Vous est-il déjà arrivé de vous demander jusqu’où peut pousser la souffrance quand on a seulement quinze ou seize ans ? Quand les journées à l’école ressemblent à un champ de bataille invisible et que personne ne semble vraiment voir ce qui se passe ?
Fin novembre, dans une petite ville du sud de l’Espagne, deux adolescentes ont décidé qu’elles n’en pouvaient plus. Elles se sont donné la mort ensemble, dans un parc, la nuit. Un geste qui a glacé toute une communauté et qui, une fois de plus, met cruellement en lumière l’ampleur du harcèlement scolaire.
Un drame qui aurait pu être évité ?
Les faits sont simples et terribles à la fois. Deux jeunes filles, scolarisées dans le même établissement, ont été retrouvées sans vie dans le Parc de la Concorde à Jaén. Les premiers éléments d’enquête écartent toute intervention extérieure. Elles ont choisi de partir. Ensemble.
Ce qui rend cette histoire encore plus déchirante, c’est qu’on sait aujourd’hui que les deux adolescentes avaient en commun d’avoir subi du harcèlement. L’une d’elles traînait depuis longtemps le poids d’insultes et d’humiliations vécues dans un précédent collège. Des blessures qui, visiblement, ne s’étaient jamais refermées.
Le harcèlement scolaire, une violence qui ne laisse pas de traces visibles
On parle souvent de « simples moqueries » ou de « conflits entre ados ». Mais quand on gratte un peu, on se rend compte que c’est bien plus grave que ça. Le harcèlement scolaire, c’est une violence répétée, insidieuse, qui ronge de l’intérieur.
Je me souviens encore d’une conversation avec une psychologue spécialisée il y a quelques années. Elle me disait : « Les bleus sur l’âme, on ne les voit pas. Mais ils font parfois plus mal que ceux sur le corps. » Cette phrase me revient sans cesse quand j’entends parler de ce genre de drame.
- Insultes quotidiennes qui finissent par devenir « normales »
- Exclusion systématique du groupe
- Photos ou vidéos humiliantes diffusées en boucle
- Rumeurs qui pourrissent la réputation
- Menaces qui empêchent de dormir
Et quand tout cela dure des mois, parfois des années, il arrive un moment où la victime n’a plus la force de lutter. Elle se sent seule au monde. Même si, paradoxiquement, elle est entourée de centaines de camarades tous les jours.
Pourquoi elles ont choisi de partir ensemble
C’est peut-être l’aspect le plus bouleversant de cette histoire. Elles ne se connaissaient pas depuis dix ans, elles n’étaient pas forcément « meilleures amies » au sens classique. Mais elles partageaient la même douleur. Et dans leur détresse, elles se sont trouvées.
Ce lien tragique, presque fraternel, né dans la souffrance, on le retrouve parfois dans ce type d’affaires. Comme si, face à l’indifférence du monde adulte, deux âmes abîmées décidaient de faire front ensemble, jusqu’au bout.
« Elle ne s’en était jamais remise. Même en changeant d’établissement, les mots continuaient de tourner dans sa tête. »
Un proche d’une des adolescentes
Cette phrase, rapportée par quelqu’un qui les connaissait bien, donne la mesure du traumatisme. Changer d’école ne suffit pas toujours. Les blessures psychologiques voyagent avec nous.
Les signes qu’on n’a pas voulu voir
Avec le recul, il y a souvent des signaux. Des absences répétées. Un désintérêt soudain pour tout ce qui faisait plaisir avant. Des notes qui chutent brutalement. Des crises de larmes inexpliquées. Un repli sur soi de plus en plus marqué.
Mais combien d’adultes – parents, professeurs, éducateurs – savent vraiment décoder ces alertes ? Combien prennent le temps de creuser quand une adolescente dit « ça va » avec les yeux rougis ?
