Vous est-il déjà arrivé de croiser quelqu’un qui surjoue tellement son identité qu’il en devient caricatural ? Moi oui, et c’est exactement ce qui m’a fait éclater de rire en découvrant le pitch de la nouvelle bombe comique qui débarque ce mercredi dans les salles. Un type qui veut être plus normand que les Normands eux-mêmes, au point de vouloir bâtir un parc d’attractions dédié à Guillaume le Conquérant. Et quand on lui rit au nez… il part complètement en vrille. Bienvenue dans l’univers déjanté de Gérald le conquérant.
Quand le régionalisme devient une arme de destruction massive
Imaginez la scène : un mec métis, cheveux blonds (oui, oui, ça existe et c’est génial), né et élevé en Normandie, qui se sent obligé de prouver à tout le monde qu’il est un « vrai » Normand. Pas juste un Normand, non : le Normand ultime. Celui qui va ressusciter la fierté régionale en construisant un parc à thème géant avec batailles de Hastings reconstituées, cidre à volonté et vikings en plastique. Sauf que personne n’y croit. Pire, une équipe de télé vient filmer le « documentaire » sur ce projet complètement fou… et là, tout bascule.
Ce qui commence comme une comédie absurde glisse doucement (ou plutôt brutalement) vers le gore et le trash. Et franchement ? C’est jubilatoire. On rit, on grimace, on se dit « mais il est allé trop loin là », et pourtant on reste scotché jusqu’au bout.
Fabrice Éboué, le roi du malaise jubilatoire
On ne présente plus le bonhomme. Après avoir dézingué l’esclavage dans Case départ, la dictature africaine dans Le Crocodile du Botswanga, les religions dans Coexister et même les végans dans Barbaque, il s’attaque cette fois à un sujet qu’on croyait intouchable : le régionalisme et l’identité territoriale poussée à son paroxysme.
« C’est inspiré d’histoires vraies, de mecs qui veulent être plus bretons que les Bretons, plus corses que les Corses… Moi j’ai grandi avec un père camerounais dans un petit village normand. Pour lui, intégrer la communauté, ça n’a pas toujours été simple. »
Cette confidence, lâchée avec le sourire en coin qui le caractérise, donne tout son sel au film. Parce que derrière les gags gores et les situations complètement barrées, il y a une vraie réflexion sur l’appartenance. Comment on existe quand on ne rentre pas dans la case attendue ? Comment on se forge une identité quand la société vous renvoie sans cesse à vos différences ?
Moi je trouve ça fascinant : Éboué prend un sujet hyper sensible et le transforme en grand huit comique. On rit jaune, parfois très jaune, mais on rit quand même. Et c’est là toute sa force.
Un parc d’attractions identitaire : le cauchemar devenu réalité
Le cœur du film, c’est ce projet délirant de « Normandie Land ». Attractions phares imaginées par Gérald :
- Une grande roue en forme de casque viking
- Un grand huit nommé « La Conquête de l’Angleterre »
- Un restaurant où on ne sert que des tripes à la mode de Caen… en boucle
- Des animateurs obligés de parler en vieux français toute la journée
Évidemment, personne n’y croit. Le maire trouve ça ringard, les habitants rigolent dans son dos, et la chaîne de télé qui vient filmer pense tourner un reportage sur « les doux dingues de nos régions ». Sauf que Gérald, lui, y croit dur comme fer. Et quand il comprend qu’on se fout de lui… il sort la hache (littéralement).
Le film bascule alors dans un mélange improbable entre Very Bad Trip et Massacre à la tronçonneuse version calvados. Et c’est là que ça devient génialement gênant.
Pourquoi ce film tombe pile au bon moment
On va pas se mentir : ces dernières années, les débats sur l’identité (nationale, régionale, culturelle) ont pris une place folle dans le paysage médiatique. Entre les discours sur la « préférence locale », les polémiques sur les traditions et les crispations autour de l’immigration, le sujet est brûlant.
Et là, paf. Arrive un film qui prend tout ça et qui en fait une comédie ultra violente et ultra drôle. Sans jamais donner de leçon. Juste en montrant l’absurdité de l’extrémisme, quel qu’il soit. C’est du génie pur.
Personnellement, j’ai trouvé que le film allait plus loin que ses précédents. Dans Barbaque, on riait des vegans extrémistes. Là, on rit d’un régionalisme extrême… mais on sent aussi la douleur derrière. Celle de ne pas être accepté tel qu’on est. Et ça, ça touche tout le monde.
Les scènes qui vont vous marquer (attention spoilers légers)
Sans tout dévoiler, voilà quelques moments qui m’ont fait hurler de rire (et parfois cacher les yeux) :
- La réunion avec les investisseurs où Gérald présente son projet en costume de Guillaume le Conquérant… avec PowerPoint à l’ancienne
- La scène du cidre. Je n’en dis pas plus. Vous allez comprendre.
- L’interview télé où le journaliste essaye de rester pro alors que tout part en live
- Le final dans le parc inachevé. Un grand moment de cinéma français.
Et mention spéciale à la bande originale qui mélange chants normands traditionnels et beats électro complètement barrés. Ça donne une ambiance totalement unique.
Alors, faut-il aller voir Gérald le conquérant ?
Si vous avez aimé Barbaque, La Tour Montparnasse infernale ou les premiers films de Quentin Dupieux, foncez. Si vous êtes sensible ou que vous détestez quand on rit de tout, passez votre chemin (mais vous passerez à côté de quelque chose).
Pour ma part, j’ai rarement autant ri au cinéma cette année. C’est trash, c’est méchant, c’est parfois limite, mais c’est surtout incroyablement intelligent dans sa bêtise apparente. Fabrice Éboué signe là son film le plus abouti, le plus personnel aussi.
Et quelque part, en sortant de la salle, on se dit que finalement, on est tous un peu Gérald. On a tous, à un moment, voulu prouver aux autres qu’on appartenait à un groupe, une région, une culture. Et parfois… on en fait des tonnes.
Alors oui, allez voir Gérald le conquérant. Riiez fort. Grimacez un peu. Et repartez en vous posant les bonnes questions. Parce que c’est ça, le vrai pouvoir de la comédie : faire réfléchir en faisant hurler de rire.
Sortie le 3 décembre. Et quelque chose me dit que ce film va faire parler de lui longtemps. Très longtemps.
