Vous souvenez-vous de l’excitation quand les dates du prochain Festival d’Angoulême tombaient ? Ce petit frisson qui parcourait la communauté BD dès l’automne, cette envie irrépressible de bloquer le dernier week-end de janvier. Eh bien cette année, le frisson est là… mais il est glacé. L’édition 2026, la 53ᵉ, n’aura tout simplement pas lieu. Annulée. Rideau. Fin de l’histoire, du moins pour cette fois.
Je dois vous avouer que la nouvelle m’a coupé le souffle. Pas seulement parce que c’est un événement que j’ai arpenté pendant des années, carnet à la main, mais parce qu’on sent que quelque chose de plus profond est en train de se casser dans le monde de la bande dessinée.
Un festival au bord du gouffre depuis des mois
Reprenons depuis le début, parce que tout ne s’est pas joué en un jour. Depuis l’été, les signaux étaient au rouge vif. Des auteurs, d’abord par petits groupes, puis par centaines, appelaient ouvertement au boycott. Pas le genre de boycott timide où on râle sur les réseaux avant d’y aller quand même. Non, un boycott déterminé, avec tribunes, pétitions, communiqués cinglants.
Et puis il y a eu cette histoire qui a tout fait basculer. Une salariée de la structure organisatrice qui porte plainte pour viol, en marge de l’édition précédente. Elle est licenciée peu après. Le lien de cause à effet est nié par la direction, évidemment, mais dans le milieu, ça passe aussi bien qu’une case de dialogue vide dans une planche de Tardi.
« On ne peut plus cautionner une structure qui traite ainsi les femmes et qui transforme le festival en supermarché du 9ᵉ art. »
– Un collectif d’autrices très suivi
La dérive commerciale : le reproche qui revenait sans cesse
On l’entendait murmurer depuis plusieurs années, mais là, ça a explosé. Beaucoup reprochent à l’organisation d’avoir transformé le festival en gigantesque foire commerciale. Plus de place pour les petits éditeurs indépendants, des stands hors de prix, des files d’attente interminables pour une dédicace de cinq secondes, des expositions parfois jugées bâclées au profit d’opérations marketing.
Je me souviens encore de l’édition 2019 où certains couloirs étaient si bondés qu’on avançait au ralenti, comme dans un manga de Kaiju. À l’époque c’était presque drôle. Aujourd’hui, c’est devenu un argument massue.
- Stands de plus en plus chers, inaccessibles pour les micro-éditeurs
- Expositions « blockbuster » au détriment des découvertes
- Partenariats commerciaux omniprésents
- Sensation que l’artiste passe après le business
Les éditeurs claquent la porte les uns après les autres
Puis les grandes maisons ont suivi. D’abord discrètement, puis de façon assumée. Quand on voit les communiqués tomber, c’est impressionnant : « confiance rompue », « conditions incompatibles avec nos valeurs », « impossible de garantir la sérénité nécessaire »… On se croirait à la fin d’une relation amoureuse particulièrement douloureuse.
Et quand les poids lourds se retirent, le château de cartes s’écroule. Sans eux, pas de têtes d’affiche, pas de nouveautés à présenter, pas de files d’attente monstrueuses devant les stands. En clair : pas de festival viable.
Les financeurs publics mettent le point final
Le coup de grâce est venu des collectivités. Le festival vit à moitié grâce à l’argent public – environ trois millions d’euros par an. Quand les élus ont vu le mur se dresser, ils ont simplement dit stop.
Leur argument ? « Impossible d’organiser sereinement l’événement dans ces conditions. » Traduction : on ne va pas mettre des millions dans un festival boycotté par la majorité de la profession et entaché de scandales.
« Il est plus que compliqué de maintenir l’édition 2026. »
– Le communiqué des financeurs
Et maintenant ? L’avenir du festival en question
La grande question qui brûle toutes les lèvres : est-ce la fin définitive ? Beaucoup l’espèrent, ou plutôt souhaitent une refonte totale. Une reprise en main par les auteurs eux-mêmes, peut-être sous forme coopérative. D’autres imaginent un nouvel événement, ailleurs, avec une autre philosophie.
Ce qui est sûr, c’est que le modèle actuel est mort. Enterré sous les planches abandonnées et les bulles vides.
Personnellement, ça me rend triste et en colère à la fois. Triste parce que ce festival a accompagné ma passion pour la BD depuis l’adolescence. En colère parce qu’on a laissé une structure privée transformer un bien commun culturel en machine à cash, jusqu’à l’implosion.
Ce que cette annulation dit de la BD aujourd’hui
Derrière le drame, il y a une réalité plus large. La bande dessinée française traverse une crise profonde. Les auteurs gagnent de moins en moins, les éditeurs indépendants ferment boutique, les librairies spécialisées luttent pour survivre face aux grandes surfaces et au online.
Angoulême n’est que le symptôme visible d’un mal plus profond. Un peu comme si le patient faisait enfin une crise cardiaque après des années d’alertes ignorées.
- Précarité croissante des auteurs (70 % gagnent moins que le SMIC)
- Concentration du marché entre quelques gros groupes
- Disparition progressive des petites maisons d’édition
- Difficulté à vivre de la création pure
Peut-être que cette annulation, aussi brutale soit-elle, est le choc nécessaire. Celui qui forcera tout le monde – auteurs, éditeurs, institutions – à se mettre autour de la table. Pas pour sauver un festival, mais pour sauver tout un écosystème.
Des alternatives commencent déjà à germer
Et pendant qu’on pleure la grande messe angoumoisine, des initiatives fleurissent un peu partout. Des festivals plus petits, plus humains, tenus par des passionnés. Des salons indépendants qui refusent les logiques marchandes. Des rencontres directement dans les librairies ou les médiathèques.
C’est peut-être ça, la vraie bonne nouvelle. La BD n’a pas besoin d’un méga-événement pour exister. Elle a besoin de lecteurs, d’auteurs vivants, et d’espaces où l’on parle encore d’histoires avant de parler business.
Janvier 2026 sera bizarre. Les habitués regarderont leur agenda avec un pincement au cœur. Mais peut-être que ce vide laissera enfin la place à autre chose. Quelque chose de plus juste, de plus sincère.
La bulle n’a pas éclaté. Elle a simplement changé de forme.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Le Festival d’Angoulême vous manque-t-il déjà, ou êtes-vous de ceux qui espèrent voir naître autre chose ? Dites-le moi en commentaire, j’ai vraiment envie de savoir où on va tous ensemble.
