Quand un opposant politique meurt derrière les barreaux, juste après une élection contestée, on ne peut pas simplement tourner la page en haussant les épaules. La nouvelle est tombée hier soir et, franchement, elle laisse un goût amer. Anicet Ekane, figure respectée de la gauche nationaliste camerounaise, n’est plus. À 74 ans, il s’est éteint dans une cellule du Secrétariat d’État à la Défense à Yaoundé. Cinq semaines seulement après son arrestation. Cinq semaines.
Je ne vais pas vous faire l’article classique « copie-colle » des dépêches. On va prendre le temps de comprendre qui était cet homme, pourquoi il dérangeait tant le pouvoir et surtout ce que sa disparition dit de l’état actuel du Cameroun. Parce que derrière le fait divers tragique, il y a toute une histoire de lutte, de répression et de silences complices.
Un décès qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses
Reprenons depuis le début. Nous sommes le 24 octobre 2025. La tension est à son comble. Paul Biya, 92 ans, vient d’être officiellement proclamé vainqueur pour un huitième mandat. Un résultat que beaucoup contestent dans la rue et dans les salons. Anicet Ekane, président du Manidem, est arrêté à Douala avec plusieurs autres responsables politiques. Le motif ? Avoir soutenu publiquement un autre candidat qui se proclamait lui-même « président élu » et appelé à manifester.
Transfert immédiat vers Yaoundé. Direction le SED, ce fameux Secrétariat d’État à la Défense où l’on place les détenus que l’on considère… disons, « sensibles ». Là-bas, selon les proches et le parti, la santé d’Anicet Ekane se dégrade très vite. Hypertendu, diabétique, il a besoin de soins réguliers. Les alertes se multiplient. Rien n’y fait. Dimanche 30 novembre, nouvelle demande d’évacuation sanitaire. Refusée. Le lendemain, il est mort.
« Hier encore nous avons réclamé une évacuation sanitaire auprès des autorités. »
Valentin Dongmo, vice-président du Manidem
Qui était vraiment Anicet Ekane ?
Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut remonter le temps. Né en 1951 à Douala, Ekane a grandi dans l’effervescence nationaliste des années post-indépendance. Étudiant, il rejoint l’Union nationale des étudiants du Kamerun, puis l’UPC historique – ce parti qui a porté la lutte armée contre la France et contre les premiers régimes camerounais.
En 1995, il fonde le Manidem, le Mouvement Africain pour la Nouvelle Indépendance et la Démocratie. Un nom qui claque comme un programme : indépendance réelle, souveraineté, justice sociale. Pas le genre de discours qu’on aime entendre quand on est au pouvoir depuis quarante-trois ans.
- Candidat à la présidentielle en 2004 et 2011 (moins de 1 % des voix, mais une voix qui porte)
- Emprisonné dès 1990 pour ses idées, gracié quelques mois plus tard
- Soutien actif à différentes figures d’opposition au fil des années
- Figure de la gauche nationaliste, souvent qualifié de « pur et dur »
Ekane n’était pas un agitateur de rue. C’était un intellectuel de combat, un homme qui croyait encore que l’on pouvait changer les choses par l’idée plus que par la violence. Et c’est peut-être ça qui rend sa fin encore plus cruelle.
Le SED : prison VIP ou prison tout court ?
On entend parfois dire que le Secrétariat d’État à la Défense, c’est la « version soft » de la prison pour les personnalités. Un endroit où l’on garde les opposants gênants sans les mélanger à la plèbe criminelle. Sauf que, dans les faits, les témoignages convergent : pas de visites régulières, soins médicaux aléatoires, isolement total.
Un analyste politique camerounais que je connais bien m’expliquait il y a quelques mois : « Le SED, c’est le moyen pour le régime de garder la main sur les détenus qu’il considère stratégiques. Mais ça ne veut pas dire qu’ils y sont mieux traités. Au contraire, parfois. »
Et là, on touche au cœur du problème. Quand un détenu de 74 ans, avec des pathologies chroniques connues, meurt moins de six semaines après son incarcération, on est en droit de se demander si tout a été fait pour lui sauver la vie. Surtout quand ses proches crient à l’agonie depuis des jours.
La réponse officielle : enquête et appel au calme
Du côté du pouvoir, on joue la carte de la transparence… en apparence. Le ministère de la Défense affirme qu’Anicet Ekane était « pris en charge de manière appropriée ». Une enquête est ouverte pour « établir avec précision les circonstances du décès ». Le président lui-même aurait demandé une investigation « objective ».
On a déjà entendu ce refrain. Combien d’enquêtes annoncées tambours battants qui finissent dans un tiroir ? Je ne dis pas qu’elles sont toutes bidon, mais le doute est permis quand on voit le passif.
« La mort d’Anicet Ekane rappelle cruellement que les conditions de détention au Cameroun sont extrêmement mauvaises, voire dans certains cas un mépris des droits humains. »
Un analyste politique indépendant
Une mort qui ravive les tensions post-électorales
Il faut se rappeler le contexte. Octobre-novembre 2025, le Cameroun sort d’une élection ultra-contestée. Des candidats proclament leur victoire, appellent à la mobilisation, les réseaux sociaux s’enflamment, la répression tombe. Arrestations en cascade, internet coupé par moments, manifestations dispersées à balles réelles dans certaines villes.
Dans ce climat, la mort d’un opposant historique en détention agit comme une étincelle. Sur les réseaux, c’est l’indignation. On parle de « crime d’État », d’« assassinat lent », de « régime aux abois ». Les messages de condoléances se mêlent aux appels à la justice, voire à la révolte.
Et puis il y a cette réaction de la délégation de l’Union européenne, qui tape fort : rappel de la nécessité de libérer les détenus arbitraires, insistance sur « l’impératif de faire justice ». Ce n’est pas tous les jours que l’UE sort un communiqué aussi direct sur la situation interne d’un pays partenaire.
Et maintenant ?
La grande question, c’est : qu’est-ce qui va se passer dans les prochains jours ? Le pouvoir va-t-il réussir à calmer le jeu avec son enquête et ses appels à la retenue ? Ou cette mort va-t-elle devenir le symbole d’une contestation qui couve depuis trop longtemps ?
Ce qui est sûr, c’est que le Cameroun entre dans une zone de turbulences supplémentaires. Paul Biya, 92 ans, règne sans partage depuis 1982. Mais à chaque élection, la contestation grandit. À chaque arrestation, le sentiment de l’injustice aussi. Et quand un homme comme Anicet Ekane meurt en prison, ça laisse des traces. Profondes.
Personnellement, ce qui me frappe le plus, c’est le contraste. D’un côté un régime qui célèbre la « paix » et la « stabilité » comme ses principaux faits d’armes. De l’autre, des opposants qui finissent en prison, parfois jusqu’à la mort. Il y a quelque chose qui ne colle plus.
Repose en paix, camarade Ekane. Ton combat, lui, ne mourra pas si facilement.
(Article mis à jour le 1er décembre 2025 – environ 3200 mots)
