Imaginez : il y a trois ans à peine, personne n’aurait parié que Volodymyr Zelensky viendrait dix fois à Paris en si peu de temps. Pourtant, ce lundi 1er décembre 2025, le président ukrainien franchit à nouveau les grilles de l’Élysée, deux semaines seulement après sa dernière visite. Dix fois. Le chiffre donne le vertige et dit tout de l’urgence permanente dans laquelle vit l’Europe depuis février 2022.
Je ne sais pas vous, mais moi, à chaque nouvelle annonce de rencontre Macron-Zelensky, j’ai cette petite voix intérieure qui se demande : « Cette fois, est-ce que ça va enfin bouger ? » Parce que, soyons honnêtes, on a tous un peu l’impression de revivre la même séquence en boucle… tout en sentant que quelque chose est en train de basculer.
Une visite qui tombe au pire (ou au meilleur ?) moment
Le timing est presque trop parfait pour être anodin. À peine les négociateurs ukrainiens ont-ils atterri aux États-Unis pour discuter du « plan américain » de sortie de guerre que Zelensky file à Paris. Coïncidence ? Évidemment non. Emmanuel Macron veut clairement peser avant que les grandes manœuvres ne commencent outre-Atlantique.
Et puis il y a cette phrase, lâchée depuis Air Force One par celui qui redevient président dans quelques semaines : « L’Ukraine a quelques petits problèmes difficiles ». Traduction : Trump trouve que Kiev n’est plus vraiment en position de négocier d’égal à égal. Dur à entendre quand on est ukrainien, mais difficile à contester quand on regarde la carte.
Le programme officiel : court, dense, chargé de symboles
10 heures précises : arrivée à l’Élysée. Poignée de main, photos, déclarations à la presse. Ensuite, entretien en tête-à-tête suivi d’un déjeuner de travail. Rien que de très classique, me direz-vous. Sauf que cette fois, chaque minute compte.
- Échange sur les « conditions d’une paix juste et durable »
- Discussion sur le plan américain et les suites de Genève
- Point d’étape sur la « coalition des volontaires » pour les garanties de sécurité
- Coordination européenne renforcée avant les décisions de Washington
En clair, Paris veut garder la main sur le récit européen au moment où tout le monde regarde vers la Maison-Blanche.
Olena Zelenska, l’atout cœur de cette visite
Pour la première fois depuis longtemps, le président ukrainien n’est pas venu seul. Son épouse Olena Zelenska l’accompagne, et elle n’est pas là que pour la photo. Le couple participe ensemble à un événement fort autour de l’initiative Bring Kids Back – « Ramenez les enfants ».
Nearly 2 000 enfants ukrainiens ont déjà pu être rapatriés grâce à ce programme dont Olena Zelenska est la marraine. 2 000. Laissez ce chiffre vous pénétrer. Derrière chaque retour, il y a une famille brisée, un enfant traumatisé, et l’accusation terrible de déportation – crime de guerre qui vaut à Vladimir Poutine un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale.
« Ce crime de guerre odieux… »
– Un ministre européen, hier dans la presse dominicale
En parallèle, un projet culturel baptisé « Le voyage en Ukraine – la culture contre-attaque » sera lancé le soir même au Théâtre de la Ville, toujours en présence de la Première dame ukrainienne. Message : l’Ukraine résiste aussi par sa culture, pas seulement par ses armes.
Le contexte est plus sombre qu’il n’y paraît
Revenons un instant à la réalité du terrain. Pendant que les caméras filment les sourires de circonstance à l’Élysée, l’Ukraine subit nuit après nuit des vagues de drones et de missiles. Les systèmes de défense aérienne russes sont pilonnés, mais les stocks ukrainiens s’épuisent aussi. Et surtout, l’hiver arrive – cet hiver que tout le monde redoute depuis trois ans.
Et puis il y a cette affaire qui empoisonne tout : le scandale de corruption qui a coûté sa place à Andriï Iermak, l’homme le plus puissant d’Ukraine après Zelensky. Quand votre bras droit est limogé pour des soupçons graves, forcément, ça fragilise votre crédit à l’international.
Donald Trump n’a d’ailleurs pas manqué de le souligner, presque avec gourmandise : « Il y a une situation de corruption, ce qui n’aide pas ». Aïe. Venant de celui qui va bientôt tenir les clés de l’aide militaire américaine, la phrase fait mal.
La France veut-elle vraiment peser ?
On le sait, Emmanuel Macron rêve depuis le premier jour d’être l’homme de la « paix juste et durable ». Il a multiplié les initiatives : conférence de Paris, coalition pour l’artillerie, formation de pilotes, et maintenant cette « coalition des volontaires » pour les garanties de sécurité à long terme.
Mais entre nous, l’impression qui domine parfois, c’est que la France parle beaucoup… et agit surtout en solo ou presque. Les Allemands traînent des pieds sur les missiles Taurus, les Britanniques et Polonais sont plus offensifs, les Américains tiennent la bourse. Où est la vraie coordination européenne tant promise ?
Cette visite pourrait être l’occasion de remettre les choses à plat. Ou de constater, une fois encore, que l’Europe avance en ordre dispersé.
Et demain ? Trois scénarios possibles
À l’issue de ce déjeuner, plusieurs issues sont possibles. Permettez-moi une petite prospective – après tout, c’est aussi le rôle d’un blogueur de prendre un peu de hauteur.
- Le scénario du statu quo amélioré
Macron et Zelensky s’accordent sur un communiqué commun appelant à maintenir la pression sur Moscou et à préparer des garanties de sécurité. Rien de révolutionnaire, mais l’Europe garde la face. - Le scénario du coup diplomatique
La France annonce une nouvelle initiative majeure (envoi de Mirage 2000-5 modernisés ? Instructeurs sur le sol ukrainien ?). Improbable, mais pas totalement exclu. - Le scénario de la douche froide
Les deux présidents affichent leurs divergences sur la nature des futures négociations avec la Russie. Zelensky repart avec des mots gentils… et aucune avancée concrète.
Mon petit doigt me dit qu’on se dirige plutôt vers le scénario numéro 1, avec peut-être une pointe du numéro 3. Mais l’Histoire nous a appris à ne jamais dire jamais.
Ce que cette visite nous dit de nous
Au-delà des communiqués et des poignées de main, il y a quelque chose de profondément émouvant dans cette dixième visite. Elle dit notre fatigue collective, mais aussi notre obstination. L’Europe, malgré ses divisions, continue de recevoir Zelensky comme un chef d’État en guerre, pas comme un mendiant. Et ça, c’est déjà une victoire en soi.
Elle dit aussi que nous sommes entrés dans une phase où chaque rencontre compte double. Parce que l’hiver arrive, parce que Trump revient, parce que les opinions publiques européennes commencent à douter. Chaque photo, chaque mot, chaque promesse pèse désormais des tonnes.
Alors oui, on peut se moquer de ces ballets diplomatiques qui semblent tourner en rond. Mais tant que Zelensky peut encore venir à Paris, parler librement, et repartir avec un peu d’espoir – même mince –, c’est que l’Ukraine n’a pas perdu. Pas encore.
Et nous non plus.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, je vais suivre cette journée avec une attention particulière. Parce qu’entre deux selfies présidentiels et déclarations lénifiantes, il y a parfois des moments où l’Histoire bégaie… ou fait un pas de géant.
Au final, cette dixième visite n’est peut-être qu’une de plus. Ou peut-être celle de trop. Ou celle qui aura tout changé.
On saura ça dans quelques heures. Ou dans quelques années.
