Vous est-il déjà arrivé de vous demander jusqu’où on peut aller pour sauver sa peau ? Quand la peur prend le dessus, quand on sent que la seconde d’après pourrait être la dernière, qu’est-ce qui passe dans la tête d’un gamin de 19 ans ?
Cette question, elle hante les couloirs du palais de justice depuis plus d’un an maintenant, depuis ce soir de septembre 2024 où tout a basculé près de la gare de Juvisy-sur-Orge, en Essonne.
Un coup de couteau qui change deux vies à jamais
Il est un peu plus de 21 heures ce 4 septembre 2024. Les quais du RER sont encore noirs de monde, les lycéens rentrent, les travailleurs traînent la patte. Dans cette foule anonyme, deux groupes se croisent. D’un côté, des jeunes d’Athis-Mons. De l’autre, ceux de Draveil. Deux quartiers qui se détestent depuis des années pour des histoires de regards, de territoires, de fierté mal placée.
Les insultes fusent. Les poitrines se bombent. Et puis, très vite, ça dégénère. Sheidi, 20 ans, connu dans son quartier, se retrouve isolé face à Kylian, 19 ans, surnommé « Lerki » par les siens. En quelques secondes, Kylian sort un couteau. Un seul coup, précis, en plein cœur. Sheidi s’écroule. Il mourra avant l’arrivée des secours.
Kylian, lui, prend la fuite. Il sera interpellé le lendemain. Depuis, il est en détention provisoire. Et répète inlassablement la même phrase :
« Si ce n’était pas lui, c’était moi. »
La question qui obsède tout le monde : Sheidi avait-il vraiment des ciseaux ?
C’est LE point central de l’enquête. Et franchement, c’est là que tout se joue.
Du côté de la défense, on affirme que Sheidi avançait vers Kylian avec une paire de ciseaux grande ouverte, prêt à frapper. Plusieurs témoins du camp d’Athis-Mons vont dans ce sens. L’un d’eux aurait même vu l’arme blanche scintiller sous les néons de la gare.
Mais voilà : aucun ciseau n’a été retrouvé sur place. Ni dans les poubelles environnantes, ni dans les buissons, ni dans le sac de Sheidi. Les caméras de vidéosurveillance ? Trop loin ou trop floues pour trancher définitivement.
La famille de la victime, elle, crie à la version arrangée. Pour eux, Sheidi n’était pas armé. Il aurait juste voulu « tenir tête », comme tant d’autres soirs. Un défi stupide de jeunesse qui a mal tourné.
- Version de Kylian → Sheidi avançait avec des ciseaux, menace imminente
- Version de la partie civile → Sheidi n’avait rien dans les mains, simple altercation verbale devenue mortelle
- Preuves matérielles → aucun ciseau retrouvé malgré les recherches
- Vidéosurveillance → images exploitables mais pas décisives
Autant dire que la vérité, pour l’instant, se cache quelque part entre ces deux récits.
Kylian, le « bon gars » qui a basculé
Quand on écoute les gens qui le connaissent, Kylian n’a pas le profil du tueur froid. Bac pro en poche, il cherchait une formation, voulait bosser dans la logistique ou la mécanique. Un gamin « poli », « respectueux », qui aidait sa mère à porter les courses.
Mais il traînait aussi avec la bande d’Athis-Mons. Et dans ces milieux-là, la réputation se gagne à la dure. Un regard de trop, un « wesh » mal placé, et c’est toute la cité qui peut se déplacer. Ce soir-là, il n’était pas venu pour tuer. Il avait simplement son couteau sur lui. « Comme beaucoup », disent certains jeunes du quartier.
Devant la chambre de l’instruction, en visioconférence, il est apparu calme, presque éteint. Tee-shirt blanc, cheveux courts, il a regardé la cour droit dans les yeux :
« Je regrette vraiment ce que j’ai fait. Je pense tous les jours à la maman de Sheidi. J’aimerais juste pouvoir m’éloigner loin de l’Essonne et ne plus jamais revenir dans tout ça. »
Des mots qui sonnent sincères. Mais qui ne suffisent pas à effacer le geste.