J’ai discuté avec des mamans qui ont vécu ça. L’une d’elles m’a confié : « Ma fille rentrait tous les soirs en pleurant. Je croyais que c’était juste l’adolescence. Je me suis trompée. Et je vivrai toute ma vie avec ça. »
La responsabilité collective
Évidemment, l’enquête en cours va chercher à comprendre ce qui s’est passé dans cet établissement. Y avait-il des plaintes déposées ? Des signalements ignorés ? Des professeurs qui fermaient les yeux ?
Mais au-delà du cas particulier, c’est tout un système qu’il faut interroger. Parce que le harcèlement scolaire ne concerne pas que les harceleurs et leurs victimes. Il concerne tout le monde.
- Les camarades qui voient mais ne disent rien (par peur de devenir la prochaine cible)
- Les professeurs parfois débordés ou mal formés
- Les parents des harceleurs qui minimisent (« ce ne sont que des enfantillages »)
- Les réseaux sociaux qui amplifient la violence à l’infini
On pointe souvent du doigt les établissements scolaires. C’est facile. Mais la vérité, c’est qu’on est tous un peu responsables quand ce genre de drame arrive.
Et maintenant ?
La ville de Jaén a décrété trois jours de deuil. Des hommages ont été rendus. Des fleurs déposées dans le parc. Des minutes de silence. Des larmes, beaucoup de larmes.
Mais après ? Est-ce que ce drame va changer quelque chose durablement ? Ou va-t-il rejoindre la longue liste des affaires qui choquent sur le moment puis tombent dans l’oubli ?
Personnellement, j’ai du mal à rester optimiste. Parce que ce n’est pas la première fois. Et malheureusement, ce ne sera pas la dernière. Tant qu’on continuera à traiter le harcèlement scolaire comme un « rite de passage » ou une « fatalité de l’adolescence », d’autres jeunes se sentiront acculés.
Ce qu’on pourrait faire, concrètement
Il existe pourtant des pistes. Des choses simples, parfois, mais qui demandent de la volonté.
- Former vraiment tous les adultes qui gravitent autour des enfants (professeurs, animateurs, entraîneurs…)
- Mettre en place des cellules d’écoute anonymes et efficaces dans chaque établissement
- Apprendre aux enfants, dès le plus jeune âge, l’empathie et le respect de la différence
- Punir sévèrement les actes de harcèlement (oui, même quand c’est « juste sur Snapchat »)
- Parler, parler, parler. De santé mentale. De souffrance. Sans tabou.
Dans certains pays, ça commence à bouger. Des programmes de prévention ambitieux, des lois plus sévères, des campagnes qui marquent les esprits. Chez nous, on a encore du retard. Beaucoup de retard.
Un dernier mot
Si vous êtes parent, parlez à vos enfants. Vraiment. Pas juste « ça va l’école ? » en passant. Prenez le temps. Regardez-les dans les yeux.
Si vous êtes ado et que vous lisez ces lignes : sachez qu’on peut s’en sortir. Même quand tout semble noir. Même quand on a l’impression que personne ne comprend. Il y a toujours quelqu’un, quelque part, prêt à écouter sans juger.
Et si vous avez été victime, ou si vous l’êtes encore : vous n’êtes pas seuls. Votre douleur est légitime. Votre vie a de la valeur, même si certains essaient de vous faire croire le contraire.
Sharit et Rosmed n’auraient jamais dû en arriver là. Personne ne devrait.
Cette histoire m’a retourné. Comme à chaque fois. Parce qu’on sait tous, au fond, que ça pourrait être l’enfant d’un voisin, d’un ami, le nôtre. Et ça fait peur. Terriblement peur.
Alors oui, aujourd’hui, j’ai voulu écrire longuement sur ce drame. Pas pour faire du sensationnel. Mais parce que tant qu’on n’aura pas compris que le harcèlement scolaire tue – vraiment – on continuera à compter les victimes.
Reposez en paix, les filles.
