Vous êtes-vous déjà demandé combien de CO2 dégageait votre passion pour la voile ? Moi oui, surtout quand je regarde les images magnifiques du départ de la Route du Rhum à Saint-Malo, avec des dizaines de milliers de personnes qui débarquent en voiture ou en avion pour vivre l’événement. C’est magique, c’est épique… mais c’est aussi une bombe carbone. Et cette fois, l’organisateur a décidé que ça suffisait.
Imaginez : diviser par deux l’empreinte carbone globale d’une des plus grandes courses au large d’ici 2034. Pas juste quelques gestes symboliques, non. Un vrai plan de bataille qui touche absolument tout : bateaux, logistique, spectateurs. Et ça commence dès l’édition 2026. Franchement, quand j’ai découvert l’ampleur du projet, je me suis dit que le monde du sport outdoor était peut-être en train de vivre sa plus grande révolution depuis l’invention du foil.
Quand la voile décide de montrer l’exemple
Il y a quelques années encore, personne ne se posait vraiment la question. Une transat, c’était avant tout des skippers héroïques, des bateaux volants, des records à battre. L’écologie ? On en parlait vaguement, on mettait un sticker « sauvons les océans » sur la coque et basta. Sauf que les chiffres sont tombés, et ils font mal.
Prenez la dernière édition : plus de 50 000 tonnes de CO2 rejetées dans l’atmosphère. Oui, vous avez bien lu. Cinquante mille tonnes. À titre de comparaison, c’est l’équivalent des émissions annuelles de plusieurs milliers de Français moyens. Et le plus dingue ? Les bateaux eux-mêmes ne représentent qu’une petite partie du problème.
« Les déplacements des visiteurs et des participants, c’est entre 50 et 80 % des émissions totales selon les événements », explique le responsable développement durable de l’organisation.
Autrement dit, le vrai ennemi, ce n’est pas le moteur du bateau de l’assistance. C’est vous, c’est moi, c’est le gars qui vient en avion low-cost depuis Lisbonne ou en SUV depuis Rennes pour voir le départ. C’est cruel à entendre, mais c’est la réalité.
Le grand retour… à la voile
Alors ils ont pris une décision radicale pour 2026 : fini le retour des bateaux par cargo. Terminé les porte-conteneurs qui traversent l’Atlantique avec trois IMOCA sur le pont parce qu’ils prennent trop de place et que, du coup, le navire tourne à moitié vide. Désormais, les skippers devront soit ramener leur bateau à la voile, soit enchaîner directement sur une autre course.
Je vous vois venir : « Mais c’est complètement fou ! » Oui et non. D’abord, beaucoup de teams le faisaient déjà dans les années 90-2000. Ensuite, c’est une contrainte qui pousse à l’innovation. Certains parlent déjà de convoyages en flotte réduite, d’escales techniques optimisées, voire de partenariats entre teams pour mutualiser les équipages. L’idée n’est pas de rendre la vie impossible aux concurrents, mais de les obliger à réfléchir autrement.
- Rapatriement à la voile (la solution la plus propre)
- Enchaînement avec la Transat Jacques Vabre retour ou d’autres courses
- Convoyages groupés pour diviser les émissions par bateau
- Études en cours sur des escales « recharge » aux Açores ou au Cap Vert
Et franchement, ça redonne un côté aventure à la voile de compétition qu’on avait un peu perdu avec les cargos et les billets d’avion.
Et les spectateurs dans tout ça ?
Maintenant, le vrai défi. Comment faire venir 400 000 personnes à Saint-Malo sans exploser le bilan carbone ? Parce que soyons honnêtes : interdire les voitures ou les avions, c’est politiquement et humainement inenvisageable.
L’organisation mise donc sur plusieurs leviers simultanés :
- Partenariat renforcé avec la SNCF et les TER bretons (objectifs : +50 % de spectateurs en train)
- Navettes maritimes depuis les ports voisins
- Parkings relais très éloignés avec bus électriques
- Incitation forte au covoiturage via une application dédiée
- Charte carbone pour les exposants et partenaires (compensation obligatoire)
Ils vont même jusqu’à réfléchir à délocaliser une partie du village départ pour limiter la concentration sur Saint-Malo intra-muros. L’idée ? Répartir les flux sur plusieurs sites en Ille-et-Vilaine et dans les Côtes-d’Armor. Audacieux, mais cohérent.
Les bateaux eux-mêmes dans la boucle
Évidemment, on ne peut pas demander aux spectateurs de faire des efforts si les compétiteurs continuent à faire n’importe quoi. Résultat : de nouvelles règles techniques arrivent doucement mais sûrement.
Par exemple, l’utilisation de carburants alternatifs (hydrogène végétal, biocarburants de deuxième génération) pour les moteurs d’assistance devient fortement encouragée. Certains teams testent déjà des hydrogénérateurs plus performants, des panneaux solaires souples dernière génération, voire des ailes rigides inspirées des cargos à voile modernes.
Et puis il y a tout le cycle de vie du bateau : matériaux biosourcés, résines moins polluantes, recyclage des coques en fin de vie. On est encore loin du bateau 100 % vert, mais chaque édition rapproche un peu plus de cet idéal.
« On ne veut pas d’écologie punitive. On veut montrer qu’on peut organiser des événements extraordinaires tout en réduisant drastiquement notre impact. »
Un membre de l’équipe organisatrice
Un modèle pour tous les grands événements sportifs ?
Ce qui se passe avec la Route du Rhum ne reste pas cantonné à la voile. Marathons, triathlons, trails : tous les sports de masse sont confrontés au même problème. Et beaucoup regardent avec intérêt ce qui se passe en Bretagne.
Parce que si une course aussi populaire, aussi décentralisée et aussi complexe à organiser arrive à diviser ses émissions par deux, alors plus personne n’aura d’excuse. Les Jeux Olympiques de Paris avaient déjà montré la voie avec leur ambition carbone, mais là on parle d’un événement récurrent, tous les quatre ans, avec une communauté ultra-passionnée et parfois réfractaire au changement.
Et c’est peut-être ça le plus beau : prouver que la transition écologique peut se faire sans tuer la passion. Voire en la ravivant.
Et vous, prêt à changer vos habitudes ?
Parce qu’au final, la réussite ou l’échec de ce projet ne dépendra pas seulement de l’organisation. Elle dépendra aussi de nous. Est-ce qu’on acceptera de prendre le train plutôt que la voiture ? De partir plus tôt, de covoiturer, de compenser nos émissions ?
Personnellement, je suis prêt à faire l’effort. Parce que voir un départ de Route du Rhum sous un ciel breton sans traînées d’avion, avec des milliers de personnes arrivées en train ou à vélo, ça aurait une autre saveur. Une saveur d’avenir.
Et qui sait : peut-être que dans dix ans, on regardera les éditions d’avant 2026 comme on regarde aujourd’hui les vidéos en noir et blanc des premières transats. Avec nostalgie… mais sans regrets.
La Route du Rhum 2026 ne sera peut-être pas encore parfaite. Mais elle aura le mérite d’ouvrir la voie. Et dans un monde où chaque tonne de CO2 compte, c’est déjà énorme.