Légitime défense : les conditions très strictes du droit français
En France, on ne peut pas tuer quelqu’un et dire ensuite « j’avais peur ». Il faut remplir trois conditions cumulatives pour que la légitime défense soit reconnue (article 122-5 du Code pénal) :
- L’atteinte doit être actuelle ou imminente (pas une menace future)
- La riposte doit être nécessaire (pas d’autre moyen de fuir ou de se protéger)
- La réponse doit être proportionnée à la menace (couteau contre ciseaux, c’est discutable)
Dans ce dossier, c’est surtout le troisième point qui coince. Même si Sheidi avait vraiment des ciseaux, est-ce qu’un coup de couteau en plein cœur était vraiment proportionné ? Beaucoup de juristes en doutent.
D’autant que Kylian n’était pas seul. Il était avec plusieurs amis. Pouvait-il vraiment se sentir en danger de mort au point de porter un coup fatal ? C’est tout l’enjeu des prochains mois de procédure.
Ces rixes qui pourrissent la vie des quartiers
Ce drame n’est pas isolé. L’Essonne, comme d’autres départements d’Île-de-France, est gangrénée par ces guerres de territoires absurdes. Draveil contre Athis-Mons, Juvisy contre Viry-Châtillon, Grigny contre Corbeil… Les noms changent, le scénario reste le plus souvent identique.
En 2024, on a déjà compté plusieurs morts et des dizaines de blessés graves pour des motifs qui font froid dans le dos : un vol de bonnet, une insulte sur Snapchat, une fille qui parle aux « ennemis »…
Les éducateurs de rue le répètent : ces gamins ne se battent plus à mains nues. Le couteau est devenu l’accessoire banal. « Avant, on se mettait sur la tronche et c’était fini. Aujourd’hui, on sort l’arme directe », confiait récemment un ancien de quartier.
Et le pire, c’est que tout le monde connaît tout le monde. Sheidi et Kylian se croisaient depuis l’enfance dans les tournois de foot inter-quartiers. Ils avaient même des amis communs. Un drame entre « presque frères » devenu fratricide.
La mère de Sheidi, cette douleur qu’on oublie trop souvent
Dans ce genre d’affaires, on parle beaucoup de l’accusé. On dissèque sa version, ses regrets, son avenir. Mais on parle peu de ceux qui restent.
La mère de Sheidi, elle, vient à chaque audience. Elle écoute, silencieuse, les débats sur les ciseaux qui existent ou pas. Elle regarde en visioconférence le garçon qui a tué son fils parler de ses regrets. Et elle pleure. Toujours au même endroit, au dernier rang.
Un jour, elle a juste dit aux journalistes : « Mon fils est mort pour rien. Juste parce que des gamins veulent jouer aux durs. »
Cette phrase, elle résume tout.
Et maintenant ?
Kylian reste en détention. La cour d’appel a refusé sa remise en liberté début décembre 2025. L’enquête se poursuit, les expertises psychiatriques et psychologiques sont en cours. Le procès, lui, n’aura probablement pas lieu avant fin 2026, voire 2027.
D’ici là, deux familles continueront de vivre avec un vide immense. L’une pleure un fils parti trop tôt. L’autre pleure un fils enfermé, peut-être pour très longtemps.
Et nous, on continuera de se poser la même question : comment en est-on arrivé là ? Comment une simple altercation entre gamins peut-elle finir par un cercueil et une cellule ?
Parce qu’au fond, qu’il y ait eu ou non des ciseaux dans la main, Sheidi n’aurait jamais dû mourir ce soir-là. Et Kylian n’aurait jamais dû devenir un meurtrier.
C’est peut-être ça, le plus tragique dans cette histoire. Deux vies brisées pour une guerre qui n’a aucun sens.
(Article mis à jour le 2 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
