Vous souvenez-vous de l’époque où, à 2 heures du matin, il fallait jouer des coudes pour commander son kebab sauce samouraï ? Moi oui. C’était presque un rite de passage. Aujourd’hui, quand je passe devant certains spots mythiques de Seine-Saint-Denis ou du Val-d’Oise, je me demande parfois si je ne me suis pas trompé d’heure. Les broches tournent doucement, presque seules. Et le gérant regarde son téléphone avec l’air de quelqu’un qui attend un miracle qui ne viendra pas.
Le kebab est en train de vivre, en Île-de-France, ce que personne n’aurait osé prédire il y a dix ans : un lent mais inexorable déclin. Pas une disparition brutale, non. Plutôt une érosion discrète, jour après jour, sandwich après sandwich.
Le kebab n’est plus le roi de la nuit
Dans beaucoup de villes de banlieue, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Certains patrons avouent avoir divisé par deux leur volume quotidien depuis la fin du Covid. Là où on servait 120 à 150 kebabs par jour sans problème, on peine aujourd’hui à atteindre les 60. Et 2025 s’annonce comme l’année la plus dure jamais connue pour le secteur.
Mais attention, tous les kebabs ne sont pas logés à la même enseigne. Ceux qui ont choisi de travailler une viande de qualité, souvent préparée maison à l’ancienne, s’en sortent encore honorablement. Les autres, ceux qui ont cédé à la facilité en achetant des pains de viande industrielle surgelée… ils trinquent sévère.
L’envolée des coûts qui plombe tout
Premier coup dur : le prix de la viande. Entre 2021 et 2025, le kilo de viande à kebab a pris entre 40 et 60 % selon les morceaux et les fournisseurs. Un restaurateur qui achetait sa viande à 7-8 € le kilo il y a quatre ans doit désormais débourser 12 à 14 €, parfois plus. Et cette hausse, il ne peut pas toujours la répercuter intégralement sur le client.
Résultat ? Le kebab classique qui se vendait 5-6 € il y a quelques années flirte aujourd’hui avec les 8-9 € en banlieue, et dépasse allègrement les 10 € à Paris intra-muros. À ce tarif, il commence à concurrencer… un vrai resto.
« Quand le client voit 9,50 € sur l’ardoise, il hésite. Et souvent, il va juste prendre une frite ou il va ailleurs. »
Un gérant de Sarcelles qui préfère rester anonyme
Le poulet frit, cet ennemi qui ne paie pas de mine
Si vous avez entre 15 et 30 ans, vous le savez déjà : le nouveau roi de la street-food, c’est le poulet frit. Tenders, wings, burgers croustillants… Les enseignes se multiplient à une vitesse folle. Et surtout, elles cassent les prix.
Un menu poulet frit + frite + boisson tourne souvent autour de 7-8 €, là où le kebab équivalent dépasse les 10 €. Pour le même budget, les jeunes préfèrent largement la nouveauté, le côté « à l’américaine » et cette panure ultra-addictive.
- Goût plus neutre et universel que la viande épicée du kebab
- Possibilité de sauces folles (cheddar-bacon, sriracha-mayo…)
- Image plus « clean » (on voit le morceau de poulet, pas une broche mystérieuse)
- Marketing ultra-efficace sur TikTok et Instagram
Et franchement, quand on voit la file d’attente devant certains spots de poulet frit à Stalingrad ou à Châtelet à minuit, on comprend mieux pourquoi le kebab fait grise mine.
La qualité a pris un sérieux coup dans l’aile
Soyons honnêtes : beaucoup de kebabs d’aujourd’hui n’ont plus le goût d’avant. La faute à la viande industrielle, aux pains trop sucrés, aux légumes fatigués. J’ai goûté récemment un « kebab traditionnel » dans une grande ville du 93 qui m’a laissé un arrière-goût de carton mouillé. Pas étonnant que les habitués désertent.
À l’inverse, les rares adresses qui continuent à faire mariner leur viande eux-mêmes, à griller les pains sur place et à couper les tomates le matin même… celles-là affichent complet. Preuve que le problème n’est pas le kebab en soi, mais ce qu’on en a fait.
Le Covid a changé nos habitudes pour de bon
Pendant les confinements, beaucoup ont appris à cuisiner ou se sont tournés vers les applications de livraison. Et une fois la vie revenue « normale », les comportements ne sont pas redevenus comme avant. On sort moins en semaine, on fait plus attention à son budget, on préfère parfois un poke bowl livré en 15 minutes plutôt que d’attendre son tour au kebab du coin.
Ajoutez à ça l’explosion des tacos lyonnais (ces monstres caloriques à la sauce gruyère), des burgers smash, des bowls healthy… Le kebab n’est plus seul sur le trône, il est même devenu le vieux roi qu’on respecte mais qu’on ne couronne plus.
Et demain pour le kebab francilien ?
Certains y croient encore. Ils misent sur une montée en gamme : viande d’exception, pain artisanal, sauces maison, concept plus « gastro-kebab ». D’autres se diversifient en ajoutant du poulet frit à la carte (oui, vous avez bien lu). Et puis il y a ceux qui jettent l’éponge, tout simplement.
Personnellement, j’espère que le kebab va se réinventer. Parce qu’un monde sans bon kebab bien juteux à 3h du mat’, franchement, ça serait quand même un peu triste. Mais pour ça, il va falloir que les pros retrouvent le chemin de la qualité et que nous, les clients, soyons prêts à mettre quelques euros de plus pour un vrai produit.
En attendant, la prochaine fois que vous passerez devant un kebab presque vide, pensez-y : derrière la vitre, il y a souvent un gars qui a ouvert son commerce avec ses économies et qui se demande comment il va payer son loyer le mois prochain.
Et vous, vous en pensez quoi ? Le kebab est-il condamné ou juste en train de traverser une mauvaise passe ? Dites-le moi en commentaire, je suis curieux.
