Imaginez une salle mythique de Paris, les Folies Bergère, ses lumières tamisées, ses dorures, son parfum de music-hall à l’ancienne. Ce jeudi soir, on y attend du beau monde pour lever des fonds au nom du « bien commun ». Sur le papier, c’est une soirée caritative comme tant d’autres. Sauf que cette fois, l’ambiance est électrique bien avant le lever de rideau.
Parce que derrière l’événement se tient un homme, un milliardaire discret mais déterminé, qui a choisi la philanthropie comme terrain de jeu politique. Et quand on parle de lui, les mots fusent : extrême droite, entrisme, bataille culturelle… Bref, on est loin du simple gala de charité.
Une soirée qui divise avant même d’avoir commencé
La Nuit du Bien Commun existe depuis 2017. Le concept est malin : des porteurs de projets associatifs montent sur scène, pitchent leur idée en quelques minutes, et le public, conquis, sort le chéquier ou la carte bleue. À la fin de la soirée, des centaines de milliers d’euros sont récoltés. Et comme les dons sont défiscalisés à 66 %, tout le monde y trouve son compte… en apparence.
Mais depuis quelques mois, l’événement traîne une odeur de soufre. Des collectifs, des syndicats, des élus de gauche ont décidé de faire de cette édition parisienne un symbole. Ils ne contestent pas la générosité – qui le pourrait ? – mais l’usage qu’on fait de cette générosité.
Le projet Périclès, ce fantôme qui hante la soirée
Tout part d’une enquête parue il y a quelques mois. On y apprend qu’un plan stratégique, baptisé Projet Périclès, aurait été conçu pour structurer durablement une influence conservatrice, voire d’extrême droite, dans les territoires français. Formation de futurs élus, financement discret, création de réseaux locaux… L’idée : être prêt pour les municipales de 2026 et au-delà.
Et devinez qui serait au cœur de ce dispositif ? Le cofondateur même de la Nuit du Bien Commun. Depuis, les regards ont changé. Ce qui ressemblait à une belle initiative philanthropique prend des airs de cheval de Troie.
« Ce n’est pas juste une soirée caritative. C’est un outil de réseautage pour une certaine bourgeoisie conservatrice qui veut peser sur la vie politique locale. »
– Une militante engagée dans la contestation
Comment fonctionne concrètement la Nuit du Bien Commun ?
Pour comprendre la polémique, il faut plonger dans le mécanisme. Voici comment ça se passe :
- Une dizaine d’associations sont sélectionnées pour pitcher sur scène
- Chaque projet est défendu avec passion devant un public acquis
- Les dons pleuvent, souvent plusieurs dizaines de milliers d’euros par projet
- Une partie des fonds (les chiffres varient selon les sources) reviendrait à financer des structures liées au fameux projet politique
- Le jury comporte des proches du fondateur, ce qui pose question sur l’indépendance de la sélection
Ce dernier point est particulièrement scruté. Quand les mêmes noms reviennent dans le jury, dans les associations lauréates et dans les cercles politiques visés, la coincidence devient difficile à défendre.
Une mobilisation qui monte en puissance
À Rennes, l’édition précédente a dû se tenir en visio après des manifestations. À Aix-en-Provence, elle a purement et simplement été annulée. Paris sera-t-il le prochain domino ?
En tout cas, les opposants ne lésinent pas sur les moyens. Un rassemblement est prévu dès 18 heures, juste à côté des Folies Bergère, avec prises de parole, concert et cantine solidaire. L’idée n’est pas de bloquer physiquement l’entrée – même si certains l’espèrent – mais de rendre visible le désaccord.
Et ils sont nombreux à avoir répondu présent : syndicats du spectacle, collectifs antifascistes, associations féministes et LGBT+, élus locaux de gauche… La liste est longue.
La bataille culturelle, le vrai enjeu
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est la dimension symbolique. Choisir les Folies Bergère n’est pas anodin. La salle appartient aujourd’hui à un grand groupe médiatique connu pour ses positions conservatrices. Tenir son gala là, c’est poser un drapeau. C’est dire : nous aussi, nous avons notre place dans l’espace culturel parisien.
Et c’est précisément ce que refusent les opposants. Pour eux, laisser passer cette soirée sans broncher, c’est accepter que l’extrême droite s’installe durablement dans le paysage philanthropique, culturel, et demain politique.
« Ils jouent une vraie bataille culturelle. Et nous aussi. »
– Une responsable syndicale du spectacle
Le parallèle avec d’autres mécènes conservateurs à l’international est souvent fait. On pense à certains milliardaires américains qui financent think tanks, universités privées et médias alignés. La méthode est rodée : on commence par la charité, on finit par l’influence.
Et les associations dans tout ça ?
C’est peut-être la question la plus délicate. Certaines associations sélectionnées n’ont probablement aucune idée des arrière-pensées politiques. Elles voient juste une belle scène, un public généreux, et l’espoir de financer leurs actions. Difficile de leur reprocher de saisir l’opportunité.
Mais d’autres, plus idéologiquement marquées, posent problème. Quand on retrouve parmi les lauréats passés des structures ouvertement hostiles aux droits LGBT+ ou promotrices d’un modèle familial ultra-traditionaliste, le doute n’est plus permis.
Une soirée sous haute tension : et maintenant ?
À l’heure où j’écris ces lignes, on ne sait pas encore si la soirée aura lieu comme prévu. Les organisateurs restent confiants, parlent de « petite minorité bruyante » et assurent que tout est sous contrôle. Côté contestation, on espère au minimum perturber fortement l’événement, au maximum le faire basculer en virttuel ou l’annuler.
Ce qui est sûr, c’est que cette Nuit du Bien Commun version 2025 entrera dans les annales. Pas forcément pour le montant des dons récoltés, mais pour ce qu’elle révèle de la France d’aujourd’hui : un pays où même la générosité est devenue un champ de bataille idéologique.
Alors, simple gala caritatif ou machine de guerre soft ? Chacun se fera son opinion. Mais une chose est certaine : jeudi soir, aux Folies Bergère, il ne fera pas bon être indifférent.
(Article mis à jour après la soirée si l’événement a lieu ou non – à suivre)
