Imaginez la scène. Dernier tour, sprint final, le gros globe de cristal est là, à quelques mètres. Et puis… une glissade, un genou qui touche la neige, et tout bascule. C’est exactement ce qui est arrivé à Lou Jeanmonnot l’hiver dernier à Oslo. Un moment que beaucoup auraient mis des mois à digérer. Elle ? À peine vingt-quatre heures.
Quand on parle de résilience dans le sport de haut niveau, on pense souvent à des discours tout faits. Chez elle, c’est concret, presque chirurgical. Elle a pris l’échec, l’a décortiqué, et en a fait de l’essence pure pour repartir. Et franchement, ça force le respect.
Le virage qui a tout changé… ou presque
On était le 17 mars 2024, Holmenkollen. Lou Jeanmonnot et Franziska Preuss se battent côte à côte pour le classement général. Un duel magnifique, tendu, presque cinématographique. La Française a le maillot jaune sur les épaules depuis deux jours seulement – un symbole qu’elle porte pour la première fois de sa carrière. Et puis ce satané virage à gauche en entrant dans le stade. Une micro-glissade, un déséquilibre, et l’Allemande file vers la victoire… et vers le globe.
Sur le moment, le choc est énorme. Les larmes coulent, forcément. Mais ce qui impressionne, c’est la vitesse à laquelle elle passe à autre chose. Soutenue par sa famille et ses proches sur place, elle boucle le deuil en une journée. Une journée seulement. Moi, je trouve ça dingue.
« Je pourrais encore en chialer… Mais je suis très en paix avec ce qu’il s’est passé. Je le regarde comme le plus bel échec qui me serait permis d’avoir et j’en suis fière. »
Lou Jeanmonnot, quelques jours après Oslo
Une analyse sans concession
Beaucoup auraient hurlé à la malchance. Pas elle. Son entraîneur Cyril Burdet le dit très bien : elle a tout de suite cherché les erreurs qui ont conduit à l’incident. Parce qu’en réalité, ce n’est pas « juste » une chute. C’est l’aboutissement de petits détails accumulés tout au long de la saison : un trou d’air au Grand-Bornand, quelques jours de forme moyenne, des points laissés en route.
Elle aurait pu se cacher derrière le destin. Elle a préféré ouvrir le capot et regarder le moteur. Et ce qu’elle y a trouvé ? Des leçons en or.
- Une gestion du stress perfectible quand le maillot jaune pèse trop lourd
- Des choix tactiques parfois trop prudents sur les derniers tirs
- Un ski de fond parfois un peu en retenue quand il fallait tout lâcher
- Une récupération physique à affiner sur les pics de forme
Tout ça, elle l’a mis dans son sac à dos. Et ce sac, aujourd’hui, elle le porte avec le sourire.
Du carburant dans le réservoir
Ses mots sont forts : « Ça s’est transformé directement en combustible. » Je ne connais pas beaucoup d’athlètes capables de dire ça sans que ça sonne creux. Chez elle, on sent que c’est sincère. Elle a 27 ans, elle est dans la force de l’âge pour une biathlète, et elle sait que les meilleures années arrivent maintenant.
La préparation ? Exemplaire selon tout le staff. Cyril Burdet répète qu’elle a été « très en forme toute la prépa ». Pas de pépins physiques, une envie débordante, et surtout cette sérénité nouvelle. Finie la pression du « il faut absolument gagner le globe ». Place à la faim de performer, course après course.
« Il me reste encore de belles saisons à faire. J’ai l’impression que la saison dernière ne pouvait pas être plus riche en termes d’enseignements. »
Un début de saison qui donne raison à l’optimisme
Östersund, week-end d’ouverture. Deux relais, deux victoires pour les Bleues avec Lou en dernière relayeuse. Elle conclut les deux courses en patronne, avec autorité, sans trembler. Le message est clair : elle est là, et elle est plus forte.
Aujourd’hui mardi, c’est l’individuel 15 km. Un format long, exigeant sur le tir, où chaque seconde de pénalité coûte cher. Sur le papier, c’est pile le terrain de jeu où elle excelle quand elle est en confiance. Et en confiance, elle l’est.
Pourquoi cette saison peut être la bonne
Regardons les faits calmement. L’an dernier, elle termine deuxième du général avec huit victoires individuelles. Huit. C’est énorme. Beaucoup d’observateurs s’accordaient à dire qu’elle avait été la plus régulière et souvent la plus forte sur l’ensemble de l’hiver. Seule cette chute finale a tout changé.
Cette année, elle arrive avec :
- L’expérience d’avoir porté le maillot jaune (même brièvement)
- Une préparation physique au top
- Un mental blindé par l’échec
- Une équipe de France féminine ultra-solide autour d’elle
- La perspective des JO 2026 qui agit comme un carburant supplémentaire
Et surtout, elle n’a plus rien à prouver. Elle sait qu’elle peut battre n’importe qui. Elle l’a déjà fait.
Le facteur mental : l’arme fatale ?
Ce qui frappe, c’est sa capacité à positiver absolument tout. Même Cyril Burdet le souligne : « Dans tous les coups du sort, il y a souvent une explication. Elle a été capable de sortir des choses puissantes du débrief. »
En clair, elle n’a pas subi l’échec. Elle l’a dompté. Et ça change tout.
À 27 ans, elle entre dans cette fenêtre où tout est possible : la maturité physique, l’expérience, la sérénité mentale. On l’a vu chez d’autres grandes championnes – pense à Justine Braisaz-Bouchet après sa maternité, ou à Dorothea Wierer à son apogée. Quand tout s’aligne, c’est terrifiant pour les adversaires.
Et maintenant ?
L’individuel d’Östersund ce mardi, c’est plus qu’une course. C’est un premier gros test. Pas pour prouver qu’elle est revenue – on l’a déjà vu en relais – mais pour montrer qu’elle est prête à dominer dès le début.
Personnellement, je pense qu’on assiste au début de quelque chose de grand. Elle a cette lueur dans les yeux qu’ont les athlètes qui savent qu’ils vont marquer leur sport. Elle ne court plus après le globe. Elle va le chercher.
Et si la chute d’Oslo n’était finalement que le dernier obstacle avant la consécration ?
Rendez-vous sur les pistes. Quelque chose me dit que Lou Jeanmonnot va nous faire vibrer. Très fort.
(Article mis à jour le 2 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
