Imaginez la scène : le Groupama Stadium vibre, les projecteurs allumés, 50 000 personnes qui hurlent de joie pour revoir Sonny Anderson, Sidney Govou ou Samuel Umtiti. Et au milieu, costume impeccable, Jean-Michel Aulas donne le coup d’envoi fictif. Applaudissements nourris, selfies, émotion. Tout va bien… jusqu’à ce qu’un communiqué tombe comme un carton rouge : l’opposition d’extrême droite annonce vouloir saisir la commission des comptes de campagne. Là, on se dit que la politique lyonnaise, même un dimanche de fête, ne prend jamais de repos.
Un simple hommage ou un coup politique déguisé ?
Franchement, quand on connaît l’histoire de l’Olympique Lyonnais, voir son ancien président historique sur la pelouse pour les 75 ans du club paraît presque logique. Trente-six ans à la tête de l’OL, sept titres de champion consécutifs, deux demi-finales de Ligue des Champions, un stade sorti de terre… Aulas, c’est un peu le père fondateur moderne du foot lyonnais. Alors lui confier le coup d’envoi symbolique, c’était presque une évidence pour les organisateurs.
Mais voilà, nous sommes en décembre 2025. Les municipales approchent à grands pas et l’homme d’affaires s’est lancé dans la course à la mairie de Lyon et à la métropole. Du jour au lendemain, chaque apparition publique devient suspecte. Et quand le compte officiel du club mentionne son compte de campagne dans les publications Instagram, ça commence à sentir le soufre pour certains.
« Cette mise en avant inédite par le club de football de la ville d’un candidat aux élections municipales dans la même ville, en pleine période pré-électorale officielle, contrevient frontalement aux obligations strictes du code électoral »
Alexandre Dupalais, tête de liste RN-UDR
Le ton est donné. Pour le Rassemblement national local, on est clairement face à un avantage en nature offert par l’OL à son ancien patron. Et ils ne comptent pas laisser passer ça.
Que dit vraiment le code électoral ?
Alors, petit rappel pour ceux qui auraient séché les cours d’instruction civique. Pendant la période pré-électorale (six mois avant le scrutin), tout candidat doit respecter une stricte égalité de traitement. Pas question d’utiliser des moyens publics ou privés pour se mettre en avant de façon disproportionnée. Et surtout, tout avantage en nature doit être déclaré dans les comptes de campagne.
Le hic ? Le club a beau être une entreprise privée aujourd’hui, il reste profondément ancré dans l’identité lyonnaise. Le stade appartient encore en partie à l’intéressé. Et surtout, l’événement a été massivement relayé sur les réseaux avec des mentions directes vers son profil politique. Difficile de faire comme si de rien n’était.
- Le compte OL tague le compte @Aulas2026 → fait avéré
- Le candidat répond depuis ce même compte avec photos et vidéos → fait avéré
- Aucune communication politique explicite pendant le match → argument de la défense
L’entourage d’Aulas, lui, reste zen. « Aucun slogan, aucune profession de foi, juste un ancien président qui rend hommage à son club. » Juridiquement, ils estiment être dans les clous. Mais dans les faits, l’image d’un homme applaudi par 50 000 personnes quelques mois avant le scrutin, ça pèse lourd dans une campagne.
Lyon, ville où le foot et la politique ne font qu’un ?
On va se le dire franchement : à Lyon, le foot et la politique, c’est une longue histoire d’amour. Gérard Collomb avait fait de l’OL un levier de sa communication pendant des années. Le Groupama Stadium, c’est lui qui l’a soutenu politiquement. Avant lui, Raymond Barre posait déjà avec les joueurs. La tradition est ancienne.
Mais là, on change d’échelle. Aulas n’est plus seulement un soutien ou un invité d’honneur. Il est candidat. Et pas n’importe lequel : les sondages le créditent parfois en tête au premier tour, devant les écologistes sortants et la droite traditionnelle. Dans ce contexte, chaque minute d’exposition compte double.
