Vous est-il déjà arrivé de vous réveiller un matin et de réaliser que votre vie vient de basculer sans crier gare ? Un simple mot laissé sur la table, deux enfants qui dorment encore dans le salon, et plus personne. C’est exactement ce qui arrive à Jeanne dans Les Enfants vont bien, le nouveau film qui secoue la rentrée cinéma et qui, franchement, m’a collé une claque dont je ne suis pas encore remis.
À l’origine de ce uppercut émotionnel, un jeune homme de 26 ans seulement : Nathan Ambrosioni. Oui, vous avez bien lu. 26 ans et déjà cinq longs-métrages au compteur. Quand certains terminent à peine leurs études, lui signe un film d’une maturité dingue qui a raflé le Valois de diamant au dernier festival d’Angoulême. Respect.
Un cinéaste prodige qui n’a plus rien à prouver
Revenons deux secondes en arrière, parce que l’histoire de ce réalisateur mérite qu’on s’y arrête. Nathan Ambrosioni tourne son premier long à… 16 ans. Un film d’horreur, Hostile, suivi l’année d’après par un thriller psychologique. Deux films qui ne sortiront jamais vraiment en salles, mais qui lui permettent de se faire les dents. Vient ensuite Les Drapeaux de papier (2018) puis Toni, en famille (2023) avec, déjà, une certaine reconnaissance critique.
Mais avec Les Enfants vont bien, on passe clairement dans une autre dimension. Le garçon n’est plus une curiosité « jeune prodige ». Il est devenu un auteur, point. Et quel auteur.
Une disparition qui n’a rien d’un polar
Oubliez tout de suite l’idée du thriller classique. Ici, pas d’enquête haletante, pas de flics qui courent dans tous les sens. La sœur de Jeanne, Suzanne, disparaît volontairement. Un mot. Un sac vide. Deux enfants. Point. Et c’est précisément cette absence d’action qui rend le film suffocant.
Le réalisateur prend le temps – beaucoup de temps – d’installer le vide. Les plans sont longs, les silences pesants, les regards parlent plus que les dialogues. On sent le poids de chaque seconde où Jeanne réalise qu’elle est désormais seule face à une situation ingérable.
« Je voulais filmer le trou. Pas l’absence de la personne, mais le trou qu’elle laisse dans la vie des autres. »
Nathan Ambrosioni, en interview festival
Cette phrase résume tout. Et croyez-moi, il y arrive avec une précision chirurgicale.
Camille Cottin, au sommet de son art
Difficile de parler du film sans évoquer la performance habitée de Camille Cottin. Habituée aux rôles solaires ou comiques (Connasse, Dix pour cent, etc.), elle livre ici quelque chose de radicalement différent. Une femme brisée mais qui refuse de sombrer, qui se bat avec ses armes de grande sœur devenue mère malgré elle.
Ses silences sont déchirants. Ses éclats de colère, rares mais violents, font mal. On la sent à deux doigts de craquer à chaque seconde et pourtant, elle tient. C’est du très grand art.
À ses côtés, Juliette Armanet (oui, la chanteuse) et Monia Chokri complètent un trio féminin d’une rare justesse. Mention spéciale aux deux jeunes comédiens qui jouent les enfants – leur naturel fait presque peur.
L’administration comme personnage principal
L’un des aspects les plus glaçants du film, c’est sa capacité à montrer l’impuissance totale face au système. Jeanne n’a aucun droit légal sur ses neveux. Elle ne peut ni les scolariser, ni les soigner, ni même déclencher une recherche dans l’intérêt des enfants, puisque la mère n’a pas « officiellement » disparu – elle a choisi de partir.
- Pas de tutelle automatique pour la tante
- Pas d’enquête possible sans signalement de danger grave et imminent
- Des services sociaux débordés qui renvoient la balle
- Une juge qui hausse les épaules : « C’est une disparition volontaire, Madame »
Ces scènes de bureau, ces formulaires, ces attentes interminables dans des couloirs gris… Ambrosioni les filme comme un cauchemar kafkaïen. Et le pire ? Tout est vrai. Le réalisateur a rencontré flics, assistantes sociales et juges pour être au plus près de la réalité administrative française.
Comment (re)construire une famille quand tout s’effondre ?
Au-delà du drame, Les Enfants vont bien pose une question immense : qu’est-ce qu’une famille aujourd’hui ? Est-ce que l’amour suffit ? Est-ce que le sang fait tout ? Jeanne n’a jamais voulu d’enfants. Elle vit seule depuis une rupture douloureuse. Et voilà qu’on lui en colle deux dans les bras, du jour au lendemain.
Le film évite tous les pièges du genre. Pas de séquences larmoyantes forcées, pas de happy end hollywoodien. Juste la vie, brute, avec ses moments de grâce inattendus et ses rechutes brutales.
J’ai particulièrement aimé les scènes où Jeanne tente, maladroitement, d’être une figure parentale. Le premier repas où elle brûle les pâtes. La première histoire du soir où elle bégaie. Ces moments où l’on sent qu’un lien se tisse malgré tout, presque malgré elle.
Pourquoi ce film arrive au bon moment
Dans une période où l’on parle beaucoup de charge mentale, de parentalité, de familles recomposées ou monoparentales, Les Enfants vont bien tombe à pic. Il ne donne pas de leçons, ne juge personne – ni la sœur qui disparaît, ni Jeanne qui galère, ni les enfants qui oscillent entre colère et résignation.
Il montre juste. Et parfois, montrer suffit amplement.
Personnellement, j’ai trouvé que le film résonnait particulièrement avec toutes ces histoires qu’on entend autour de nous : des parents qui craquent, des fratries qui se retrouvent à assumer les enfants des autres, des administrations qui tournent à vide. C’est notre société, là, en pleine lumière.
Une mise en scène sobre et redoutablement efficace
Techniquement, le film est irréprochable. La photographie de Romain Carcanade joue sur des tons froids, des lumières naturelles, des cadres souvent vides pour accentuer le sentiment d’abandon. La musique est quasi inexistante – juste quelques notes de piano qui surgissent quand on ne les attend plus.
Ambrosioni filme les visages en très gros plans, comme pour nous forcer à regarder la douleur en face. Et ça fonctionne. Terriblement.
Faut-il aller voir Les Enfants vont bien ?
Sans hésiter. Oui, c’est un film dur. Oui, on en sort sonné. Mais c’est aussi un film nécessaire, profondément humain et magnifiquement interprété. Un de ces rares longs-métrages qui vous accompagnent longtemps après la séance.
Si vous aimez le cinéma qui prend son temps, qui creuse les silences, qui préfère la vérité à la facilité, alors foncez. Et préparez les mouchoirs – même si, comme moi, vous pensiez être blindé.
Les Enfants vont bien, en salles depuis le 3 décembre. Durée : 1h51. Un film qui, paradoxalement, fait un bien fou en faisant mal.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Avez-vous déjà vu le film ? N’hésitez pas à partager vos impressions en commentaire, je suis curieux de savoir si je suis le seul à avoir été retourné comme une crêpe…
