Vous est-ce déjà arrivé de sentir votre appartement trembler comme lors d’un petit séisme, alors que vous êtes simplement en train de prendre votre café du matin ? C’est exactement ce que vivent certains Parisiens en ce moment, dans une petite rue pourtant connue pour son calme presque villageois.
Dans le 19e arrondissement, au pied de la très prisée butte Bergeyre, une impasse qui ressemblait jusqu’ici à un havre de paix s’est transformée en zone industrielle à ciel ouvert. Et pas pour quelques jours : pour plusieurs mois.
Quand le béton envahit la vie quotidienne
Depuis quelques semaines à peine, une centrale à béton mobile a pris ses quartiers au bout de la rue. Treize mètres de haut pour le silo, deux presses d’injection, des semi-remorques qui se succèdent dès l’aube… Le tableau est posé, et il n’a rien de bucolique.
Les riverains, eux, décrivent une réalité qui dépasse parfois l’entendement. « On sent physiquement le sol vibrer sous nos pieds », raconte un habitant du rez-de-chaussée. Et quand on lui demande s’il exagère, il pose simplement la main sur le mur : la vibration est là, bien réelle.
Un niveau sonore qui dépasse l’imaginable
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les machines installées atteindraient, selon les mesures effectuées par les habitants eux-mêmes, entre 95 et 105 décibels en pic. Pour vous donner une idée, 85 décibels déjà, c’est le seuil où l’on commence à risquer des lésions auditives en cas d’exposition prolongée.
À titre de comparaison :
- Un marteau-piqueur : environ 100 dB
- Une discothèque : 100 à 110 dB
- Le décollage d’un avion à 100 mètres : 120 dB
Autrement dit, vivre à côté de ce chantier revient parfois à habiter à côté d’un marteau-piqueur qui ne s’arrête jamais.
« On entend le bruit toute la journée. La pelleteuse fait trembler les murs, on respire les gaz d’échappement du groupe électrogène… On ne peut même plus ouvrir les fenêtres. »
Un riverain excédé
Une impasse transformée en zone de transit
La rue, qui était une impasse – donc par définition sans circulation – est devenue un axe de livraison permanent. Les camions-toupies arrivent chargés de sable, de gravier, de ciment. Ils manœuvrent difficilement dans cet espace exigu, klaxonnent, reculent, repartent.
Résultat ? La chaussée est abîmée, les trottoirs parfois bloqués, et les habitants doivent slalomer entre les engins pour rentrer chez eux. Certains parlent même d’un sentiment d’insécurité : « On a l’impression de vivre sur un chantier permanent ».
L’origine du projet : des travaux nécessaires, mais à quel prix ?
Il faut bien comprendre une chose : personne ne conteste la nécessité des travaux. Le bailleur social qui gère une grande partie des immeubles du secteur a lancé un vaste programme de rénovation énergétique. Isolation par l’extérieur, nouveaux systèmes de chauffage… tout cela est louable sur le papier.
Mais pourquoi avoir choisi d’installer la centrale à béton là, au beau milieu d’une zone résidentielle dense, plutôt que sur un terrain vague ou une friche industrielle ? C’est la question que tout le monde se pose.
J’ai moi-même du mal à comprendre cette décision. On nous parle souvent de concertation, de prise en compte des riverains… et puis on se retrouve avec une usine à béton à vingt mètres des chambres à coucher.
Des conséquences sur la santé qui inquiètent
Au-delà du bruit, il y a la poussière de silice. Ce n’est pas un détail. La silice cristalline, présente dans le sable et le béton, est classée cancérogène certain par l’OMS quand elle est inhalée sous forme de poussières fines.
Les habitants racontent que, certains jours, un nuage gris flotte dans l’air. Les balcons sont recouverts d’une fine pellicule. Les enfants toussent davantage. Les personnes âgées ou fragiles respiratoires s’inquiètent légitimement.
Et puis il y a les vibrations. Pas seulement désagréables : potentiellement dangereuses pour les structures anciennes. Certains immeubles datent d’avant-guerre. Les fissures existent déjà. Que va-t-il se passer après des mois de secousses répétées ?
Une rénovation qui risque d’être compromise
Le paradoxe est saisissant. D’un côté, on lance des travaux pour améliorer le confort thermique des logements – ce qui est une excellente chose. De l’autre, on impose des nuisances telles que les habitants envisagent sérieusement de déménager temporairement… ce qui rendrait impossible le suivi des travaux dans leur propre appartement.
Plus grave : certains craignent que les vibrations n’endommagent les nouvelles installations (isolation extérieure, menuiseries) avant même qu’elles ne soient terminées. On rénove d’un côté, on abîme de l’autre. Cherchez l’erreur.
Que dit la réglementation ?
En théorie, tout est encadré. Les arrêtés préfectoraux, les déclarations d’utilité publique, les études d’impact… Mais dans la pratique, les riverains ont l’impression que les seuils sont largement dépassés sans que personne n’intervienne vraiment.
Des mesures acoustiques indépendantes ont été demandées. Des pétitions circulent. Une association de quartier s’est montée en quelques jours seulement. On sent une vraie colère, pas juste des râleries de Parisiens bobos – pardonnez l’expression, mais c’est souvent l’argument facile.
« On nous parle d’écologie, de transition énergétique, mais on nous impose une pollution industrielle à domicile. Où est la cohérence ? »
Et maintenant ?
Les habitants ne comptent pas baisser les bras. Des réunions avec le bailleur ont eu lieu, mais les réponses restent floues. On leur promet des « mesures compensatoires » (des bouchons d’oreilles ?), des horaires aménagés (mais les livraisons commencent à 7h), et surtout… que « ce ne sera pas si long ».
Mouais.
Quand on sait que ce type d’installation peut rester six à neuf mois, on comprend leur scepticisme.
Ce qui frappe dans cette histoire, c’est le sentiment d’impuissance. Des citoyens ordinaires face à une décision prise en haut, sans réelle concertation. Et pourtant, ils paient leur loyer, leurs charges, leurs impôts… pour vivre dans quoi, exactement ?
Franchement, on est en droit de se poser la question : jusqu’où peut-on sacrifier la qualité de vie au nom du « progrès » ou des délais de chantier ?
À l’heure où Paris se veut ville verte, apaisée, exemplaire en matière de transition écologique, ce genre de situation fait tache. Vraiment.
Et quelque part, on se dit que cette petite impasse du 19e est peut-être le symbole d’un malaise plus large : celui d’une ville qui court après ses grands projets sans toujours prendre le temps de regarder ceux qui y vivent.
Affaire à suivre, donc. Très clairement.
(Article mis à jour le 30 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
