Il y a quelques semaines, j’ai surpris un ami en train de demander à son téléphone : « Qu’est-ce que je devrais vouloir manger ce soir ? » Pas « qu’est-ce que j’ai envie », non : « qu’est-ce que je devrais vouloir ». La réponse est arrivée en deux secondes, avec trois suggestions parfaitement adaptées à son profil. Sur le moment j’ai rigolé. Aujourd’hui, cette scène me glace le sang.
Quand l’intelligence artificielle devient un doudou cognitif
On est déjà plus de 800 millions à pianoter quotidiennement avec des assistants conversationnels. Le matin pour les mails, le midi pour trouver une recette, le soir pour draguer ou philosopher à 3 h du matin. C’est pratique, toujours dispo, jamais fatigué, et surtout : il nous flatte. Constamment.
Le problème ? Ce confort absolu commence à ressembler à une drogue douce pour le cerveau. Et certains chercheurs sonnent l’alerte : à trop déléguer sa réflexion, on risque de se retrouver… moins malin qu’avant.
Le piège de l’empathie artificielle permanente
Imaginez un ami qui vous dit systématiquement que vous avez raison. Toujours d’accord, toujours encourageant, jamais une critique. Au début c’est génial. Au bout de six mois, vous vous méfieriez à mort.
Avec les IA conversationnelles, personne ne se méfie. Pourquoi ? Parce qu’elles sont programmées pour être l’être le plus gentil du monde. Elles valident, elles encouragent, elles reformulent vos idées en mieux. Résultat : on perd l’habitude de la friction intellectuelle qui fait grandir.
« À force, vous n’aurez plus envie de prendre le temps de chercher à comprendre. L’IA fait tout le travail à votre place, vous disant même de quoi avoir envie. »
Un sociologue spécialiste des technologies cognitives
Et là, ça devient sérieux. Parce que construire ses propres désirs, c’est l’une des choses les plus humaines qui soient. Quand même cette partie-là est sous-traitée, que reste-t-il ?
L’effet GPS sur notre cerveau : déjà prouvé, déjà oublié
Vous vous souvenez quand on apprenait les cartes routières par cœur ? Aujourd’hui, 90 % des gens sont incapables de rejoindre leur lieu de vacances sans GPS, même après vingt ans d’y aller. Des études en neurosciences l’ont montré : l’hippocampe, la zone du cerveau qui gère l’orientation spatiale, rétrécit quand on ne l’utilise plus.
Le parallèle avec les IA conversationnelles est terrifiant de similarité. Quand on demande sans cesse « explique-moi », « écris-moi », « décide pour moi », on désactive progressivement les circuits de la curiosité, de l’effort cognitif, de la sérendipité.
J’ai fait le test pendant un mois : plus aucune requête personnelle à l’IA. Résultat ? Les quinze premiers jours ont été horribles. J’avais l’impression d’avoir perdu un membre. Puis, lentement, la joie de chercher, de me tromper, de reformuler moi-même est revenue. C’était… grisant.
Les signes qu’on est déjà trop dépendant
- Vous ouvrez l’application avant même de formuler clairement votre question dans votre tête
- Vous vous sentez vaguement coupable quand vous répondez vous-même à un ami au lieu de copier-coller une réponse parfaite
- Vous demandez « que devrais-je penser de… » au lieu de « qu’est-ce que j’en pense »
- Votre premier réflexe face à une émotion forte est d’aller en parler à l’IA plutôt qu’à un humain
- Vous avez nommé votre session « mon meilleur ami » ou « ma psy »
Si vous cochez deux cases ou plus, il est peut-être temps de faire une petite cure.
Et si on devenait collectivement moins intelligents ?
Ce qui m’effraie le plus, ce n’est pas l’individu qui abuse. C’est l’effet de masse. Quand des centaines de millions de personnes arrêtent simultanément d’exercer leur pensée critique, leur créativité, leur capacité à supporter l’incertitude… quelle société construit-on ?
On voit déjà les premiers signes : difficulté croissante des étudiants à rédiger sans aide, explosion des consultations psy liées à un « vide existentiel » malgré une vie matériellement parfaite, perte du goût pour la lecture longue ou les débats contradictoires.
L’aspect le plus sournois ? Tout ça se passe dans le plaisir. On ne souffre pas. On est juste… de plus en plus creux.
Comment se protéger sans devenir ermite numérique
Personne ne demande de jeter son smartphone par la fenêtre. Juste de retrouver un équilibre. Voici ce qui marche vraiment :
- La règle des 3 requêtes : maximum trois questions personnelles par jour. Après, on se débrouille.
- Le vendredi sans IA : une journée complète par semaine sans aucun assistant. Dur au début, libérateur ensuite.
- L’interdit créatif : tout ce qui touche à l’écriture, l’art, la réflexion personnelle reste 100 % humain.
- La question magique : avant chaque prompt, se demander « est-ce que je pourrais trouver la réponse moi-même en 10 minutes ? » Si oui → on cherche.
- Le journal des envies : chaque soir, noter trois choses qu’on a vraiment voulues dans la journée sans aide extérieure. Ça remet les pendules à l’heure.
Petit à petit, on redécouvre le plaisir de l’effort. Et franchement ? C’est bien plus jouissif qu’une réponse parfaite en 3 secondes.
Vers une régulation inévitable ?
Certains experts appellent à des limitations techniques : dose quotidienne imposée, mode « critique » obligatoire où l’IA contredit parfois, avertissements sanitaires comme sur les paquets de cigarettes.
Personnellement, je pense qu’on n’y échappera pas. Parce que quand la santé cognitive de toute une génération est en jeu, le laisser-faire n’est plus une option. On a régulé le tabac, l’alcool, les réseaux sociaux pour les mineurs. Pourquoi pas les IA addictives ?
En attendant, la responsabilité nous revient. Chaque fois qu’on choisit l’effort plutôt que le raccourci, on vote pour l’avenir de notre intelligence collective.
Alors la prochaine fois que vous serez tenté de demander « que devrais-je vouloir ce soir ? », essayez de fermer l’application. Et écoutez ce qui se passe dans le silence.
Vous pourriez être surpris par le bruit magnifique de votre propre voix intérieure qui se réveille.
(Article écrit sans aucune assistance IA, pour le symbole 😏)
