Vous est-il déjà arrivé de regarder votre télé le soir, bien tranquille, et de vous dire que derrière l’écran, ça pouvait partir en vrille en quelques secondes ? Moi oui. Et samedi 29 novembre 2025, en fin d’après-midi, c’est exactement ce qui s’est passé pour des centaines de salariés du service public audiovisuel.
Un coup de fil, une alerte, et hop : tout le monde dehors. Le siège parisien vidé en un rien de temps, les antennes perturbées, les sites internet qui rament. Une alerte à la bombe, encore une. Et pas n’importe où : au cœur même de l’information française.
Une fin d’après-midi qui bascule brutalement
Il était un peu après 17 heures. Dans les open-spaces, les couloirs, les studios, la routine habituelle du week-end. Et puis l’annonce tombe, froide et sans appel. Les autorités préviennent la direction : menace sérieuse, on évacue immédiatement.
Je vous laisse imaginer la scène. Des journalistes qui laissent leur café à moitié bu, des techniciens qui coupent les machines en urgence, des présentateurs qui sortent en bras de chemise. Tout ce petit monde se retrouve sur le trottoir, sous un ciel de novembre déjà bien gris. Et là, les voitures de police qui arrivent sirènes hurlantes, les équipes cynophiles qui débarquent, les périmètres de sécurité qui se mettent en place.
Franchement, ça fait un choc. On a beau savoir que ce genre de choses arrive, quand ça touche le service public, c’est différent. C’est un peu comme si on attaquait la maison commune.
Un phénomène qui n’est hélas plus isolé
Et là, forcément, on pense à l’épisode précédent. Mi-novembre, déjà, une autre grande chaîne d’information continue avait vécu exactement la même mésaventure. Même scénario : appel anonyme, évacuation massive, chiens renifleurs de partout, et au final… rien. Ou presque.
Deux cas en quinze jours à peine. Ça commence à faire beaucoup. Et surtout, ça dessine une tendance qui n’a rien de rassurant.
« On a l’impression que les médias sont devenus des cibles faciles pour qui veut faire parler de lui en cinq minutes. »
– Un ancien responsable sécurité d’une grande rédaction
Et il n’a pas tort. Parce qu’une alerte à la bombe, même bidon, ça paralyse tout. Ça coûte cher en heures de travail perdues, en image, en sérénité. Et surtout, ça crée un climat.
Pourquoi les médias en particulier ?
C’est la question que tout le monde se pose, et à juste titre. Pourquoi s’en prendre à des rédactions ? Il y a plusieurs pistes, et aucune n’est franchement réjouissante.
- D’abord, l’effet garanti. Une alerte dans une tour de bureaux classique, ça passe inaperçu. Dans une grande chaîne télé ? C’est immédiatement repris partout, les réseaux sociaux s’enflamment, les chaînes concurrentes en font leur une.
- Ensuite, la symbolique. Les médias, surtout le service public, représentent quelque chose. L’information libre, le débat, parfois l’État lui-même aux yeux de certains. Les attaquer, même de façon virtuelle, c’est envoyer un message fort.
- Enfin, la facilité technique. Un appel anonyme, un mail, un formulaire en ligne… N’importe qui peut déclencher l’alerte depuis son canapé. Et hop, des centaines de policiers mobilisés pour rien.
Le pire, c’est que ça marche. À chaque fois, on voit les mêmes images : les salariés sur le trottoir, les chiens, les rubalises. Et à chaque fois, la peur s’installe un peu plus.
Les conséquences concrètes sur le terrain
Mais au-delà du symbole, il y a le quotidien des gens. Et là, ça devient vraiment concret.
Prenez les équipes techniques. Quand on évacue un siège comme celui-là, ce ne sont pas juste des bureaux qu’on vide. Ce sont des régies entières, des serveurs, des antennes. Résultat : des journaux perturbés, des directs annulés, des sites qui ralentissent.
Et puis il y a l’aspect humain. Se faire sortir en urgence, attendre des heures dans le froid en se demandant si c’est sérieux ou pas… Ça marque. Certains salariés, surtout ceux qui étaient déjà là lors des attentats de 2015, revivent des trucs pas très joyeux.
J’ai discuté avec une journaliste qui a vécu les deux dernières alertes. Elle m’a dit, à peu près textuellement : « Au début tu te dis que c’est rien, une blague. Et puis tu vois les chiens, les gars en tenue lourde, et tu te demandes si un jour ça sera la vraie. »
Un contexte sécuritaire qui s’alourdit
On ne va pas se mentir : on n’est pas dans l’ambiance détendue des années 2000. Le niveau de menace reste élevé, les services de renseignement le répètent régulièrement. Et dans ce contexte, chaque alerte est prise au sérieux. À juste titre, d’ailleurs.
Mais du coup, le paradoxe est terrible : plus on prend les alertes au sérieux (et c’est normal), plus on offre une victoire facile à ceux qui veulent juste semer le chaos avec trois lignes de texte.
C’est un peu le serpent qui se mord la queue.
Et demain ?
La vraie question, maintenant, c’est : jusqu’où ça va aller ?
Parce que si ce rythme se maintient, on risque de voir des rédactions entières fonctionner sous tension permanente. Des plans de sécurité renforcés, des contrôles d’accès plus stricts, peut-être même des effectifs réduits sur site.
Et ça, mine de rien, ça pèse sur la qualité de l’information. Un journaliste stressé, fatigué, qui doit jongler avec des procédures de sécurité à rallonge… c’est un journaliste qui a moins de temps pour vérifier, pour creuser, pour aller sur le terrain.
En clair : on touche à quelque chose d’essentiel.
Ce que ça nous dit de notre société
Au fond, ces alertes répétées, c’est le symptôme d’un malaise plus large. Une société où la parole haineuse s’est banalisée en ligne. Où certains pensent que menacer, c’est une façon comme une autre de « résister » ou de « se faire entendre ».
Et ça, c’est peut-être le plus inquiétant. Parce que derrière l’anonymat d’un écran, on oublie que de l’autre côté, il y a des gens. Des vrais. Qui font juste leur boulot : informer.
Alors oui, samedi soir, il n’y avait pas de bombe. Mais la peur, elle, était bien réelle. Et elle risque de rester un moment.
Comme un rappel brutal : dans le monde d’aujourd’hui, même allumer sa télé peut parfois ressembler à un petit acte de courage.
(Article mis à jour le 29 novembre 2025 à 23h17 – Aucune victime n’est à déplorer, les équipes ont pu regagner les locaux en début de soirée après levée de doute complète.)
