Imaginez-vous réveillé à l’aube par le bruit des gyrophares. Vous sortez, et devant votre portail, 175 gendarmes en tenue anti-émeute. Leur mission ? Entrer chez vous pour tuer vos 83 vaches, celles que vous avez élevées parfois depuis leur naissance. C’est exactement ce qui est arrivé ce mardi à un couple d’agriculteurs de Pouilley-Français, dans le Doubs.
Une seule vache a présenté des nodules suspects. Test positif à la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), une maladie virale qui touche les bovins. Selon la réglementation, tout le troupeau doit être abattu. Point final. Pas de discussion possible. Sauf que le troupeau avait été vacciné… et que la vache positive « va très bien », selon ses propriétaires.
Un déploiement policier hors norme pour une ferme familiale
175 gendarmes. Autant dire un escadron entier. Des gendarmes mobiles venus de loin, boucliers, casques, LBD. Face à eux : 300 agriculteurs, syndicalistes et habitants du coin, venus dire non à ce qu’ils appellent un « massacre injustifié ».
Les images font le tour des réseaux. Des tracteurs qui tentent de forcer les barrages. Des agriculteurs qui passent à travers champs pour rejoindre la ferme. Deux interpellations, un tir de LBD (sans blessé), des insultes, des larmes. Tout ça pour des vaches.
« On aurait pu mettre le troupeau sous surveillance, le placer sous cloche, attendre de voir l’évolution. Tous les élevages voisins sont vaccinés, le risque est quasi nul. »
Une porte-parole syndicale présente sur place
Pourquoi un abattage total quand le troupeau est vacciné ?
La dermatose nodulaire contagieuse est arrivée en Europe il y a quelques années. Très contagieuse, elle provoque fièvre, nodules sur la peau, baisse de production laitière. Mortalité faible (1 à 5 %), mais impact économique fort. L’Union européenne a donc opté pour une stratégie radicale : abattage systématique du foyer et vaccination en anneau autour.
Mais voilà : le vaccin utilisé est un vaccin vivant atténué. Il peut, dans de rares cas, provoquer exactement les mêmes symptômes que la maladie sauvage. Certains vétérinaires parlent de « réactions post-vaccinales ». Les éleveurs, eux, sont persuadés que c’est ce qui s’est passé ici.
Le hic ? Les tests PCR ne font pas la différence entre virus vaccinal et virus sauvage. Résultat : un animal vacciné qui réagit peut être déclaré positif… et condamner tout le cheptel.
Une réglementation inflexible face à la réalité du terrain
Je discute souvent avec des éleveurs. Ce qui revient sans cesse, c’est ce sentiment d’être pris dans une machine administrative qui ne laisse aucune place au bon sens. « On vaccine sur ordre de l’État, puis on nous abat le troupeau parce que le vaccin a fonctionné un peu trop bien ? C’est absurde », me confiait récemment un éleveur laitier du Jura.
- Le troupeau est vacciné → bonne nouvelle, il est protégé
- Une vache présente des nodules → probablement réaction vaccinale
- Test PCR positif → impossible de distinguer vaccin et virus sauvage
- Conclusion administrative → abattage total
Et quand l’éleveur refuse ? L’État envoie les gendarmes. C’est aussi simple que ça.
Un précédent dans les Pyrénées-Orientales, lundi
Ce n’est pas un cas isolé. La veille, dans les Pyrénées-Orientales, une centaine de personnes ont tenté d’empêcher l’abattage d’environ 80 bovins pour le même motif. Les gendarmes ont dû intervenir pour dégager les lieux. Même scénario, même colère.
On sent monter une exaspération générale. Les agriculteurs ont le sentiment que leur outil de travail, leur patrimoine génétique patiemment sélectionné, leur raison de vivre parfois, peut être rayé d’un trait de plume administratif.
Que dit vraiment la science ?
Plusieurs études montrent que la vaccination réduit drastiquement la circulation du virus. En Serbie ou en Grèce, où la maladie a circulé, la combinaison vaccination + surveillance a permis de maîtriser les foyers sans abattre systématiquement tous les troupeaux vaccinés.
En France, on préfère la politique du « zéro risque ». Compréhensible sur le papier. Mais quand le zéro risque devient synonyme de destruction massive de cheptels sains ou protégés, la question mérite d’être posée.
« La vache positive va très bien. Elle mange, elle produit du lait. On nous demande de la tuer parce qu’un test dit positif, sans autre forme de procès. »
L’épouse de l’éleveur, au bord des larmes devant les journalistes
Et maintenant ?
Le tribunal administratif de Besançon examinait ce mardi matin le recours déposé en urgence par les syndicats agricoles. À l’heure où j’écris ces lignes, la décision n’est pas encore connue. L’abattage est suspendu jusqu’au verdict.
Mais même en cas de victoire juridique temporaire, le problème de fond reste entier. Combien de temps tiendra-t-on cette doctrine de l’abattage systématique face à des troupeaux vaccinés ? Combien de familles d’éleveurs devront-elles vivre ce cauchemar ?
Ce qui se joue dans cette petite ferme du Doubs, c’est aussi la question du modèle agricole qu’on veut pour demain. Un modèle où l’administration décide seule, ou un modèle où le dialogue, la science et le terrain reprennent leurs droits ?
Je ne suis pas vétérinaire. Je ne suis pas non plus agriculteur. Mais quand je vois 175 gendarmes pour tuer des bêtes vaccinées, je me dis qu’on a peut-être franchi une ligne. Et vous, qu’en pensez-vous ?
Note : cet article sera mis à jour dès que le tribunal administratif aura rendu sa décision.
