Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passe quand des centaines de milliers de petites entreprises décident, ensemble, de dire « stop » ? Ces derniers jours, on a eu la réponse en direct au Parlement.
Imaginez : vous êtes plombier, graphiste ou consultant indépendant. Vous avez choisi le régime micro-entreprise justement pour sa simplicité, notamment cette fameuse exonération de TVA tant que vous restez sous certains plafonds. Et du jour au lendemain, on vous annonce que ce plafond va fondre comme neige au soleil. La réaction ? Une bronca monumentale. Et, surprise, les élus ont fini par entendre.
Un recul spectaculaire face à la mobilisation
Le Sénat vient purement et simplement de supprimer la mesure qui prévoyait d’abaisser le seuil de franchise en base de TVA pour les micro-entreprises. Exit donc l’idée d’un seuil unique à 25 000 euros pour tout le monde, et même la version « compromis » qui voulait garder 37 500 euros en général mais descendre à 25 000 euros pour le bâtiment.
Ce n’est pas tous les jours qu’on voit un gouvernement faire machine arrière aussi rapidement sur un sujet fiscal. D’habitude, quand Bercy a une idée de recette, elle passe ou elle passe… Là, non.
Le texte initial du budget 2026 prévoyait pourtant de faire rentrer environ 780 millions d’euros par an dans les caisses (dont la moitié pour l’État). Autant dire que ce n’était pas une mesurette technique oubliée dans un coin d’article. C’était un vrai choix politique. Et il a été retoqué deux fois : d’abord à l’Assemblée nationale sur le budget 2025, puis maintenant au Sénat pour 2026.
Pourquoi une telle colère des auto-entrepreneurs ?
Pour comprendre la levée de boucliers, il faut se mettre deux minutes dans la peau d’un indépendant.
- Vous facturez aujourd’hui sans TVA → vos prix sont TTC, donc plus compétitifs face aux entreprises classiques qui ajoutent 20 % de TVA.
- Vous n’avez pas à tenir de comptabilité TVA, déclarer tous les mois ou trimestres, avancer la taxe, etc.
- Vos clients (particuliers surtout) adorent : pas de TVA à payer.
Passer sous le régime réel de TVA, c’est donc :
- Augmenter ses prix de 20 % ou rogner sa marge,
- Perdre en compétitivité face aux concurrents étrangers ou aux plateformes,
- Passer des heures sur la paperasse supplémentaire,
- Et, cerise sur le gâteau, devenir collecteur d’impôt pour l’État sans être rémunération.
Quand vous touchez déjà des marges parfois très fines, c’est la goutte qui peut faire déborder le vase.
« Toutes les petites entreprises sont vent debout contre ce que cherche à faire le gouvernement »
– Un sénateur lors des débats
Les seuils actuels : petit rappel indispensable
Pour que tout le monde soit sur la même page, voici où on en est aujourd’hui :
| Type d’activité | Seuil franchise TVA | Plafond régime micro |
| Prestations de services & professions libérales | 37 500 € | 77 700 € |
| Achat-revente, hébergement | 91 900 € | 176 200 € |
| Artisans (mixte) | 37 500 € | 77 700 € |
En clair : tant que vous restez sous ces seuils de franchise, pas de TVA à facturer ni à déclarer. Au-dessus, vous passez au réel (simplifié ou normal selon le CA).
Le gouvernement voulait harmoniser tout ça vers le bas. Raté.
Le bâtiment, cible privilégiée… et grande victime potentielle
La version « light » du gouvernement gardait le seuil à 37 500 € pour la plupart des activités… mais voulait imposer 25 000 € uniquement pour le secteur du bâtiment.
Pourquoi le bâtiment ? Parce que c’est un secteur où la concurrence est féroce, où beaucoup de travaux sont payés en noir, et où l’État estime qu’il y a de la fraude à la TVA (sous-traitance en cascade, etc.). L’idée était de forcer plus d’artisans à facturer la TVA pour mieux tracer les flux.
Sauf que dans les faits, ça aurait surtout pénaliser les petits artisans honnêtes qui travaillent seuls ou à deux, souvent sur des petits chantiers chez les particuliers. Ceux-là mêmes qui n’ont pas les reins pour absorber une telle complexité administrative.
J’ai échangé récemment avec un maçon indépendant en région parisienne : « Si demain je dois facturer la TVA, soit je perds la moitié de mes clients qui veulent payer moins cher, soit je travaille au noir comme certains. Dans les deux cas, l’État n’y gagne rien et moi je coule. »
Un débat plus large sur le régime micro-entreprise
Ce qui est intéressant, c’est que plusieurs parlementaires ont profité du débat pour dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : le régime micro-entreprise, tel qu’il existe, pose question.
Trop avantageux ? Concurrence déloyale vis-à-vis des SARL ou SAS qui paient plein pot charges et TVA ? Ou au contraire, dernier rempart pour permettre à des millions de Français de créer leur emploi sans se ruiner en formalités ?
Certains élus appellent désormais à une refonte globale du statut plutôt qu’à des ajustements fiscaux au coup par coup. Et franchement, ils n’ont pas complètement tort. Le régime a été créé en 2009 avec un plafond à 32 000 € pour les services… On est passé à 72 600 € en 2023 puis 77 700 € aujourd’hui. L’inflation, les plateformes Uber, Deliveroo, etc., tout ça a complètement changé la donne.
Et maintenant ? Victoire définitive ou répit temporaire ?
Pour l’instant, les auto-entrepreneurs peuvent souffler. Les seuils restent inchangés pour 2026.
Mais soyons réalistes : Bercy a besoin d’argent. Le déficit public dépasse les 6 % du PIB, la note de la France a été dégradée, et chaque milliard compte. Cette mesure rapportait presque 800 millions. Elle ou une autre reviendra forcément sur la table, peut-être sous une forme différente.
Les scénarios possibles à mon avis :
- Un gel des plafonds pendant quelques années (plus d’indexation sur l’inflation),
- Une hausse ciblée des cotisations sociales pour compenser,
- Un seuil intermédiaire avec TVA mais crédit d’impôt pour les petits,
- Ou tout simplement un retour de la mesure dans le budget 2027 avec un meilleur habillage politique.
Rien n’est jamais acquis en matière fiscale, surtout quand l’État est en mode « restriction budgétaire ».
Ce que j’en pense personnellement
Je couvre la vie des indépendants depuis plus de dix ans maintenant. Et je vais être cash : baisser le seuil de franchise TVA est une très mauvaise idée si on veut vraiment aider les TPE.
On parle d’un régime qui concerne plus de 2 millions de personnes en France. Des gens qui, pour beaucoup, ont quitté le salariat justement pour échapper à la lourdeur administrative. Leur rajouter de la complexité alors que l’administration française est déjà championne du monde des heures passées en paperasse, c’est contre-productif.
Si l’objectif est vraiment de lutter contre la fraude, alors ciblons les gros fraudeurs organisés, pas le petit artisan qui répare votre salle de bains le samedi.
La mobilisation a payé cette fois-ci. Espérons qu’elle serve de signal fort : les indépendants ne sont pas une variable d’ajustement budgétaire.
Et vous, que pensez-vous de tout ça ? Le régime micro doit-il être préservé tel quel, réformé en profondeur ou carrément supprimé ? Les commentaires sont ouverts.
