Imaginez une ville accrochée à ses montagnes, avec son château qui domine la vallée comme un vieux gardien. Pendant plus de dix ans, un seul homme a tenu les rênes de Pau, presque sans trembler. Et puis, d’un coup, tout semble vaciller. On est en décembre 2025 et, pour la première fois depuis longtemps, on se dit que François Bayrou pourrait bien perdre sa mairie en mars prochain. Franchement, ça fait bizarre à écrire.
Une union de la gauche qui change la donne
Ce qui se passe actuellement dans le Béarn n’est pas une simple candidature de plus. C’est une véritable coalition qui se monte, et pas la petite version bricolée des dernières fois. Socialistes, communistes, écologistes de plusieurs chapelles, anciens proches de la France insoumise… presque tout le monde s’est mis autour de la table. Le nom du porte-étendard ? Jérôme Marbot, 48 ans, avocat, déjà conseiller municipal d’opposition et ancien adjoint – oui, il connaît la maison de l’intérieur.
Son slogan ? « Changer d’Ère ». Simple, direct, presque brutal. Et le message envoyé aux caméras ce samedi-là était clair : « François Bayrou doit et va être battu ». On n’y va pas avec le dos de la cuillère. D’habitude, on réserve ce genre de phrase pour les meetings surchauffés. Là, c’est dit dès le lancement de campagne, tranquillement, comme une évidence.
Il est temps que Pau tourne la page d’un pouvoir personnel qui dure depuis trop longtemps et qui a montré ses limites au niveau national.
Jérôme Marbot, candidat de l’union de la gauche
Une union… mais pas encore totale
Attention, tout n’est pas encore réglé à gauche. Il manque encore quelques morceaux au puzzle. Les Écologistes purs et durs et Place publique hésitent, veulent une primaire. Et surtout, un candidat insoumis a déjà annoncé qu’il fera liste à part. Silvano Marian ne lâche pas l’affaire et compte bien incarner la gauche « vraiment de gauche ». Résultat : l’union est large, mais elle reste fragile. Un peu comme en 2022 au niveau national, on connaît la musique.
Mais même avec ces fissures, l’équation change. Parce que quand cinq partis se mettent d’accord pour porter un même nom sur l’affiche, ça commence à peser lourd dans une ville de 80 000 habitants où les triangulaires peuvent tout faire basculer.
L’affaire Bétharram, le boulet qui traîne
On ne peut pas parler de cette campagne sans évoquer l’affaire Bétharram. Pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents : une commission d’enquête a pointé du doigt l’inaction – ou du moins le manque de réactivité – de François Bayrou face aux révélations de violences physiques et sexuelles dans cette institution où il a lui-même scolarisé ses enfants. Le sujet est ultrasensible. Et dans une ville de cette taille, ça touche tout le monde, directement ou indirectement.
Les avocats des victimes ne s’en cachent pas : ce dossier sera « un marqueur » de la campagne. Traduction : on va en entendre parler à chaque meeting, à chaque tract, à chaque débat. Et Bayrou, même s’il conteste fermement les conclusions de la commission, sait que l’image colle à la peau.
- Des familles directement concernées dans l’électorat
- Un sentiment de proximité avec l’institution bétharramiste très fort dans le Béarn
- Une couverture médiatique nationale qui a remis le sujet sur la table à l’automne
Autant dire que ça pèse plus lourd qu’un simple « incident de parcours ».
Le passage à Matignon, un cadeau empoisonné ?
Revenons un peu en arrière. Printemps 2025 : Emmanuel Macron nomme François Bayrou Premier ministre. Dans l’absolu, c’est le couronnement d’une carrière. Dans les faits, neuf mois plus tard, ça ressemble plutôt à un retour de bâton.
Pendant son passage à Matignon, Bayrou a continué à présider des conseils municipaux à Pau plutôt que de rester à Paris certains jours où la France brûlait (remember la crise à Mayotte). Symbole fort. Trop fort peut-être. Ses adversaires en ont fait des gorges chaudes : « Il préfère sa ville à la France ». Le genre de phrase qui marque les esprits.
Et puis il y a eu la censure, la chute du gouvernement, le retour précipité dans le Béarn. Beaucoup y ont vu la preuve que le personnage était dépassé, appartenant à une autre époque. Jérôme Marbot l’a dit sans détour : « C’est un homme politique de la fin du XXe siècle ». La formule est cruelle, mais elle colle à l’image que certains veulent renvoyer.
Un fief centriste qui peut basculer
Il faut se rappeler l’histoire pour comprendre l’enjeu. De 1971 à 2014, Pau était une ville socialiste. Presque un demi-siècle. Bayrou a renversé la table en 2014, puis conforté en 2020. Mais la ville reste profondément marquée à gauche dans beaucoup de quartiers populaires. Et la droite traditionnelle n’est pas si forte.
Au second tour, si la gauche arrive unie (ou presque), et si le centre se fissure avec plusieurs listes (on parle déjà d’une candidature dissidente MoDem), tout devient possible. Les triangulaires, dans une ville comme Pau, ça peut faire très mal au sortant.
Et puis il y a l’âge. À 74 ans, Bayrou n’a toujours pas officiellement déclaré sa candidature. Officieusement, tout le monde sait qu’il ira. Mais chaque semaine qui passe sans annonce officielle alimente le doute. Et si, cette fois, il laissait la place ? Peu probable, mais la question commence à trotter dans certaines têtes.
Ce que disent les observateurs locaux
Dans les cafés du centre-ville, on sent la tension monter doucement. Les commerçants, les retraités, les étudiants : tout le monde a son avis. Certains disent que Bayrou reste indéboulonnable grâce à son aura nationale. D’autres estiment que le ras-le-bol est réel, que l’affaire Bétharram a laissé des traces profondes, que le bilan municipal est critiqué (transports, propreté, coût de la vie…).
On a l’impression qu’il gère la ville comme un notable d’un autre temps. Les gens veulent du neuf, du concret, pas des grandes phrases.
Un élu d’opposition, sous couvert d’anonymat
Même du côté des sympathisants centristes, on sent une forme de lassitude. Le passage à Matignon, qui aurait dû être un tremplin, ressemble parfois à un poids mort.
Les enjeux concrets pour les Palois
Derrière les grandes phrases, il y a la vie quotidienne. Les candidats de gauche mettent en avant plusieurs priorités :
- Une politique écologique plus ambitieuse (végétalisation, mobilité douce)
- Le soutien aux associations et à la culture de proximité
- La lutte contre la précarité étudiante (Pau reste une ville universitaire importante)
- La transparence dans les marchés publics et la gouvernance
Des thèmes qui parlent, surtout quand on les oppose à un bilan perçu comme trop centré sur les grands projets et l’image.
Et si Bayrou perdait vraiment ?
Personne n’ose encore y croire totalement. Mais l’idée fait son chemin. Perdre Pau, pour François Bayrou, ce serait perdre bien plus qu’une mairie. Ce serait la fin symbolique d’une époque, la fin d’un fief qui structurait toute sa carrière depuis trente ans.
À l’inverse, pour la gauche, ce serait une victoire retentissante. Un peu comme Bordeaux en 2020 ou Strasbourg. Un signal envoyé au niveau national : même les barons du centre peuvent tomber.
On est encore loin du scrutin. Quatre mois, c’est une éternité en politique locale. Mais une chose est sûre : pour la première fois depuis 2014, François Bayrou n’est plus totalement maître du jeu. Et ça, franchement, ça change tout.
Alors, verdict en mars ? Une chose est certaine : la campagne paloise risque d’être l’une des plus passionnantes de France en 2026. Et on n’a pas fini d’en parler.
