Imaginez un instant que votre entreprise, votre commune, votre hôpital, votre école maternelle du coin, se retrouve soudain sans un euro prévu pour fonctionner à partir du 1er janvier. Plus de salaires, plus de subventions, plus rien. C’est exactement le scénario cauchemar que brandit actuellement le Premier ministre pour secouer les parlementaires. Et franchement, on commence à sentir la sueur froide.
Un cri d’alarme qui change de ton
Ce lundi matin, Sébastien Lecornu a pris sa plume – ou plutôt son smartphone – pour publier une lettre ouverte qui sort du cadre habituel de la communication gouvernementale. Pas de langue de bois, pas de chiffres assommants. Juste une mise en garde brutale : sans budget voté avant la fin de l’année, la France court droit dans le mur.
Ce qui frappe, c’est la franchise. Il reconnaît d’entrée que le texte final « ne reflétera pas mes convictions » et probablement pas non plus celles de la majorité des Français. Autrement dit : on va avaler des couleuvres, mais on va les avaler ensemble.
« Croire qu’un pays peut prospérer sans budget voté, c’est une illusion dangereuse »
Sébastien Lecornu, 1er décembre 2025
Pourquoi c’est si urgent (et pas juste un caprice de Matignon)
Beaucoup de gens pensent que « pas de budget » signifie simplement qu’on reconduit celui de l’année précédente. Grave erreur. En réalité, sans vote, l’État passe en régime des douzièmes provisoires : chaque mois, il ne peut dépenser que 1/12e du budget précédent. Autant dire qu’on met le pays sous perfusion.
Et là, ça fait mal. Très mal.
- Les nouveaux projets (écoles, hôpitaux, transitions écologiques) ? Gelés.
- Les hausses prévues (défense, police, justice) ? Reportées sine die.
- Les aides aux entreprises en difficulté ? Susceptibles de disparaître du jour au lendemain.
- Les collectivités locales ? À sec dès février-mars.
Certains estiment déjà le coût d’un mois sans budget à plus de 12 milliards d’euros de pertes directes et indirectes. Et encore, c’est une estimation basse.
Ce que Lecornu a déjà lâché (et ce qu’il refuse toujours)
Pour comprendre l’ampleur du compromis en cours, il faut revenir sur les lignes rouges que le gouvernement a accepté de franchir… ou pas.
D’un côté, il peut se targuer d’avoir tenu bon sur plusieurs points qui tiennent à cœur aux entrepreneurs :
- Refus catégorique de taxer le patrimoine professionnel
- Rejet des taxes à la constitutionnalité douteuse (coucou l’impôt sur les super-dividendes version extrême)
- Maintien de la baisse de la CVAE (même si elle est passée un peu inaperçue)
- Hausse significative du budget défense (parce que, ben… regardez la carte du monde en ce moment)
Mais de l’autre côté, il a dû céder du terrain. On parle de hausses d’impôts ailleurs, de reports de baisse de charges, de coupes dans certains ministères régaliens. Rien qui fasse plaisir, mais tout ce qui permet de faire tenir la baraque.
La semaine décisive qui s’annonce
Cette semaine, Matignon passe en mode marathon diplomatique interne.
Mercredi, c’est le Medef qui défile. Jeudi, la CFDT et FO. Entre-temps, des dizaines de coups de fil, de déjeuners discrets, de SMS envoyés à 2h du matin. L’objectif ? Trouver les 15-20 voix qui manquent encore pour éviter le 49.3 ou, pire, l’absence totale de texte.
Parce que oui, même le 49.3 ne garantit plus rien aujourd’hui. Si l’opposition dépose une motion de censure et qu’elle passe… game over.
« Chacun devra désormais dire où il se situe : avec ceux qui veulent faire tenir le pays, ou avec ceux qui préfèrent le voir vaciller »
La phrase est dure. Elle vise clairement certains élus qui, selon l’exécutif, jouent le pourrissement en espérant des élections anticipées. Sauf que dans ce jeu-là, c’est tout le pays qui risque de perdre.
Et les Français dans tout ça ?
J’ai discuté ce week-end avec un ami chef d’entreprise en région. Il m’a dit : « Moi je veux juste savoir si je peux embaucher en janvier ou pas. Le reste, les batailles de posture, j’en ai rien à faire. »
Cette phrase résume tout. Les entrepreneurs ne demandent pas la lune. Ils demandent de la visibilité. Un horizon. Même imparfait.
Et c’est exactement ce que Lecornu essaye de leur promettre : un budget, même bancal, vaut mieux que le vide abyssal.
Le précédent historique qui fait peur
On a déjà vécu ça. En 2023, le budget avait failli ne pas passer. Résultat ? Des mois de tension, une image dégradée à l’international, des agences de notation qui toussotent.
Mais là, on est sur une autre échelle. Avec une Assemblée encore plus fragmentée et une situation géopolitique explosive, le risque est démultiplié.
Lecornu le dit sans détour : l’image de la France dans le monde est en jeu. Et quand un Premier ministre parle d’image du pays, c’est rarement bon signe.
Alors, compromis ou chaos ?
À l’heure où j’écris ces lignes, personne ne sait quel sera le visage du budget 2026. Peut-être un texte raboté, critiqué de tous les côtés, mais voté. Peut-être un 49.3 suivi d’une motion de censure. Peut-être… rien.
Mais une chose est sûre : on est à un de ces moments où l’histoire politique bégaie. Où des décisions prises dans l’urgence d’une semaine peuvent marquer un pays pour des années.
Et vous, vous en pensez quoi ? Vous préférez un budget imparfait mais voté, ou vous estimez qu’il vaut mieux tout bloquer pour forcer des élections ?
Parce qu’au fond, c’est ça la question que Sébastien Lecornu pose à tout le monde en ce moment. Parlementaires, partenaires sociaux, opinion publique.
Et la réponse qu’on lui donnera collectivement risque de déterminer bien plus que le simple équilibre des comptes publics pour 2026.
Elle dira surtout quel type de démocratie on veut pour les années à venir : une démocratie qui sait compromis même quand ça fait mal, ou une démocratie du tout ou rien qui finit toujours par rien.
À suivre. De très près.
