Vous savez ce moment où l’on se dit que Noël, c’est sacré, intouchable, même dans le plus petit village de France ? Eh bien cette année, dans une commune de l’Oise, la tradition a vacillé. Pas à cause du Covid, pas à cause d’une tempête de neige, non. À cause des élections municipales à venir. Oui, vous avez bien lu.
Imaginez : la crèche vivante qui rassemble chaque année enfants, familles, habitants autour de l’église… annulée. La messe de Noël dans le village… reportée ailleurs. Le motif officiel ? Éviter toute « instrumentalisation » politique. L’organisateur historique de l’événement s’avérant être candidat en 2026. Et là, tout le monde s’émeut. J’avoue que quand j’ai découvert l’histoire, je me suis demandé jusqu’où la prudence pouvait aller.
Quand la politique locale s’invite à la crèche
C’est dans un village de quelques centaines d’âmes que tout se joue. Chaque année, depuis des lustres, la paroisse organise une grande célébration avec crèche vivante. Les gamins du caté jouent Marie, Joseph, les bergers. Les parents apportent les animaux. Le sapin brille. C’est le genre de moment où même les moins pratiquants poussent la porte de l’église. Un vrai lien social, presque plus culturel que strictement religieux.
Cette année, le curé propose une date : le 24 décembre à 20 h 30. Classique, diriez-vous. Sauf que l’organisateur laïc, celui qui monte tout depuis toujours, répond qu’il n’est pas disponible, ni son équipe. Trop compliqué avec les familles réunies, les répétitions, tout ça. On propose alors le 25 matin. Refus encore. Et là, patatras : le prêtre apprend que cet organisateur sera candidat aux prochaines municipales.
La décision tombe : on annule tout dans le village. Pas de crèche, pas de messe spécifique. Les fidèles sont invités à se rendre dans les communes voisines. Choquant pour certains, responsable pour d’autres.
La position officielle du diocèse : la neutralité avant tout
L’évêque du diocèse sort du silence sur les réseaux sociaux. Et il est clair :
« L’Église désire garder sa liberté. Elle ne veut pas prendre parti pour quelque personne ou liste que ce soit. Nous ne souhaitons pas qu’une célébration proche d’une période électorale, organisée par un candidat, puisse courir le risque d’être instrumentalisée. »
En gros : on préfère sacrifier une tradition locale plutôt que de laisser planer le moindre soupçon de soutien implicite. Dur, mais cohérent avec la ligne de beaucoup de diocèses ces dernières années. On se souvient des débats sur les crèches dans les mairies, des recours en justice, de la jurisprudence du Conseil d’État. L’Église catholique, brûlée par certaines affaires passées, marche sur des œufs dès qu’il s’agit de politique.
Et franchement, on peut comprendre. Imaginez la photo : le candidat entouré d’enfants déguisés en anges, juste à côté du curé, trois mois avant le scrutin. Même si l’intention est pure, l’image parle d’elle-même. En 2025, avec les réseaux sociaux, ça fait le tour du département en dix minutes.
L’organisateur laïc : « Je respecte, mais je regrette »
De son côté, l’homme au cœur de la polémique joue l’apaisement. Contacté, il explique calmement qu’il a toujours accepté la décision du prêtre. Qu’il n’a jamais voulu forcer la main. Mais il ajoute, avec une pointe de déception dans la voix :
« Même sans messe, on aurait pu installer la crèche et le sapin. Ce sont des symboles qui appartiennent à tout le monde. »
Et là, on touche à quelque chose de profond. Parce que Noël, en France rurale, c’est souvent plus qu’une fête religieuse. C’est un patrimoine. Un moment où le village se retrouve. Annuler ça parce qu’un des bénévoles brigue la mairie, ça laisse un goût amer à beaucoup d’habitants.
Laïcité, neutralité, prudence : où est la frontière ?
Cette affaire pose une question qu’on évite souvent : jusqu’où l’Église doit-elle se méfier de la politique locale ? Oui, la loi de 1905 est claire : séparation de l’Église et de l’État. Mais dans les faits, dans nos campagnes, curés et maires travaillent main dans la main depuis toujours. Le presbytère prête une salle à la municipalité, la commune entretient l’église. C’est du donnant-donnant discret.
Alors quand un bénévole engagé devient candidat, doit-on tout geler ? Certains y voient une forme de sur-réaction. D’autres estiment que c’est précisément le rôle de l’évêque : protéger l’Église de toute récupération.
- En 2014 déjà, certaines mairies RN avaient installé des crèches géantes pour « défendre la tradition ».
- En 2016, le Conseil d’État avait tranché : pas de crèche dans les bâtiments publics si ça ressemble à du prosélytisme.
- Depuis, beaucoup de diocèses demandent aux paroisses de faire profil bas dès qu’un élu ou candidat est trop visible dans une célébration.
On marche sur la tête ? Peut-être. Mais c’est la réalité d’une France où la laïcité est devenue un sujet ultrasensible.
Et les habitants dans tout ça ?
Sur les réseaux, ça chauffe. Les uns accusent l’Église de se coucher devant la laïcité. Les autres applaudissent la sagesse de l’évêque. Un habitant commente : « On dirait que Noël dérange maintenant. » Une autre répond : « Non, c’est la politique qui pourrit tout, même la crèche. »
Le plus triste, c’est que les enfants, eux, ne comprendront pas. Ils ne verront pas les anges, les moutons, le petit Jésus joué par le bébé du voisin. Ils iront à la messe dans la ville d’à côté, dans une église plus grande, plus anonyme. La magie du village en moins.
Un précédent qui pourrait faire école
Ce qui se passe dans ce petit village de l’Oise n’est pas isolé. D’autres paroisses, dans d’autres régions, commencent à poser les mêmes questions. Doit-on vérifier la carte d’identité politique de chaque bénévole avant une célébration ? Faut-il interdire aux élus sortants de lire la première lecture à la messe de minuit ? On exagère à peine.
Certains prêtres, en privé, avouent leur malaise. Ils ne veulent pas devenir des commissaires politiques de la foi. Mais ils savent aussi que la moindre photo mal interprétée peut déclencher une tempête médiatique.
Et si on revenait à l’essentiel ?
Au fond, cette histoire est presque touchante. Elle montre que dans certains coins de France, Noël reste un événement qui rassemble encore. Qu’une crèche vivante peut encore faire vibrer un village entier. Et qu’on a peur de la perdre, même pour de bonnes raisons.
L’évêque a tranché. La décision est respectable. Mais elle laisse un vide. Celui d’une tradition qui, peut-être, valait le risque. Celui d’une Église qui choisit la prudence plutôt que la chaleur humaine. Après tout, Jésus n’est-il pas né dans une étable, au milieu des puissants et des humbles, sans vérifier leurs bulletins de vote ?
Cette année, dans ce village de l’Oise, il y aura quand même Noël. Ailleurs. Moins intime. Moins vivant. Et on se demandera longtemps si la neutralité valait ce prix-là.
Parce qu’au final, ce n’est pas qu’une histoire de crèche annulée. C’est l’histoire d’une France qui a peur de ses propres traditions. Et ça, ça fait réfléchir.
