Vous est-il déjà arrivé de croiser quelqu’un dans la rue et de vous demander, l’espace d’un instant, dans quel monde il vit vraiment ?
Dimanche 30 novembre, vers 13 heures, les habitués du marché de Montataire (Oise) ont eu la réponse en direct. Un homme déambule entre les étals, une arme longue à l’épaule, l’air déterminé. Panique générale. Les appels au 17 se multiplient. Et quand les policiers arrivent, l’histoire prend un tour complètement surréaliste.
Un marché paisible qui bascule en quelques minutes
Montataire, petite ville de 13 000 habitants, est connue pour son marché du dimanche, ses prix sympas et son ambiance familiale. Ce jour-là, il faisait frisquet mais sec, le genre de temps qui donne envie de flâner entre les stands de fromages et de vêtements. Rien ne laissait présager le chaos.
Soudain, les cris. Un homme, la trentaine ou la quarantaine, difficile à dire, marche d’un pas décidé, une réplique d’arme de guerre en bandoulière. Pour le commun des mortels, c’est une kalachnikov. Pour les connaisseurs d’airsoft, c’est une simple copie qui tire des billes de 6 mm. Mais sur le moment, personne ne le sait.
Les vidéos tournées par les badauds circulent encore. On y voit l’individu avancer sans agressivité apparente, mais sans prêter attention aux sommations. Les policiers, arrivés très vite depuis Creil, lui ordonnent de lâcher l’arme. Il ne réagit pas. Le taser entre en scène. L’homme s’écroule. Fin de l’incident ? Pas vraiment.
« Je m’appelle Benyamin Netanyahou »
Lorsqu’il reprend conscience, menotté au sol, sa première phrase laisse tout le monde pantois :
« Je suis Benyamin Netanyahou. »
Oui, le Premier ministre israélien. En plein marché de l’Oise.
Le maire de la ville, joint peu après les faits, ne cache pas son embarras : l’homme n’était pas inconnu des services municipaux. La veille déjà, samedi, il s’était présenté à l’état civil en demandant… où se trouvait la banquise et s’il restait des places chez les trois mousquetaires. Les agents avaient souri jaune. Le lendemain, il passait à la vitesse supérieure.
On imagine la scène : « Bonjour madame, je cherche la banquise, vous avez l’adresse ? » Le genre de phrase qui fait rire sur le moment, mais qui, avec le recul, glace le sang.
Une arme factice, mais une peur bien réelle
L’arme saisie est une réplique airsoft tout ce qu’il y a de plus classique. Noire, imposante, réaliste à s’y méprendre pour qui n’est pas initié. En France, ces répliques sont en vente libre à partir de 18 ans, à condition qu’elles respectent une puissance inférieure à 2 joules. Mais rien n’oblige à apposer un marquage couleur vif comme dans d’autres pays.
Résultat : dans la rue, impossible de faire la différence à dix mètres. Et quand quelqu’un la pointe (même sans le faire exprès), la réaction est immédiate : terreur collective.
J’ai moi-même vu des vidéos d’interpellations similaires à l’étranger : un gamin de 12 ans avec une réplique dans un parc, abattu parce que les policiers ont cru à une vraie arme. Ici, tout s’est (relativement) bien terminé. Mais ça pose question : jusqu’où va-t-on avec ces objets qui imitent à la perfection les outils de mort ?
- Une réplique airsoft peut peser le même poids qu’une vraie arme
- Les détails (culasse mobile, chargeur amovible) sont parfois bluffants
- En situation de stress, le cerveau humain ne fait pas 0,5 seconde pour analyser
- Résultat : risque d’issue tragique ou, au mieux, interpellation musclée
La face cachée : une détresse psychiatrique criante
Derrière l’anecdote presque cocasse (Netanyahou à Montataire, vraiment ?), il y a une réalité bien plus sombre. L’homme n’était pas agressif. Il n’a menacé personne directement. Il semblait juste… ailleurs. Complètement déconnecté.
Après son arrestation, direction l’hôpital psychiatrique. Une hospitalisation sous contrainte a été prononcée. On parle d’un délire aigu avec possible épisode psychotique. Peut-être une schizophrénie non traitée, un trouble bipolaire en phase maniaque, ou les séquelles d’une consommation de substances. Les médecins seuls le diront.
Mais ce qui frappe, c’est la solitude de cet homme dans sa folie. La veille, il erre déjà. Le jour J, il passe à l’acte sans que personne n’ait pu (ou su) l’arrêter avant. Combien de signaux faibles ont été ignorés ?
La police face à un dilemme impossible
Mettons-nous deux minutes à la place des policiers. Appel pour « homme armé sur un marché bondé ». Ils arrivent, voient une arme longue. L’individu n’obtempère pas. Que faire ? Attendre qu’il tire (même des billes) et risque la bousculade mortelle ? Ou neutraliser immédiatement ?
Ils ont choisi le taser. Choix critiqué par certains (« violence policière ! ») mais qui, dans le contexte, apparaît comme la solution la moins pire. Imaginez l’alternative : un tir à balle réelle sur une méprise. Le drame aurait été national.
Ce genre de situation devient malheureusement récurrent. Les forces de l’ordre sont de plus en plus souvent confrontées à des personnes en crise psychiatrique, souvent armées (ou prétendument). Et elles n’ont pas toujours les outils ni la formation pour gérer la désescalade en quelques secondes.
Un système de santé mentale à bout de souffle
Et là, on touche le cœur du problème. En France, la psychiatrie publique est exsangue. Fermetures de lits, manque criant de personnel, déserts médicaux même en Île-de-France… Résultat : les personnes en souffrance errent jusqu’au point de rupture.
Quand la crise survient, il ne reste plus que deux portes de sortie :
- Les urgences (déjà saturées)
- La police (dernier recours avant la catastrophe
L’homme de Montataire a eu de la chance : il est vivant et pris en charge. Combien d’autres finissent en garde à vue, en prison, ou pire ?
J’ai discuté un jour avec un infirmier psychiatrique qui me disait : « On soigne ceux qui acceptent le soin. Les autres, on les retrouve quand ils font la une des journaux. » Triste constat.
Et maintenant ?
L’homme va rester hospitalisé le temps nécessaire. Une expertise déterminera s’il est pénalement responsable ou non. Probablement pas. L’histoire s’effacera doucement des mémoires locales, remplacée par la prochaine actu choc.
Mais les questions, elles, restent.
Comment mieux repérer les signaux d’alerte ? Comment former les policiers à la gestion de crise psychiatrique ? Faut-il revoir la législation sur les répliques d’armes ultra-réalistes ? Et surtout : quand va-t-on enfin considérer la santé mentale comme une priorité nationale ?
Parce que derrière chaque fait divers « insolite », il y a presque toujours une souffrance immense qui n’a pas été entendue à temps.
La prochaine fois que vous croiserez quelqu’un qui parle tout seul dans la rue, peut-être que, au lieu de changer de trottoir, vous vous demanderez simplement : et si c’était le prochain « Netanyahou de Montataire » ?
Prenez soin de vous. Et des autres.
