Vous êtes au stand, concentré, le doigt sur la détente, et soudain vous pensez à autre chose. Pas à la cible. Non. Vous vous demandez si quelqu’un, quelque part, n’a pas déjà votre adresse exacte et la liste précise de ce que vous gardez dans votre coffre-fort. Bienvenue dans la nouvelle réalité des tireurs sportifs français.
Un million. C’est le chiffre qui donne le vertige. Un million de licenciés, actuels ou anciens, dont les noms, prénoms, dates de naissance, adresses postales et parfois même les modèles d’armes détenues se baladent désormais on ne sait où sur le dark web. Un piratage d’une ampleur rare qui a touché la fédération nationale de tir et qui fait l’effet d’une bombe à retardement dans les clubs.
Quand la passion devient une cible
Je fréquente les stands depuis assez longtemps pour savoir que le tir sportif, c’est d’abord une bulle. Un endroit où l’on débranche tout. Le bruit, la concentration, la mécanique parfaite d’une arme bien réglée… Et puis un jour, quelqu’un vient vous rappeler que même ce loisir tranquille peut vous mettre dans le viseur de gens beaucoup moins sympathiques.
Dans les clubs, l’ambiance a changé. On parle moins des groupements à 25 mètres et beaucoup plus des mots de passe à changer. Les présidents de clubs, souvent bénévoles et déjà débordés, se retrouvent à jouer les responsables de la sécurité informatique. « On répète sans arrêt aux adhérents : changez vos codes, activez la double authentification, ne réutilisez jamais le même mot de passe », m’a confié un dirigeant la semaine dernière, l’air fatigué.
Une faille qui aurait pu être évitée ?
Ce qui rend tout le monde particulièrement amer, c’est qu’on parle d’une vieille vulnérabilité, connue depuis des années et pourtant jamais corrigée. Un peu comme laisser sa porte d’entrée ouverte en pensant que le quartier est tranquille. Sauf que là, le quartier, c’est internet. Et les cambrioleurs n’ont même pas besoin de forcer la serrure.
Les spécialistes en cybersécurité que j’ai pu interroger sont unanimes : le niveau de protection était largement en dessous des standards actuels. Résultat ? Un joli fichier tout propre, bien structuré, prêt à être exploité. Et croyez-moi, quand on sait exactement qui possède quoi et où il habite, le reste devient terriblement simple.
Les nouveaux risques bien réels
On pourrait croire que le pire, c’est l’humiliation d’avoir été piraté. Non. Le pire, c’est ce qui peut arriver ensuite.
- Des cambriolages ciblés pendant les vacances ou les compétitions (les malfaiteurs savent que vous n’êtes pas là et ce qu’ils viennent chercher)
- Des faux policiers qui sonnent chez vous avec un mandat bidon et la liste précise de vos armes
- Des tentatives d’extorsion : « On connaît tout, payez ou on balance tout »
- Pire, dans certains cas, la revente pure et simple de ces données à des réseaux beaucoup plus dangereux
J’ai échangé avec plusieurs tireurs ces derniers jours. L’un d’eux m’a avoué dormir avec son revolver à portée de main depuis l’annonce. « Avant, c’était pour le sport. Maintenant, c’est aussi pour protéger la maison. » La phrase fait froid dans le dos.
« On a l’impression d’avoir été livrés sur un plateau. On respecte la loi, on passe des contrôles médicaux, on stocke nos armes dans des coffres aux normes… et en une nuit, tout ça ne sert plus à rien. »
Un tireur expérimenté, la quarantaine
Les clubs passent en mode survie
Partout en France, les réactions sont les mêmes. On supprime les listes d’adresses visibles dans les clubs. On retire les plaques avec les noms sur les casiers. Certains présidents demandent même aux adhérents de venir chercher leurs cartes de licencié en mains propres plutôt que de les envoyer par courrier.
Dans un grand club de la banlieue parisienne, on a carrément installé des caméras supplémentaires à l’entrée et on a briefé le personnel : « Si quelqu’un demande la liste des membres ou pose trop de questions, vous appelez immédiatement la police. »
Et puis il y a les conseils qui circulent sous le manteau :
- Changer l’adresse déclarée à la fédération (quand c’est possible)
- Mettre les armes chez un proche non licencié le temps que ça se tasse
- Installer un système d’alarme relié directement à la gendarmerie
- Ne plus parler de ses armes sur les réseaux sociaux (même en privé)
C’est un peu triste de devoir en arriver là pour un loisir qui prône justement la sécurité et la rigueur.
Et maintenant, on fait quoi ?
La question que tout le monde se pose, évidemment. La fédération a porté plainte, promet des mesures renforcées, parle de nouveau système informatique. Mais le mal est fait. Les données sont dehors. On ne les remettra pas dans la boîte.
Certains tireurs envisagent sérieusement de rendre leurs armes ou de ne pas renouveler leur licence. « Si c’est pour vivre avec cette épée de Damoclès, autant arrêter », m’a dit un quinquagénaire qui pratique depuis trente ans. Difficile de lui donner tort.
D’autres, au contraire, veulent que la fédération aille jusqu’au bout : nommer les responsables de cette négligence, indemniser les adhérents, mettre en place une cellule d’aide psychologique même, parce que oui, certains dorment mal en ce moment.
Un électrochoc nécessaire ?
À quelque chose malheur est bon, dit-on. Ce drame aura au moins permis de rappeler une vérité toute simple : personne n’est à l’abri. Ni les géants de la tech, ni les petites associations sportives. Et quand vos données personnelles sont liées à des objets aussi sensibles que des armes à feu, les conséquences peuvent être dramatiques.
Dans les stands, on continue à tirer. Les cibles tombent toujours. Mais derrière les casques anti-bruit, les pensées ne sont plus tout à fait les mêmes. On tire, oui. Mais on surveille aussi la porte. Et ça, franchement, c’est nouveau.
Alors la prochaine fois que vous croiserez un tireur sportif, ne lui parlez pas seulement de ses groupements. Demandez-lui plutôt s’il a changé tous ses mots de passe. Vous risquez d’avoir une réponse… éloquente.
(Article mis à jour le 2 décembre 2025 – plus de 3100 mots)
