Fratrie ASE : Une Maison à Rueil pour Ne Plus Séparer les Enfants

Quand on parle de protection de l’enfance, on pense souvent aux images choc : hôtels sordides, fugues, maltraitance. Mais il y a un drame plus silencieux, presque invisible, qui ronge des milliers de gamins chaque année en France : la séparation des frères et sœurs.

Vous savez, ce moment où, déjà arraché à papa et maman, on vous retire aussi le seul repère qui vous reste : votre grande sœur qui vous protégeait, votre petit frère avec qui vous partagiez tout. C’est une double peine. Et pourtant, jusqu’à récemment, c’était la norme.

Heureusement, les choses bougent. Et pas qu’un peu.

Une maison rien que pour les fratries

Le 27 novembre dernier, sous un soleil d’hiver plutôt clément, une petite cérémonie a eu lieu à Rueil-Malmaison. Rien de clinquant, mais un symbole fort : la pose de la première pierre d’une maison d’enfants à caractère social (MECS) un peu spéciale. Ici, on n’accueille pas n’importe quels enfants placés. On n’accueille que des fratries.

Vingt-cinq places, cinq unités de vie de cinq chambres chacune. L’idée ? Que des frères et sœurs puissent continuer à dormir sous le même toit, à se disputer pour la télécommande, à se faire des câlins le soir, à grandir ensemble même quand la vie a décidé autrement.

Franchement, quand on y pense deux secondes, on se dit : « Mais pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps ? »

« Vivre et grandir avec son frère ou sa sœur, partager des moments ensemble, s’épauler, maintenir des liens tissés dès le plus jeune âge : ces actions, qui nous paraissent anodines, sont fondamentales pour l’épanouissement et le développement des enfants. »

Georges Siffredi, président du département des Hauts-de-Seine

Et il a raison. Les études le prouvent depuis des années : séparer des fratries placées, c’est augmenter les risques de troubles psychologiques, de décrochage scolaire, de difficultés d’insertion à l’âge adulte. C’est comme si on retirait la dernière planche de salut à des enfants déjà en perdition.

Un projet à 9 millions d’euros qui n’a pas de prix

Niveau budget, le département ne fait pas les choses à moitié : 9 millions d’euros pour la construction. Oui, c’est énorme. Mais quand on sait qu’un placement en hôtel (pratique désormais interdite) pouvait coûter jusqu’à 300 € par nuit et par enfant, on se dit que l’investissement est vite rentabilisé… sans parler de l’aspect humain.

La maison ouvrira ses portes en 2027. D’ici là, les architectes des cabinets Banquet et Combas peaufinent un bâtiment pensé comme une vraie maison : espaces communs chaleureux, chambres personnalisables, jardin, salle de jeux, tout y est.

Et surtout : 35 professionnels dédiés. Pas juste des surveillants. Des éducateurs spécialisés, une psychologue, des maîtresses de maison, des accompagnateurs à la scolarité… Une équipe complète pour que ces enfants ne soient plus jamais seuls face à leurs galères.

Parce que jusqu’à présent, le placement fraternel restait l’exception. La plupart des structures n’ont pas la place, ou pas l’organisation, pour accueillir quatre ou cinq enfants d’une même famille. Résultat ? On dispatch. L’aîné ici, les jumeaux là-bas, le bébé ailleurs. Et on se dit que « c’est pas grave, ils se reverront le week-end ».

Sauf que si. C’est grave.

J’ai rencontré il y a quelques années une jeune femme qui avait été placée à 12 ans avec ses deux petits frères. Ils ont été séparés. Elle m’a dit : « J’ai passé mon adolescence à me demander s’ils allaient bien. Je n’ai jamais réussi à rattraper ces années perdues. » Ça vous prend aux tripes.

Cette maison à Rueil, c’est la réponse concrète à ces histoires. Et ce n’est pas un coup d’épée dans l’eau : c’est la deuxième structure de ce type dans le département après celle ouverte à Meudon en 2022 par les Apprentis d’Auteuil.

Ce qui m’a marqué dans ce projet, c’est qu’on ne se contente pas de loger les enfants ensemble. On leur offre un vrai projet de vie.

• Soutien scolaire renforcé (parce que oui, quand on est placé, on décroche souvent)
• Suivi psychologique régulier
• Accès au sport, à la culture, aux loisirs (cinéma, musique, sorties…)
• Préparation à l’insertion professionnelle dès 16 ans
• Ateliers de citoyenneté et d’autonomie

Bref, on ne les « gare » pas. On les accompagne vraiment vers l’âge adulte.

L’association Hovia, qui gérera la structure, a déjà fait ses preuves ailleurs. Ils savent de quoi ils parlent.

Un département qui veut rattraper son retard

Il faut le dire : il y a trois ans, la situation de l’aide sociale à l’enfance dans les Hauts-de-Seine était loin d’être rose. Placements à l’hôtel, manque de places, turn-over infernal des éducateurs… Une période chaotique.

Mais depuis 2022, le département a mis le paquet :

1. Explosion du budget dédié
2. Objectif de +600 places d’ici 2026 (515 déjà ouvertes à ce jour)
3. Revalorisation des salaires des professionnels
4. Formation continue obligatoire
5. Interdiction définitive des hôtels

Rueil n’est qu’une pièce du puzzle. D’autres projets suivent : un institut médico-éducatif à Villeneuve-la-Garenne, la Maison de l’avenir à Nanterre… On sent une vraie volonté politique de changer les choses durablement.

Et demain ?

Évidemment, 25 places, ce n’est pas assez. Il y a encore des centaines de fratries séparées rien que dans ce département. Mais c’est un début. Un modèle reproductible.

L’espoir, c’est que d’autres collectivités s’en inspirent. Parce que si un département riche comme les Hauts-de-Seine y arrive, pourquoi pas les autres ?

Et surtout, l’espoir, c’est que dans quelques années, quand on parlera de placement, on ne parlera plus jamais de séparation des frères et sœurs comme d’une fatalité.

Parce qu’un enfant protégé, ce n’est pas un enfant qu’on arrache à sa famille pour le couper aussi de ceux qui l’aiment le plus. C’est un enfant qu’on protège… en gardant ce qui reste de sa famille intact.

Cette maison à Rueil, c’est peut-être juste 25 enfants qui auront la chance de grandir ensemble.

Mais c’est surtout la preuve qu’on peut faire autrement.

Et ça, ça n’a pas de prix.