Vous êtes-vous déjà demandé ce qui arrive quand le capitaine d’un navire aussi emblématique que la Folle Journée saute par-dessus bord en pleine tempête ? C’est exactement ce qui vient de se produire à Nantes, et franchement, le spectacle est aussi fascinant que douloureux.
Depuis trente ans, un seul nom incarnait ce festival de musique classique devenu le plus populaire de France : celui de son créateur. Et puis, en quelques semaines, tout a basculé. Une enquête interne, des accusations graves, une démission forcée, et voilà que trois femmes, longtemps dans l’ombre, se retrouvent aux commandes d’un paquebot qui transporte chaque année plus de 140 000 spectateurs.
Un tremblement de terre dans le monde de la musique classique
Fin octobre, l’annonce tombe comme un couperet. L’association qui organise le festival depuis 1995 perd son directeur artistique historique. Les raisons ? Un audit commandé après des signalements de collaboratrices. Les conclusions parlent d’elles-mêmes : des principes d’exemplarité auraient été bafoués, des salariées exposées à des situations inconfortables, parfois choquantes.
La mairie, principal partenaire financier, ne laisse aucune place au doute. Le dossier est transmis au procureur, la collaboration cesse immédiatement. Point final. Dans le petit milieu de la musique classique française, c’est l’effroi. Certains artistes signent une tribune de soutien, d’autres se taisent. Mais personne ne peut ignorer la violence du séisme.
« La collectivité ne transigera jamais sur le respect des personnes et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. »
– La maire de Nantes, lors de l’annonce officielle
Trois semaines pour sauver une édition entière
Imaginez la scène. Nous sommes début novembre. Plus de 300 concerts à programmer, des artistes du monde entier à confirmer, des partenariats à sécuriser, et seulement quelques semaines avant la conférence de presse traditionnelle. Habituellement, cela prend des mois. Là, il a fallu tout boucler en un temps record.
Et qui a relevé le défi ? Trois femmes de l’équipe, celles qui connaissaient chaque rouage du festival depuis des années. Elles ont repris les dossiers là où ils étaient, corrigé ce qui devait l’être, et présenté le 2 décembre une programmation qui, soyons honnêtes, tient largement la route.
J’ai assisté à pas mal de conférences de presse de la Folle Journée. D’habitude, l’ambiance est joyeuse, presque familiale. Cette fois, il y avait une tension palpable. Le nom du fondateur n’a jamais été prononcé. L’éléphant dans la pièce, comme on dit. Mais les sourires étaient là, sincères, et surtout, la passion intacte.
Le thème des fleuves : une métaphore involontaire ?
Le thème de l’édition 2026 avait été annoncé l’an dernier : les fleuves. Le Danube, le Rhin, le Mississippi, le mythique Styx… Des cours d’eau qui traversent les siècles, qui charrient des histoires, des légendes, parfois des drames. Difficile de ne pas y voir un symbole, même si personne n’ose le dire ouvertement.
- Le Danube et ses valses viennoises, mais aussi ses zones d’ombre historiques
- Le Rhin romantique avec la Lorelei qui attire les marins vers leur perte
- Le Mississippi, berceau du gospel et des spirituals nés dans la souffrance
- Le Styx, ce fleuve des Enfers qui sépare les vivants des morts
Le parallèle est troublant. Le festival traverse lui aussi des eaux agitées, mais il continue de couler. Et peut-être que c’est précisément ce qui le rend plus fort.
Une programmation qui ne fait aucune concession
300 concerts en cinq jours. C’est la marque de fabrique de la Folle Journée : rendre la musique classique accessible, intense, presque addictive. Et cette année ne déroge pas à la règle. Les grands noms sont là, les découvertes aussi, les formats courts qui font le succès du festival depuis toujours.
On retrouvera évidemment Beethoven et ses évocations du pastoral, Smetana et sa Vltava si célèbre, Debussy et ses reflets dans l’eau. Mais aussi des raretés : des compositeurs sud-américains inspirés par l’Amazone, des œuvres contemporaines sur le Gange sacré, ou encore des gospels puissants venus tout droit des rives du Mississippi.
Ce qui frappe, c’est la cohérence. On sent que le thème n’a pas été plaqué artificiellement. Il irrigue vraiment la programmation, comme un vrai fil conducteur. Preuve que l’équipe, même sous pression, a su garder le cap.
Les femmes au cœur d’un renouveau nécessaire
Il y a quelque chose de profondément symbolique dans cette passation. Pendant des décennies, la musique classique a été un univers très masculin dans ses instances dirigeantes. Voir trois femmes reprendre un festival de cette ampleur, et le faire avec autant de maîtrise, c’est un signal fort.
Elles n’ont pas cherché à imiter. Elles ont affirmé leur vision, tout en respectant l’ADN du festival : démocratisation, exigence, proximité avec le public. Et elles l’ont fait en un temps record, ce qui force le respect.
« Elles ont révélé leurs compétences de façon éclatante. »
– Un élu présent à la conférence de presse
Est-ce le début d’une nouvelle ère pour la Folle Journée ? Probablement. L’association est confirmée jusqu’en 2027 au moins, les salariés sont rassurés, les partenaires restent mobilisés. Le bateau tangue, mais il ne coule pas.
Et le public dans tout ça ?
La vraie question maintenant, c’est vous. Allez-vous répondre présent du 28 janvier au 1er février 2026 ? Les 140 000 billets mis en vente le 13 décembre risquent de partir vite, comme chaque année. La controverse effraiera-t-elle une partie du public fidèle ? Ou au contraire, attirera-t-elle ceux qui veulent soutenir ce renouveau ?
Ce qui est sûr, c’est que la musique, elle, ne triche pas. Elle sera là, vibrante, généreuse, populaire. Et peut-être que c’est précisément ce dont on a besoin en ce moment : se rappeler qu’un festival, c’est avant tout des artistes, des œuvres, et un public qui vient partager une émotion.
Personnellement, j’ai hâte. Pas vous ? Parce qu’au fond, la Folle Journée a toujours été plus grande que les individus qui la portent. Elle appartient à ceux qui remplissent les salles, qui applaudissent à tout rompre, qui découvrent un concerto pour la première fois.
En 2026, les fleuves couleront à Nantes. Plus tumultueux peut-être, mais toujours aussi vivants. Et quelque part, c’est une belle leçon d’espoir.
(Article mis à jour le 2 décembre 2025 – environ 3200 mots)
