Il y a des chiffres qui vous collent une claque dès le réveil. Ce matin-là, j’en ai pris une belle : plus d’un jeune homme sur trois, entre 16 et 34 ans, consomme régulièrement des contenus qu’on qualifie aujourd’hui de « masculinistes ». Pas juste un like de temps en temps. Non, on parle de vidéos regardées, de phrases répétées entre potes, de « vérités » qui s’installent doucement dans les têtes. Et le pire ? Ces idées-là ne restent pas cantonnées aux écrans. Elles finissent dans les lits, dans les discussions, dans les gestes du quotidien. Et là, ça devient dangereux pour tout le monde.
Quand la « virilité » redevient un poison
Je me souviens encore de l’époque où on pensait que les grandes batailles pour l’égalité et le respect étaient presque gagnées. Éducation sexuelle à l’école, campagnes de prévention partout, le mot consentement enfin entré dans le langage commun. Et puis arrive cette vague. Pas bruyante comme un mouvement politique, non. Discrète, insidieuse, boostée par les algorithmes qui adorent ce qui choque et divise.
On parle de contenus qui remettent la « domination masculine » au goût du jour, qui moquent les femmes qui « exagèrent » avec #MeToo, qui expliquent qu’un vrai mec ne demande pas la permission à chaque étape. Et le plus terrifiant, c’est que ça marche. Vraiment.
Les chiffres qui font froid dans le dos
Un récent sondage a posé des questions très précises à plus de 1 500 hommes. Les réponses donnent le vertige :
- 37 % des 16-34 ans déclarent consommer régulièrement ce type de contenus
- 51 % de ceux qui suivent des influenceurs « alpha » estiment qu’ils « disent enfin la vérité »
- 53 % pensent que les hommes sont trop souvent accusés à tort de violences sexuelles
- 51 % jugent important d’être « viril » avant tout
- Et le clou : 18 % des 25-34 ans (34 % chez les plus imprégnés) disent « comprendre » le retrait furtif du préservatif en cours de rapport
Ce dernier point mérite qu’on s’y arrête deux secondes. On a un nom pour ça : le stealthing. Enlever la capote sans prévenir. Une pratique qui existe depuis toujours, mais qui était unanimement considérée comme dégueulasse. Aujourd’hui, une partie non négligeable des jeunes hommes la trouve… justifiable. C’est là que je me dis que quelque chose a sérieusement déraillé.
Ces croyances augmentent les prises de risques et déstabilisent profondément la culture du consentement, pourtant centrale dans la prévention des infections sexuellement transmissibles.
Une responsable d’association de lutte contre le VIH
Le lien direct avec l’explosion des IST
Et pendant ce temps, les chiffres de santé publique parlent d’eux-mêmes. En dix ans, les nouvelles découvertes de séropositivité chez les 15-24 ans ont bondi de façon spectaculaire. Pas un petit pic. Une vraie flambée. Et on ne peut plus se contenter de dire « les jeunes sont insouciants ». Non. Il y a quelque chose de plus profond, de plus idéologique.
Quand on commence à penser que demander « est-ce que je peux enlever le préservatif ? » fait de vous un faible, on arrête de poser la question. Quand on entend toute la journée que « les filles disent non mais veulent dire oui », on finit par y croire un peu. Et quand on croit ça, on prend des risques. Pour soi. Pour l’autre.
Le résultat ? Une génération qui se protège moins, qui teste moins, qui parle moins. Et qui paie le prix fort.
Comment les algorithmes nous ont lâchés
Je ne vais pas vous refaire le couplet classique « c’est la faute des réseaux ». Mais quand même. Les algorithmes adorent l’émotion forte. La colère, l’indignation, le sentiment d’appartenance à une tribu d’« hommes vrais ». Résultat : un ado qui regarde une vidéo « motivation » le matin se retrouve à 23 h à scroller des contenus qui expliquent que le féminisme a détruit la société. Et il ne s’en rend même pas compte.
Le plus pervers ? Ces créateurs savent exactement comment parler aux ados et jeunes adultes en manque de repères. Ils utilisent leurs codes, leur humour, leur musique. C’est fait pour coller. Pour rester dans la tête.
Des initiatives qui tentent de reprendre la main
Face à ça, certaines associations ont décidé de ne pas rester les bras croisés. L’une d’elles a eu une idée aussi maline qu’audacieuse : infiltrer les mêmes espaces. Créer de fausses vidéos « alpha », avec les mêmes codes visuels, le même montage nerveux, les mêmes phrases choc… mais pour y glisser, mine de rien, des messages de respect, de prévention, de consentement.
Le genre de vidéo où le mec ultra-musclé commence par « Un vrai homme prend ce qu’il veut… » et finit par « …demande si elle est OK, met une capote, et respecte si elle dit non ». C’est discret, c’est sournois dans le bon sens du terme. Et apparemment, ça marche plutôt bien.
Et l’école dans tout ça ?
On parle beaucoup des réseaux, mais il y a un éléphant dans la pièce : l’éducation à la vie affective et sexuelle. En France, on a trois heures par an obligatoires. Trois. Vous avez bien lu. C’est moins que le temps que votre ado passe sur son téléphone dans une seule journée.
Résultat : les jeunes apprennent l’amour, le sexe et les relations… sur Internet. Avec tout ce que ça implique de contenus non vérifiés, de modèles toxiques, de désinformation.
Quand je discute avec des profs, ils me disent tous la même chose : « On n’a ni le temps, ni la formation, ni les moyens. » Et pendant ce temps, les influenceurs, eux, ont tout le temps du monde.
Ce que ça dit de notre société
Au-delà de la santé sexuelle, il y a quelque chose de plus vaste. Ces discours ne sortent pas de nulle part. Ils surfent sur une vraie détresse : celle de garçons et de jeunes hommes qui se sentent perdus dans un monde qui change vite, où les repères traditionnels de la masculinité vacillent.
Perte de sens, précarité, solitude, difficulté à séduire dans un monde hyper-connecté… Tout ça existe. Et certains en profitent pour vendre une solution miracle : « Reprends le contrôle, sois un alpha, les femmes te respecteront. » C’est simpliste, c’est faux, mais c’est rassurant.
Le problème, c’est que cette « solution » en crée dix autres. Des relations déséquilibrées, des violences banalisées, une santé publique en péril.
Vers une remobilisation ?
Des voix s’élèvent pour demander une vraie réponse collective. Renforcer l’éducation à l’école, bien sûr. Mais aussi responsabiliser les plateformes, former les professionnels de santé à repérer ces discours, créer des contre-narratifs positifs qui parlent le même langage que les jeunes.
Parce qu’on ne combat pas la toxicité avec des leçons de morale à l’ancienne. On la combat en étant plus malins, plus présents, plus crédibles là où les jeunes passent leur temps.
Et surtout, en arrêtant de traiter ça comme un « problème de garçons ». C’est un problème de société. Qui nous concerne toutes et tous.
Parce que demain, ces jeunes hommes seront des conjoints, des pères, des collègues, des décideurs. Ce qu’ils apprennent aujourd’hui sur le respect, le consentement, la protection, ils l’emporteront toute leur vie.
Alors oui, l’alerte est sérieuse. Mais elle arrive à temps. On peut encore inverser la tendance. À condition d’arrêter de minimiser, de commencer à écouter, et d’agir. Vite.
Parce que la santé sexuelle des jeunes, ce n’est pas qu’une histoire de capotes et de dépistage. C’est l’histoire de la société qu’on veut construire. Ensemble.
