Vous vous souvenez de votre année de troisième ? Moi oui. J’avais un prof de maths génial qui nous faisait rire même en résolvant des équations du second degré. Imaginez maintenant que ce prof manque trois semaines d’affilée, puis encore deux, puis qu’on vous dise qu’il ne reviendra peut-être jamais cette année. Et que ça arrive en français, en histoire, en physique… Bienvenue dans le quotidien de milliers d’élèves de Seine-Saint-Denis en cette fin 2025.
Une bombe à retardement qui explose enfin
Je ne vais pas vous ressortir les chiffres officiels lissés. Non, parlons vrai : dans certains établissements du 93, on frôle déjà les cent heures de cours perdues par élève depuis septembre. Cent heures. C’est presque trois semaines complètes d’école rayées de l’année scolaire. Et on n’est même pas à Noël.
Ce n’est pas nouveau, me direz-vous. Sauf que là, même les plus patients craquent. Les parents d’élèves, d’habitude résignés, préparent des banderoles. Les profs, épuisés, parlent ouvertement de « naufrage ». Et les gamins ? Eux, ils font semblant que tout va bien, mais on voit dans leurs yeux qu’ils ont compris : l’école, cette promesse d’égalité, ne tient plus pour eux.
Quand l’absence devient la norme
Le plus dingue, c’est que le système semble s’être habitué à fonctionner sans professeurs. Un arrêt maladie de quinze jours ? Pas de remplaçant. Congé maternité ? Bonne chance. Formation continue ? On ferme la classe. Et quand par miracle un contractuel arrive, il reste parfois trois jours avant de fuir, terrifié par la charge et les conditions.
« On nous dit qu’il n’y a personne dans le vivier. Mais la vérité, c’est qu’on propose des salaires indignes et des conditions impossibles. Évidemment que personne ne veut venir. »
– Une directrice de collège excédée, sous couvert d’anonymat
Et pendant ce temps, les élèves attendent. Parfois dans la cour, parfois renvoyés chez eux, parfois « gardés » par un pion qui fait ce qu’il peut avec un DVD. L’Éducation nationale appelle ça « continuité pédagogique ». Les parents, eux, appellent ça un scandale.
Le 93, toujours le parent pauvre
On nous ressort chaque année la même carte : les départements les plus en difficulté sont aussi ceux qui attirent le moins les enseignants. Sauf que là, on a franchi un cap. Ce n’est plus une difficulté de recrutement, c’est une hémorragie.
- Salaires d’entrée trop bas pour vivre décemment en Île-de-France
- Classes surchargées (parfois 35 en SEGPA…)
- Établissements vétustes, parfois sans chauffage digne de ce nom
- Violence scolaire en hausse et sentiment d’abandon institutionnel
- Turn-over infernal des équipes
Résultat ? Les jeunes profs font un détour de deux ans maximum dans le 93 pour valider leur mutation, et filent vers des cieux plus cléments. Les anciens, eux, craquent un à un. Burn-out, arrêts longue maladie, reconversions. J’ai croisé l’an dernier une prof d’anglais devenue chauffeur VTC. Elle gagnait plus, et surtout, elle dormait.
Les conséquences qu’on ne veut pas voir
On parle beaucoup des heures perdues. Mais le pire, c’est ce que ces absences font aux gamins sur le long terme. Un collégien qui passe son année sans vrai cours de maths, c’est un lycéen qui va galérer en seconde. C’est un futur étudiant qui abandonnera peut-être. C’est, au final, une reproduction des inégalités à une échelle industrielle.
Et ne me parlez pas des « dispositifs de rattrapage ». Les stages de remise à niveau pendant les vacances ? Sympa, mais quand vous avez déjà trois mois de retard, cinq jours de cours intensifs ne comblent pas le gouffre.
Il y a aussi tout ce qu’on ne mesure pas : la perte de confiance en l’école, le sentiment que « de toute façon, ça ne sert à rien », l’envie d’ailleurs qui se transforme parfois en colère. J’ai vu des gamins brillants renoncer à passer le brevet parce que « à quoi bon, on n’a même pas de prof ».
Les parents passent à l’action
Face au silence assourdissant des autorités, les familles bougent. Des occupations d’écoles ont déjà eu lieu à Saint-Denis et Montreuil. Des manifestations sont prévues début décembre. Les banderoles fleurissent : « Nos enfants ne sont pas des variables d’ajustement » ou « Remplacement immédiat = respect des élèves ».
Ce qui frappe, c’est la détermination. Ce ne sont plus seulement les habituels militants. Ce sont des mamans en hijab et des papas en costard qui se retrouvent ensemble devant les grilles, unis par la même colère. L’école, ce dernier ascenseur social qui grinçait déjà, est en train de tomber en panne. Et personne ne semble vouloir appuyer sur le bouton d’urgence.
Et les solutions, on en parle ?
On entend les éternelles promesses : prime de 5 000 € pour les nouveaux arrivants (quand elle est versée…), doublement des heures supplémentaires, recrutement massif de contractuels. Sauf que les contractuels, on les use en six mois et ils partent. Quant aux primes, elles ne compensent ni le coût de la vie ni le sentiment d’être jetable.
Ce qu’il faudrait ? Osons le dire :
- Une vraie revalorisation salariale, pas des miettes
- Un plan massif de construction et rénovation d’établissements
- Des effectifs plafonnés à 24 en collège, 20 en éducation prioritaire
- Un statut protecteur pour les remplaçants (contrat long, formation, accompagnement)
- Et surtout, arrêter de traiter le 93 comme une zone de relégation
Mais ça coûte cher. Et visiblement, l’égalité républicaine a un prix que certains refusent de payer.
Un miroir tendu à toute la France
Ce qui se passe en Seine-Saint-Denis aujourd’hui arrivera demain dans d’autres départements. La pénurie est nationale, mais elle frappe d’abord les plus fragiles. C’est toujours comme ça. On teste les politiques d’austérité sur les pauvres avant de les généraliser.
Alors oui, c’est une crise locale. Mais c’est aussi le révélateur d’un système à bout de souffle. D’une école qui n’attire plus, qui n reteient plus, qui ne protège plus ceux qui y croient encore.
Et vous, vous feriez quoi à la place de ces parents qui n’ont plus que leurs voix pour se faire entendre ? Moi, je ne sais plus. Mais une chose est sûre : laisser une génération entière sans éducation digne de ce nom, ce n’est pas seulement injuste.
C’est dangereux.