D’ailleurs, je trouve assez savoureux ce retournement de situation. Pendant des décennies, on a reproché à Aulas de faire de la politique dans son club. Aujourd’hui, on lui reproche de faire du club dans sa politique. Le cercle est bouclé.
Et les autres candidats dans tout ça ?
Pour l’instant, la majorité écologiste de Grégory Doucet reste plutôt discrète sur le sujet. Sans doute parce qu’elle sait que critiquer Aulas sur le terrain du foot, à Lyon, c’est un peu comme insulter la quenelle : ça ne passe pas. La gauche radicale, elle, commence à grincer des dents mais n’a pas encore officiellement réagi.
Du côté de la droite modérée, c’est silence radio également. Peut-être parce que certains aimeraient bien, eux aussi, un petit coup de projecteur au Groupama Stadium le jour venu. Seul le RN a dégainé en premier, fidèle à sa stratégie de victimisation et de dénonciation des « privilèges.
Ce qui est certain, c’est que cette affaire va faire jurisprudence. Si la commission valide la démarche d’Aulas, on risque de voir fleurir les « coups d’envoi honorifiques » dans tous les stades de France d’ici mars. Si elle donne raison au RN, alors chaque selfie avec un ancien joueur deviendra suspect.
L’image plus forte que mille discours
Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est à quel point l’image reste reine en politique. Aulas n’a pas eu besoin de parler une seule fois de son programme dimanche. Il a juste été là, au bon endroit, au bon moment, entouré de gloire passée. Et ça suffit.
Dans une ville où l’OL est une religion, se montrer au milieu des légendes, c’est comme recevoir la bénédiction populaire directe. Pas besoin de tracts ou de meetings. Une photo avec Juninho et c’est dix points dans les sondages, ou presque.
Et c’est peut-être ça qui dérange le plus l’opposition : l’efficacité redoutable de la méthode. Parce que pendant qu’eux distribuent des professions de foi sur les marchés, Aulas, lui, récolte les acclamations dans un stade.
Vers une campagne 100 % people ?
Cette polémique ouvre en réalité une question plus large : jusqu’où la notoriété peut-elle remplacer le débat d’idées ? À Lyon, on a déjà vu des anciens joueurs se lancer en politique. Cris, Govou… la liste est longue. Mais jamais avec le poids symbolique d’un président historique.
Et si demain Laurent Blanc ou un autre entraîneur légendaire se présentait ? Est-ce qu’on lui reprocherait aussi de venir saluer les supporters ? La frontière devient floue. Et c’est peut-être ça le vrai sujet : notre époque préfère les icônes aux programmes.
Personnellement, je trouve ça à la fois fascinant et un peu inquiétant. Parce que si le charisme et l’histoire personnelle suffisent à gagner une élection, alors à quoi bon les débats, les projets, les idées ?
Et maintenant ?
La commission des comptes de campagne va devoir trancher. Soit elle estime qu’il n’y a pas eu communication politique et classe l’affaire. Soit elle considère qu’il y a eu avantage en nature et demande une régularisation. Dans les deux cas, l’histoire aura fait le tour des réseaux et aura surtout offert à Aulas une publicité gratuite monumentale.
Comme souvent en politique, le meilleur coup est parfois celui qu’on ne voit pas venir. Et là, même si la commission donnait raison au RN, le mal est fait : tout le monde a vu Aulas au centre du terrain, applaudi comme un roi. Et ça, aucune décision administrative ne pourra l’effacer.
Alors, simple tradition footballistique ou vrai coup de maître électoral ? À vous de juger. Mais une chose est sûre : à Lyon, la campagne 2026 a déjà commencé. Et elle se joue autant sur le terrain que dans les tribunes.
En attendant le match des Légendes aura peut-être été bien plus qu’une fête d’anniversaire. Il pourrait devenir le premier acte d’une campagne qui s’annonce explosive. Et quelque part, Jean-Michel Aulas doit se dire que, même à 76 ans, il sait encore marquer des buts décisifs. Même hors du terrain.
