Il y a des jours où l’on préférerait ne pas ouvrir les yeux sur certaines réalités. Pourtant, ce samedi, près de Bethléem, la violence a encore frappé. Dix Palestiniens blessés, dont un par balle réelle, lors d’un affrontement avec des colons israéliens. Rien de vraiment nouveau, direz-vous ? Peut-être. Mais quand on regarde les chiffres sur deux ans, on se demande sérieusement jusqu’où cela va aller.
Je vais être franc : suivre ce conflit au quotidien use. On finit par connaître les lieux par cœur – Khala’il al-Luz, Qalqilya, Jénine, Hébron – comme si c’était le quartier d’à côté. Et pourtant, chaque nouvel incident rappelle que la situation empire, trêve à Gaza ou pas.
Une violence qui s’installe durablement en Cisjordanie
Ce qui s’est passé près de Bethléem n’est pas un « incident isolé ». C’est devenu presque la norme. Des colons, souvent armés, des Palestiniens qui défendent leurs terres ou simplement leur droit de circuler, et au milieu, une armée qui dit « disperser » mais dont les méthodes font régulièrement débat.
Le Croissant-Rouge palestinien parle de dix blessés : un touché par balle, les neuf autres roués de coups. L’armée israélienne, elle, confirme des « jets de pierres des deux côtés » et des « tirs en direction des Palestiniens ». Des civils israéliens auraient aussi été blessés, mais ils ont refusé les soins. Classique.
« On ne peut plus aller travailler nos oliviers sans craindre une attaque. »
– Un habitant de la zone, cité anonymement par plusieurs ONG sur place
Le chiffre qui donne le vertige : plus de 1000 morts palestiniens en deux ans
Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 et le début de la guerre à Gaza, la Cisjordanie est devenue un second front à ciel ouvert. Plus d’un millier de Palestiniens ont été tués – combattants, oui, mais aussi très souvent des civils, des adolescents, parfois des enfants.
De l’autre côté, les autorités israéliennes comptabilisent 44 morts, civils et militaires confondants, dans des attaques ou lors d’opérations. Le déséquilibre est criant. Et pourtant, chaque camp vit dans la peur de l’autre.
- Raids militaires quasi quotidiens dans les camps de réfugiés
- Attaques de colons de plus en plus fréquentes et organisées
- Destruction de maisons sous prétexte de « constructions illégales »
- Blocus routiers qui transforment 20 minutes de trajet en trois heures
- Arrestations administratives par centaines
Et pendant ce temps-là, les colonies continuent de pousser comme des champignons. C’est peut-être l’aspect le plus rageant : plus la violence monte, plus les implantations s’étendent. Coïncidence ? Difficile à croire.
La trêve à Gaza change-t-elle quelque chose ? Visiblement non
On nous avait vendu une « trêve fragile » à partir d’octobre. Les armes se sont un peu tues dans la bande de Gaza. Super. Mais en Cisjordanie ? Rien. Aucune accalmie. Au contraire, certains observateurs sur place parlent même d’une hausse des incidents depuis cet automne.
Pourquoi ? Parce que la Cisjordanie, ce n’est pas Gaza. Ici, pas de roquettes, pas de tunnels, mais une occupation au quotidien, des checkpoints, des colonies qui grignotent la terre mètre après mètre. Et surtout, une impunité perçue – réelle ou supposée – pour les colons les plus radicaux.
Qui sont ces colons qui attaquent ?
Il faut arrêter de parler « des colons » comme d’un bloc monolithique. Il y a ceux qui vivent là depuis trente ans, élèvent leurs enfants, travaillent à Tel-Aviv et ne veulent que la tranquillité. Et puis il y a les autres. Les jeunes des avant-postes illégaux même aux yeux d’Israël, souvent issus du mouvement des « jeunes des collines », idéologiquement ultra-motivés, parfois armés par l’État lui-même dans le cadre des « équipes de sécurité ».
Ceux-là ne se contentent plus de protéger leurs implantations. Ils attaquent des villages entiers, brûlent des voitures, coupent des oliviers centenaires. Et trop souvent, l’armée arrive… après. Ou regarde.
« On appelle, on appelle l’armée, mais quand ils arrivent, c’est toujours pour nous gazer nous, jamais eux. »
– Témoignage recueilli par des associations de défense des droits humains
L’armée israélienne au cœur du problème
Difficile de parler de ces affrontements sans évoquer le rôle des forces israéliennes. Leur version officielle ? Ils interviennent pour « séparer » les deux camps. Dans les faits, les images et les témoignages montrent souvent autre chose : usage disproportionné de gaz lacrymogènes, de balles caoutchouc (parfois métalliques enrobées), et oui, parfois de munitions réelles contre des lanceurs de pierres.
Et quand un colon tire ? Les enquêtes traînent, quand elles existent. Résultat : un sentiment d’impunité totale côté israélien extrême, et une rage qui monte côté palestinien.
Et la communauté internationale dans tout ça ?
On entend parfois des condamnations timides, des « appels au calme des deux côtés ». Mais concrètement ? Rien. Les États-Unis bloquent toute résolution un peu trop critique à l’ONU. L’Europe sanctionne quelques colons ultra-violents, mais refuse toujours de toucher aux accords commerciaux avec Israël.
Pendant ce temps, des villages entiers se vident. Les jeunes partent en Jordanie ou en Turquie quand ils le peuvent. Ceux qui restent n’ont parfois plus rien à perdre.
Vers une troisième Intifada ?
La question n’est plus taboue sur place. Beaucoup de Palestiniens de Cisjordanie disent qu’ils n’ont plus rien à perdre. Les plus âgés rappellent 1987 et 2000. Les plus jeunes, eux, n’ont connu que l’occupation et les checkpoints. Leur patience est à bout.
Côté israélien, les responsables sécuritaires tirent la sonnette d’alarme : plus on réprime, plus on crée de futurs combattants. Mais politiquement, le gouvernement actuel n’a aucun intérêt à calmer le jeu avec les colons – ils font partie de sa base électorale.
Alors oui, dix blessés près de Bethléem, ce n’est qu’un samedi parmi d’autres. Mais mis bout à bout, ces samedis-là dessinent une carte de plus en plus explosive.
Et nous, de loin, on regarde. On commente. On oublie parfois que derrière chaque chiffre, il y a des familles qui pleurent. Des deux côtés, d’ailleurs. Parce que tant que cette spirale continuera, personne ne gagne. Absolument personne.
Je termine là-dessus, un peu amer, je l’avoue. Parce que couvrir ce conflit, c’est répéter inlassablement la même chose en espérant que, un jour, quelqu’un écoutera vraiment. En attendant, la Cisjordanie continue de brûler à petit feu. Et ça, ça devrait nous concerner tous.
