Il y a des moments où une simple annonce fait l’effet d’un coup de tonnerre dans un milieu qui se croyait à l’abri. Quand on a appris que l’édition 2026 du plus grand festival de bande dessinée européen n’aurait tout simplement pas lieu, beaucoup ont d’abord cru à une blague. Et puis, très vite, les souvenirs sont remontés : le viol, le licenciement, le silence pesant. Et cette femme, au cœur de la tempête, qui ose enfin parler sans masque.
Je me souviens encore de l’ambiance électrique du festival il y a deux ans. Les allées bondées, les auteurs qui dédicacent jusqu’à l’épuisement, l’odeur du papier neuf… Et quelque part, dans l’ombre des soirées trop arrosées, une violence inouïe qui allait tout faire basculer.
Une annulation qui n’est une surprise pour personne
Quand l’organisateur a officialisé l’annulation il y a quelques jours, les réseaux sociaux ont pris feu. Mais pour celles et ceux qui suivaient l’affaire de près, c’était l’issue logique d’une crise qui couvait depuis des mois. Trop de choses avaient été révélées. Trop de silences étaient devenus assourdants.
Et puis il y a eu cette voix. Celle d’une femme de 32 ans qui a travaillé des années dans l’ombre pour faire briller cet événement. Une voix qui, pendant longtemps, n’a pu s’exprimer qu’à travers un pseudonyme. Jusqu’à ce qu’elle décide qu’assez, c’était assez.
Ce qui s’est passé en janvier 2024
Tout a basculé lors de l’édition 2024. En marge du festival, lors d’une soirée professionnelle, une responsable communication a été victime d’un viol commis par un prestataire. Un acte d’une violence extrême, dans un contexte où l’alcool coulait à flots et où les limites semblaient s’effacer pour certains.
Elle a porté plainte. Logique, diriez-vous. Ce qui l’est moins, c’est ce qui s’est passé ensuite.
Moins de deux mois après avoir révélé les faits, elle recevait sa lettre de licenciement. Motif officiel ? Des “comportements professionnels inappropriés”. On croit rêver.
« À partir du moment où j’ai dit ce qui s’était passé, plus personne ne m’a répondu. Ni appel, ni message. Rien. J’étais seule face à tout ça. »
Cette phrase, prononcée récemment à la radio, résume à elle seule l’isolement total dans lequel elle s’est retrouvée. Pas un collègue pour prendre de ses nouvelles. Pas un supérieur pour la soutenir. Juste un licenciement expéditif, comme on balaie une poussière gênante.
Un management toxique mis à nu
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est à quel point elle dépasse le cas personnel. Ce que cette femme décrit, c’est un système. Un mode de fonctionnement où l’image prime sur l’humain, où l’on protège les apparences à tout prix.
- Des soirées où les frontières entre professionnel et privé s’effacent dangereusement
- Une culture du silence face aux comportements déplacés
- Une hiérarchie qui ferme les yeux tant que l’événement tourne
- Des salariés jetables dès qu’ils deviennent “gênants”
Et le plus glaçant ? La défense de l’ancien directeur, qui avait osé parler de “problématiques d’alcool” et de “comportements déplacés” pour justifier le licenciement. Comme si la victime devenait soudain coupable d’avoir… trop bu ? C’est une rhétorique qu’on croyait révolue. Apparemment pas partout.
J’ai personnellement été sidéré par cette inversion des responsabilités. C’est exactement le genre de mécanisme qui permet à ce type de violences de perdurer dans certains milieux.
Pourquoi elle a décidé de montrer son visage
Pendant des mois, elle s’est exprimée sous pseudo. Par peur. Par honte – une honte qui n’aurait jamais dû être la sienne. Et puis, quand la polémique autour de l’édition 2026 a enflé, quelque chose a changé.
« Ce n’est pas à moi d’avoir honte de ce qui s’est passé. »
Cette phrase-là, elle l’a dite les yeux dans les yeux, face caméra. Un acte de courage immense. Montrer son visage, c’était reprendre le pouvoir sur son histoire. C’était dire : je ne suis pas le problème.
Et c’est peut-être ça, le vrai tournant de cette affaire.
L’annulation 2026 : soulagement ou simple répit ?
Quand elle a appris l’annulation, elle a eu cette phrase : « Je suis soulagée ». Pas triomphante, non. Soulagée. Comme quand on pose enfin un poids trop lourd.
Pour elle, cette annulation n’est pas une victoire personnelle. C’est la preuve qu’on ne peut plus tout se permettre. Que même les institutions les plus établies peuvent vaciller quand elles refusent de regarder leurs dysfonctionnements en face.
Mais elle va plus loin. Beaucoup plus loin.
« Peut-être que c’est le moment de faire table rase. Pour qu’un nouveau festival puisse naître, avec une nouvelle gestion, un nouveau fonctionnement. »
– Élise Bouché-Tran
Ce qu’elle souhaite, ce n’est pas la mort du festival. Bien au contraire. Elle rêve d’un événement qui remettrait enfin les créateurs au centre. Un festival où les auteurs ne seraient plus des faire-valoir, où les salariés ne seraient plus des variables d’ajustement.
Et maintenant ? Vers un renouveau possible ?
L’organisateur historique a beau rappeler qu’il détient toujours les droits sur l’édition 2027, l’incertitude est totale. Et quelque part, c’est peut-être une chance.
Car cette crise a révélé quelque chose de plus grand : le besoin urgent de repenser la manière dont on organise les grands événements culturels. Comment concilier fête populaire, exigence artistique et sécurité des personnes ? Comment éviter que la course aux sponsors et à la fréquentation ne se fasse au détriment du respect humain le plus élémentaire ?
Des festivals indépendants commencent déjà à se positionner. Des collectifs d’auteurs réfléchissent à des alternatives. Des villes concurrentes tendent la main. Bref, quelque chose bouge.
Et si cette annulation était finalement le début de quelque chose de mieux ?
Ce que cette affaire nous dit de notre société
Au-delà du cas particulier, il y a une leçon universelle. Dans combien d’entreprises, dans combien de secteurs, des victimes se taisent encore par peur de perdre leur emploi ? Combien de “petites phrases” minimisent encore des agressions graves ?
Le monde de la culture, qu’on aime à penser progressiste et bienveillant, n’est pas épargné. Peut-être même moins que d’autres, parfois, tant l’aura créative peut servir de paravent à des comportements inacceptables.
Cette femme, en parlant, a peut-être ouvert une brèche. Une brèche par laquelle pourraient enfin passer plus de lumière et de justice.
Un jour, dit-elle, elle aimerait revenir à Angoulême. Pas pour travailler. Juste pour le plaisir. Flâner entre les stands, découvrir de nouveaux albums, retrouver la magie de la BD.
Pour que ce jour arrive, il faudra que beaucoup de choses changent. Mais pour la première fois depuis longtemps, on a l’impression que c’est possible.
Parce qu’une femme a refusé de porter seule le poids de la honte. Et que parfois, c’est ainsi que naissent les vrais bouleversements.
