand même rester vigilant.
- 3/5 : Risque marqué. Départs possibles même avec une faible surcharge (un seul skieur) sur de nombreuses pentes. C’est le niveau où l’expérience devient obligatoire.
- 4/5 : Risque fort. Nombreux départs spontanés ou déclenchés facilement. On limite vraiment les sorties hors-piste.
- 5/5 : Exceptionnel. La montagne entière peut partir. On reste au chalet.
Aujourd’hui, on est majoritairement à 3. Et croyez-moi, c’est déjà beaucoup quand la neige est aussi récente.
Les pièges classiques de début de saison
Il y a des scénarios qu’on voit revenir chaque année à la même période. Et cette année ne déroge pas à la règle.
D’abord, les plaques à vent. Avec les rafales qu’on a eues en altitude, la neige a été déplacée et forme des accumulations dures comme du béton sur les faces sous le vent. On skie dessus sans se rendre compte, et boum, ça casse en bloc.
Ensuite, le contraste de température. Les premières chutes étaient plutôt humides en basse altitude, puis il a fait très froid. Résultat : une sous-couche fragile (parfois du givre de surface ou de la neige croûtée) sur laquelle la neige récente ne colle pas bien. C’est la recette parfaite pour des avalanches de plaque à distance.
« Un seul skieur peut suffire à déclencher une plaque de plusieurs centaines de mètres de large. Et à cette période, on n’a pas encore les traces qui permettent de voir où ça tient ou pas. »
– Un pisteur-secouriste expérimenté que je connais bien
Les massifs les plus exposés en ce moment
Si vous prévoyez de partir ce week-end ou la semaine prochaine, voici les zones où il faut redoubler de vigilance :
- Alpes du Nord : Quasi tout le monde à 3/5 dès 2000-2200 m. Seuls les Bauges, la Chartreuse et le Vercors sont un cran en dessous.
- Alpes du Sud : Le Thabor, le Pelvoux et le Champsaur sont les plus chargés. Partout ailleurs, c’est 2/5 mais avec des accumulations locales.
- Pyrénées : L’Aspe-Ossau et la Haute-Bigorre à surveiller particulièrement. Le reste oscille entre 2 et 3.
- Corse : 2/5 en général, mais certains versants nord sont bien fournis.
Et n’oubliez pas : même à 2/5, un couloir isolé peut partir. La montagne ne fait pas de demi-mesure.
Ce que ça change concrètement pour votre week-end ski
Alors oui, les domaines skiables sécurisés (pistes balisées, pylonage, déclenchements préventifs) restent ouverts et globalement sûrs. Les stations font un travail énorme pour ça. Mais dès qu’on sort des jalons, c’est une autre histoire.
Si vous faites du hors-piste ou de la randonnée, voici ce que je vous conseille personnellement (et ce que font tous les montagnards raisonnables en ce moment) :
- Rester sur des pentes inférieures à 30° (idéalement 28° max).
- Éviter les grands versants ouverts et les zones sous les crêtes.
- Ne jamais traverser en groupe au même endroit, garder 20-30 m d’écart.
- Vérifier le bulletin avalanche tous les matins (et même la veille au soir).
- Emporter toujours le trio DVA-pelle-sonde, et savoir s’en servir (non négociable).
Et franchement, en ce moment, si vous n’êtes pas hyper à l’aise avec la lecture du terrain, le mieux reste encore de profiter des pistes ou de prendre un guide.
Et demain ? De nouvelles chutes en vue
Comme si ça ne suffisait pas, la météo annonce de nouvelles précipitations neigeuses en début de semaine prochaine. Pas aussi massives que celles qu’on vient de prendre, mais 20 à 40 cm supplémentaires en altitude, ça pèse dans la balance.
Avec le redoux prévu ensuite, le risque pourrait même monter d’un cran dans certains secteurs. On passe facilement de 3 à 4 si la neige nouvelle est lourde et que le vent se remet à souffler.
Bref, la montagne est magnifique en ce moment. Vraiment. Mais elle nous rappelle aussi qu’elle n’est pas un parc d’attractions. Un peu de respect, beaucoup de vigilance, et on pourra tous profiter de cet hiver qui s’annonce exceptionnel.
Parce que oui, la neige est là. Et elle n’est pas prête de partir.
Alors on chausse ? Oui. Mais pas n’importe comment.
Petit bonus personnel : chaque année, je me fais la même réflexion en voyant les premières grosses chutes. On est tous excités, on veut tout de suite aller tracer dans la poudre. Et chaque année, il y a des accidents évitables. Alors cette fois, faites comme moi : on prend son temps, on observe, on apprend. La neige sera encore là dans une semaine. Et on sera encore là pour en profiter.
