Imaginez-vous à 82 ans, recevoir encore des SMS à 3 heures du matin parce qu’un chien aboie quelque part dans le village. La plupart d’entre nous répondraient probablement par un « plus jamais ». Lui, non. Lui, il sourit, enfile ses bottes et repart pour un tour. En Normandie, dans un petit coin de Seine-Maritime oublié des cartes postales, François Roger s’apprête à briguer un nouveau mandat. Et franchement, ça force le respect.
Un enfant du Pays de Caux qui n’a jamais vraiment quitté le nid
François Roger est né là, à deux pas de la mairie. Entre les pommiers et les vaches, au milieu d’une fratrie de sept. Il a tenté l’aventure urbaine deux petites années, le temps de comprendre que le bitume, très peu pour lui. Retour à la terre, retour aux racines. Depuis 1975, il vit dans l’ancien presbytère du village. Il connaît chaque maison, chaque famille, chaque histoire qui se cache derrière une porte close.
Quand on lui demande pourquoi il repart, il hausse les épaules avec cette simplicité désarmante des gens qui n’ont plus rien à prouver : « Ici, c’est chez moi. Je connais presque chaque pierre. » Et on sent que ce n’est pas une formule toute faite. C’est une évidence gravée dans le granit.
Une équipe soudée et la peur du vide
Ce qui le pousse encore, c’est aussi son conseil municipal. Une équipe où la parité est respectée – chose pas si évidente dans les toutes petites communes – et où tout le monde marche dans la même direction. Il le dit sans détour : « On forme une bonne équipe. » Point final.
« Si demain je ne me sens plus capable, pour raisons de santé ou autre, je passerai la main sans hésiter. »
François Roger, maire de Varneville-Bretteville
Cette phrase, il la répète souvent. Comme une clause de sortie de secours. Mais en attendant, personne n’a levé la main pour prendre le relais. Et dans beaucoup de villages autour, c’est pareil. Les listes peinent à se monter. Les candidats se font rares. On parle beaucoup de démocratie de proximité, mais quand il s’agit de se coltiner les dossiers à 23 h 30 un vendredi soir, l’enthousiasme retombe vite.
Une commune sans un euro de dette : la fierté absolue
Parmi les trophées dont il est le plus fier, il y a cette ligne sur le bilan comptable : zéro emprunt. Dans un contexte où certaines grosses villes croulent sous les millions d’euros de dette, ça laisse rêveur. Comment fait-il ? Il chasse la subvention, traque la moindre ligne budgétaire, entretient l’église, rénove la salle des fêtes, pose deux-trois caméras pour rassurer les habitants. Tout ça sans jamais taper dans le rouge.
- Zéro emprunt depuis des années
- Église entretenue avec des aides dénichées au forceps
- Caméras de surveillance installées récemment
- Patrimoine communal chouchouté au centime près
Il le reconnaît lui-même : sans ses deux secrétaires qui se partagent le poste, il y a longtemps qu’il aurait craqué. Les mails, les normes qui changent tous les quatre matins, les plans communaux de sauvegarde à rédiger la nuit… Il en a pleuré, littéralement, quand il s’est retrouvé plusieurs mois sans appui administratif. Burn-out à l’ancienne, comme il dit avec un demi-sourire.
Le maire joignable 24 h/24, même en vacances
Le conseil qu’il donne à ceux qui voudraient se lancer ? « Ne donnez jamais votre numéro personnel à tout le monde. » Trop tard pour lui. Son portable sonne à toute heure. Un chien qui aboie, une route glissante, une mamie qui s’inquiète pour son arrêt de bus… Il répond. Toujours.
Ses vacances ? Elles ressemblent à tout sauf à des vacances. Quelques jours loin du village, et c’est déjà le branle-bas de combat dès qu’un souci pointe le bout de son nez. Sa femme, qui le soutient depuis le début, lui lance parfois : « Mais tu ferais quoi sinon ? Tu cultiverais tes tomates ? » Il rit. Les tomates attendront encore un peu.
Le dialogue comme arme anti-conflit
Ce qui frappe aussi, c’est la tranquillité du village. Les gendarmes y passent rarement. Pourquoi ? Parce que le maire discute. Il écoute. Il désamorce. Un conflit de voisinage ? Il prend le café chez l’un, puis chez l’autre. Et souvent, ça se règle autour d’une tasse.
J’ai moi-même vu ça dans d’autres communes : quand le maire est accessible, vraiment accessible, les tensions redescendent d’un cran. C’est presque une recette magique, mais qui demande un investissement personnel énorme.
Et la relève, alors ?
La question qui brûle les lèvres, c’est évidemment celle de la succession. À 82 ans, même en bonne forme, on sait que le temps est compté. François Roger le sait mieux que personne. Il a levé le pied sur les syndicats intercommunaux, les commissions à n’en plus finir. Il prépare le terrain, doucement.
Mais pour l’instant, personne ne se bouscule. Et dans des centaines de communes similaires, c’est le même refrain. On parle de crise des vocations, de déserts démocratiques. Les jeunes – et même les moins jeunes – regardent l’écharpe tricolore avec une certaine méfiance. Trop de travail, trop de responsabilité, trop peu de reconnaissance.
Pourtant, des maires comme François Roger prouvent que c’est encore possible. Que l’on peut diriger une commune avec passion, rigueur et humanité. Même à 82 ans. Même avec un portable qui sonne la nuit.
Un modèle qui s’essouffle ou une exception qui inspire ?
Il y a quelque chose de touchant et d’un peu inquiétant à la fois dans cette histoire. Touchant, parce qu’on sent l’amour sincère d’un homme pour son village. Inquiétant, parce qu’il incarne peut-être une espèce en voie de disparition : le maire rural passionné, prêt à tout donner, sans compter.
En mars 2026, il y aura probablement encore son nom sur les bulletins. Sans adversaire, ou presque. Et on se demandera, une fois de plus, qui prendra la relève quand il décidera – vraiment – de raccrocher.
En attendant, ses tomates continuent de pousser sagement dans le potager. Elles peuvent encore patienter six ans. Peut-être plus.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Un maire de 82 ans qui repart, c’est une belle preuve d’engagement… ou le symptôme d’un problème plus profond dans nos campagnes ? Je suis curieux de lire vos avis en commentaire.
