Vous êtes en voiture sur la N104, vous doublez un poids lourd, et soudain, à la place du paysage habituel, vous tombez sur une colline qui n’a rien à faire là. Pas une petite butte, non : une vraie montagne de terre, haute comme un immeuble de plusieurs étages. C’est exactement ce que les habitants de Corbeil-Essonnes ont découvert un matin d’été 2020. On l’a aussitôt baptisée la « Dune du Pilat » locale, avec une pointe d’ironie amère.
Five ans plus tard, la justice vient de trancher. Et elle n’a pas fait dans la dentelle.
Une peine qui dépasse même les réquisitions
Mardi après-midi, au tribunal correctionnel d’Évry-Courcouronnes, le principal mis en cause a pris cher : 20 mois de prison ferme, 10 000 euros d’amende personnelle et, surtout, un mandat d’arrêt délivré sur-le-champ. L’homme n’était même pas là pour entendre le verdict – il aurait prétendu se faire soigner en Allemagne et n’avait pas donné pouvoir à son avocat. Autant dire que la présidente n’a pas apprécié le procédé.
Sa société, déjà en liquidation judiciaire, écope quant à elle de 150 000 euros d’amende. Trois autres entreprises ayant profité du « service » pour se débarrasser de leurs terres excédentaires se voient infliger entre 10 000 et 25 000 euros chacune. Et cerise sur le gâteau (ou plutôt le tas de gravats) : elles devront ensemble indemniser les concessionnaires automobiles voisins à hauteur de 100 000 euros pour le préjudice commercial.
Autant vous dire que dans le milieu du BTP francilien, on a dû avaler de travers en apprenant la nouvelle.
Mais comment une simple histoire de terre a-t-elle pu finir ainsi ?
Revenons en juin 2020. La zone d’activités des Coquibus, coincée entre la Francilienne et quelques entrepôts, est alors une friche en partie squattée. Un entrepreneur voit l’aubaine : plutôt que de payer les coûteuses décharges agréées, pourquoi ne pas proposer aux chantiers du coin un « stockage temporaire » à prix cassé ?
Le bouche-à-oreille fonctionne à merveille. Les bennes arrivent jour et nuit. En quelques semaines, c’est 142 tonnes – oui, vous avez bien lu – qui s’amoncellent sur plusieurs mètres de haut. Les riverains hallucinent. Les photos font le tour des réseaux. Les concessionnaires Nissan et Volkswagen voisins voient leurs parkings devenir invisibles depuis les étages supérieurs de la « dune ». L’odeur de terre humide, les poussières, le bruit… l’enfer.
« On aurait dit un décor de film post-apocalyptique. Sauf que c’était bien réel et que ça durait. »
– Un commerçant du secteur, encore marqué cinq ans après
Un coût de dépollution astronomique
Ce que beaucoup ignorent, c’est le prix pour faire disparaître ce monstre de terre. Lors du procès, un expert a avancé le chiffre de 19 millions d’euros pour tout remettre en état : évacuation, analyses de sol, remise en conformité… Autant dire que personne ne se bousculait pour payer l’addition.
Et c’est là que l’affaire prend une tournure presque absurde : l’État et les collectivités se retrouvent à devoir gérer les conséquences d’un délit privé, pendant que les responsables tentent, pour certains, de disparaître dans la nature.
Des relaxes qui font grincer des dents
Tout le monde n’a pas été condamné, loin de là. Une gérante de paille a été relaxée – elle n’était manifestement qu’un prête-nom. Plus surprenant : deux agents municipaux de l’époque, dont le directeur technique, sont sortis blanchis. Le tribunal a estimé qu’ils avaient « simplement fait leur travail » et qu’aucune preuve d’extorsion ou de complicité active n’était établie.
Cette partie du verdict laisse un goût bizarre. Parce que, soyons honnêtes, quand une montagne pousse à côté d’une grande artère sans que personne ne réagisse pendant des semaines, on est en droit de se poser des questions sur la vigilance des services concernés.
Les décharges sauvages, fléau silencieux d’Île-de-France
Cette affaire n’est malheureusement pas isolée. L’Île-de-France concentre à elle seule près de 40 % des décharges sauvages nationales, selon les chiffres officiels. Le coût ? Plus d’un milliard d’euros par an pour les collectivités. Et derrière les chiffres, il y a des paysages défigurés, des sols pollués pour des décennies, des risques pour les nappes phréatiques.
- Terres polluées aux hydrocarbures
- Amiante enfoui
- Déchets industriels dangereux
- Métaux lourds lessivés par la pluie
Chaque tas illégal est une bombe à retardement écologique. Et pourtant, les peines restent souvent symboliques… jusqu’à ce genre de dossier qui fait jurisprudence.
Un signal fort envoyé au BTP ?
En allant au-delà des réquisitions, le tribunal a clairement voulu marquer le coup. Message reçu cinq sur cinq dans les entreprises de terrassement : le « petit arrangement » entre amis pour éviter la case décharge agréée, c’est fini. Ou du moins, ça devient très risqué.
Parce que derrière l’aspect folklorique de la « Dune du Pilat » de Corbeil, il y a une réalité économique brutale : évacuer des terres propres coûte entre 25 et 50 euros la tonne en site agréé. Quand on vous propose 5 euros pour « stocker temporairement », la tentation est grande. Sauf que le temporaire dure parfois… éternellement.
Et maintenant ?
La dune, elle, a été progressivement évacuée – à quel coût, mystère. Le terrain reste une cicatrice dans le paysage. Quant au principal condamné, il risque de découvrir les joies de la détention à sa descente d’avion, si jamais il remet un pied en France.
L’histoire pourrait presque prêter à rire si elle n’illustrait pas si parfaitement le laisser-aller environnemental dont on paye tous la note. Une montagne de terre pour rappeler que, parfois, la nature ne pardonne pas les combines à courte vue.
Et vous, vous en pensez quoi ? Une peine juste ou trop sévère ? Les commentaires sont ouverts.
