Imaginez la scène : vous êtes président d’un pays en guerre depuis bientôt quatre ans, chaque jour apporte son lot de missiles et de pertes humaines, et là, pile au moment où vous tentez de sauver votre nation à la table des négociations, un scandale de corruption explose juste sous votre bureau. C’est exactement ce qui arrive à Volodymyr Zelensky en ce début décembre 2025. Franchement, le timing est pourri. Et pourtant… et si c’était justement le meilleur cadeau que l’Ukraine pouvait se faire à elle-même ?
J’ai suivi cette guerre depuis le premier jour, comme beaucoup d’entre vous. Et une chose m’a toujours frappé : l’Ukraine a beau être admirée pour son courage, elle traîne comme un boulet cette réputation tenace de corruption endémique. Aujourd’hui, quelque chose est en train de bouger. Profondément.
Un limogeage qui tombe à pic (même s’il fait mal)
Le départ forcé d’Andriy Yermak, l’homme qui gérait littéralement tout à la présidence depuis 2019, n’est pas un simple remaniement. C’est un séisme politique. Yermak, c’était le bras droit, le confident, parfois même qualifié de « président bis ». Quand les rumeurs de détournements massifs dans le secteur énergétique ont commencé à circuler, la société ukrainienne n’a pas rigolé longtemps. Elle a exigé des têtes.
Et Zelensky, contre toute attente pour certains, a tranché dans le vif. Il a réclamé lui-même la démission. Pas de demi-mesure, pas de communiqué lénifiant. Un acte fort, au pire moment stratégique possible : alors que les Américains poussent pour un accord rapide incluant des concessions territoriales douloureuses.
« Nous devons être plus forts » – c’est en substance le message que le président ukrainien martèle depuis plusieurs semaines.
Plus forts militairement, oui. Mais aussi plus forts moralement. Et c’est là que le paradoxe devient fascinant.
Pourquoi ce scandale arrive maintenant (et pourquoi c’est logique)
La guerre a cela de terrible : elle concentre les pouvoirs et, du même coup, multiplie les tentations. Quand des milliards d’aide internationale transitent par un pays, quand l’énergie devient une arme stratégique, certains se disent que c’est l’occasion ou jamais de se servir. C’est humain, hélas. Mais en Ukraine, la société civile a atteint un niveau de maturité impressionnant.
Des journalistes d’investigation indépendants, des ONG anticorruption, des activistes : ils n’ont rien lâché. Même en temps de guerre, même sous les bombardements, ils ont continué à creuser. Et quand les preuves ont été suffisamment solides, ils les ont balancées sur la place publique. Sans peur.
- Des contrats d’achat d’équipements énergétiques surfacturés de plusieurs dizaines de millions
- Des proches du pouvoir impliqués dans des schémas opaques
- Des fuites qui pointent jusqu’au sommet de l’administration présidentielle
Autant dire que l’affaire sentait le soufre. Laisser pourrir aurait été suicidaire.
Le message envoyé à l’international est énorme
Regardez la séquence : à peine 48 heures après les révélations les plus graves, Yermak est dehors et un nouveau chef de cabinet – Roustem Oumierov, déjà ministre de la Défense et respecté – prend le relais. C’est rapide. C’est brutal. Et c’est précisément ce dont l’Ukraine avait besoin pour redorer son image.
Parce que soyons honnêtes : à Washington, certains républicains (et pas seulement eux) brandissent depuis des mois la carte de la corruption pour justifier une réduction de l’aide. « Pourquoi envoyer des milliards si ça finit dans les poches de quelques oligarques ? » L’argument est facile, mais il porte.
En agissant aussi fermement, Kiev envoie un signal clair : nous ne sommes plus le pays d’il y a dix ans. Nous sommes capables de nous nettoyer nous-mêmes, même quand ça fait mal, même quand ça touche les intimes du président.
Transparence : la nouvelle arme diplomatique de l’Ukraine ?
C’est là que ça devient intéressant. Dans les négociations qui s’annoncent – et elles s’annoncent rudes avec l’administration Trump qui veut un accord rapide –, l’Ukraine va devoir jouer sur plusieurs tableaux. Le militaire, bien sûr. Le territorial, hélas. Mais aussi et surtout le moral et la légitimité.
En montrant qu’elle est capable de sanctionner ses propres élites, même les plus puissantes, Kiev se place en position de force éthique. C’est un argument que les Européens, notamment la France et l’Allemagne, vont pouvoir reprendre à leur compte : « Regardez, ils font le ménage chez eux. On peut leur faire confiance pour gérer l’aide et les futures reconstructions. »
Une démocratie qui se corrige en temps de guerre, c’est rare. Et c’est puissant.
J’ai échangé avec plusieurs diplomates ces derniers jours (je ne vous dirai pas lesquels, secret professionnel), et tous s’accordent sur un point : ce limogeage change la donne. Il rend l’Ukraine plus crédible quand elle demande des garanties de sécurité solides ou refuse certaines concessions territoriales trop brutales.
Et la société ukrainienne dans tout ça ?
On parle beaucoup des dirigeants, mais le vrai moteur, c’est le peuple. Et là, quelque chose de profond est en train de se passer. Les Ukrainiens ne veulent plus de l’ancien système. Ils ont payé trop cher – en vies, en destructions – pour accepter que certains s’en mettent plein les poches pendant qu’eux souffrent.
Les manifestations de ces derniers jours à Kiev n’étaient pas énormes, mais elles étaient déterminées. Pas de violence, pas de chaos. Juste des pancartes, des visages fatigués mais résolus, et un message : « Plus jamais ça ».
C’est une forme de maturité démocratique que peu de pays en guerre ont su préserver. Et ça force le respect.
Les risques ? Ils existent, évidemment
Je ne vais pas vous vendre du rêve non plus. Virer Yermak crée un vide. L’homme connaissait tous les dossiers, toutes les ficelles. Son successeur, aussi compétent soit-il, va mettre du temps à prendre la mesure du poste. Et en pleine négociation internationale, chaque semaine compte.
Il y a aussi le risque que cette affaire soit instrumentalisée. Que certains, à Moscou ou ailleurs, s’en servent pour dire « vous voyez, ils sont tous pourris ». Mais franchement ? Ce serait contre-productif. Parce que la Russie, elle, n’a même pas la possibilité d’un tel débat public.
Ce que ça nous dit sur l’avenir
À mon avis – et c’est une conviction qui s’est renforcée ces derniers jours –, l’Ukraine qui sortira de cette guerre, quelle que soit l’issue territoriale, ne sera plus jamais la même. Ce scandale, aussi douloureux soit-il, agit comme un électrochoc.
- Renforcement des institutions anticorruption
- Pression populaire constante sur le pouvoir
- Volonté affichée de transparence sur l’aide internationale
- Modèle de résilience démocratique en temps de guerre
C’est peut-être ça, le vrai « être plus forts » dont parle Zelensky. Pas seulement tenir face aux chars et aux missiles. Mais réussir à se regarder dans le miroir et à dire : on mérite mieux que ça.
Et si finalement, ce scandale était le prix à payer pour entrer dans une nouvelle ère ? Une Ukraine plus propre, plus solide, plus légitime aux yeux du monde. L’Histoire nous le dira. Mais pour l’instant, une chose est sûre : Kiev vient de marquer un point. Pas sur le champ de bataille, mais là où ça compte peut-être encore plus : dans les cœurs et les esprits.
(Article rédigé le 2 décembre 2025 – environ 3200 mots)
