Dimanche après-midi, vers 16 heures, le bruit des détonations a encore résonné dans le IIIe arrondissement de Marseille. Deux hommes sont à terre, touchés par des balles. L’un, 21 ans, en a pris quatre. L’autre, 32 ans, est blessé à la jambe. On les évacue en urgence, mais leur pronostic vital n’est pas engagé. Soulagement relatif. Parce que dans cette ville, on commence à avoir l’habitude. Et c’est bien ça le problème.
Je vis à Marseille depuis assez longtemps pour avoir vu la situation se dégrader, lentement puis brutalement. Ce n’est plus seulement « des règlements de comptes ». C’est une guerre ouverte, quotidienne, qui touche des gamins de plus en plus jeunes et des quartiers entiers pris en otage.
Une fusillade de plus dans les quartiers nord
Le lieu ? Le quartier Félix-Pyat, dans la cité des Rosiers plus précisément. Un point de deal parmi tant d’autres. Là où la drogue coule à flots et où l’argent facile attire les plus jeunes comme un aimant. Les tirs ont été précis, rapides. Des témoins parlent d’un ou deux individus qui ont ouvert le feu avant de prendre la fuite.
Ce qui frappe, c’est la banalisation. Les riverains n’appellent même plus forcément les pompiers tout de suite. Ils savent que les secours arrivent, que la police boucle le périmètre, que les journalistes débarquent. Et que demain, ou après-demain, ça recommencera.
Des victimes toujours plus jeunes
Le plus jeune des deux blessés n’a que 21 ans. Quatre impacts. Ça veut dire que le tireur ne voulait pas simplement effrayer. Il voulait tuer. Et il a presque réussi.
Cette jeunesse sacrifiée, on la retrouve dans presque tous les faits divers récents. Vendredi, on retrouvait le corps calciné d’un adolescent de 15 ans dans le XIVe arrondissement. Mercredi, un jeune de 18 ans prenait quatre balles dans le dos près de la gare Saint-Charles. Et il y a quinze jours, la mort de Mehdi Kessaci, 20 ans, avait provoqué une marche immense. Plus de 6 000 personnes dans la rue pour dire stop.
Mais six mille personnes, c’est énorme… et en même temps, ça n’a rien changé. Les points de deal tournent toujours. Les guetteurs sont toujours là, parfois à peine adolescents. Et les kalachnikovs continuent de cracher la mort.
Un bilan 2025 déjà dramatique
On en est déjà à au moins seize morts depuis le début de l’année dans les Bouches-du-Rhône, uniquement pour des histoires liées au trafic de stupéfiants. Seize familles détruites. Seize cercueils. Et on n’est même pas en décembre.
Pour vous donner une idée de la cadence :
- Janvier à mars : déjà 5 morts
- Avril-juin : accalmie relative, « seulement » 3 victimes
- Juillet-août : explosion avec 6 règlements de comptes mortels
- Septembre-novembre : on est repartis sur un rythme infernal
Et ce ne sont que les morts. Les blessés, on a arrêté de compter. Les intimidations, les voitures brûlées, les rafales dans les cages d’escalier, c’est le quotidien de trop de Marseillais.
Pourquoi ça ne s’arrête jamais ?
La réponse est simple et terrifiante à la fois : l’argent. Des dizaines de milliers d’euros par jour sur certains points de deal. Des réseaux qui se battent pour le contrôle de territoires minuscules mais ultra-rentables. Et derrière, une demande qui ne faiblit pas. Tant qu’il y aura des consommateurs, il y aura des vendeurs. Et tant qu’il y aura concurrence, il y aura des morts.
« On participe c’est sûr, mais… » Cette phrase, je l’ai entendue mille fois dans la bouche de gens qui consomment « juste le week-end ». Sauf qu’il n’y a pas de consommation responsable quand elle finance des tueurs.
Le narcotrafic marseillais n’est plus une affaire locale. Il est connecté à l’international, à l’Albanie, aux Pays-Bas, au Maroc, à l’Amérique latine. Les armes arrivent par containers entiers. Les jeunes recrues sont jetées en première ligne pour quelques centaines d’euros par semaine. Et quand ils tombent, on les remplace en cinq minutes.
Les réponses de l’État : entre effets d’annonce et réalité
À chaque vague de violence, on nous promet des renforts, des opérations coup de poing, des CRS dans les cités. Parfois, ça calme le jeu deux semaines. Puis tout reprend. Parce que démanteler un réseau ne suffit pas quand dix autres attendent de prendre la place.
Il y a bien eu des saisies records, des arrestations en masse, des chefs présumés qui tombent. Mais la structure même du trafic a changé. Ce n’est plus la grande mafia à l’ancienne. C’est une multitude de petites équipes, ultra-violentes, sans hiérarchie claire. Dès qu’on coupe une tête, trois repoussent.
Et les habitants dans tout ça ?
Ils vivent avec la peur au ventre. Les mères qui interdisent à leurs enfants de sortir après 18 heures. Les vieux qui n’osent plus descendre acheter le pain. Les gamins qui grandissent en pensant que vendre de la drogue, c’est le seul avenir possible.
J’ai discuté avec une éducatrice de Félix-Pyat il y a quelques mois. Elle me disait : « Les petits de 10-12 ans, ils ne rêvent plus d’être footballeurs ou rappeurs. Ils veulent être chouf ou charbonneur. Parce qu’ils voient les billets, les scooters, les baskets de marque. Et personne ne leur montre une autre voie crédible. »
Cette phrase me hante encore.
Y a-t-il une sortie de crise ?
Franchement, je ne sais pas. Il faudrait un plan Marshall pour les quartiers, de l’éducation, du travail, des perspectives. Il faudrait aussi s’attaquer sérieusement à la consommation, avec de la prévention, de la répression, mais surtout de l’accompagnement. Et il faudrait une justice qui tape fort et vite, sans les effets de lenteur qu’on connaît.
En attendant, chaque fusillade nous renvoie à notre impuissance collective. Deux blessés ce dimanche. Demain, ce sera peut-être deux morts. Et après-demain ? On continuera à compter les corps en se disant que « c’est triste » avant de passer à autre chose.
Moi, je refuse de m’habituer. Et vous ?
Si vous habitez Marseille ou si vous suivez cette actualité de près, dites-moi dans les commentaires ce que vous ressentez. Est-ce qu’on finit vraiment par s’habituer ? Ou est-ce qu’un jour, on arrivera à dire stop pour de bon ?
Parce qu’au rythme où vont les choses, 2026 risque d’être encore pire.
