Vous est-il déjà arrivé de vous demander jusqu’où peut aller la gratitude… ou la rancœur ? Le 26 novembre 2025, en plein cœur de Washington, deux militaires de la Garde nationale ont été pris pour cibles par un homme qu’ils avaient, indirectement, sauvé quatre ans plus tôt. Un Afghan de 29 ans, évacué lors du chaos de Kaboul en 2021. L’un des soldats est mort. L’autre lutte encore pour sa vie. Et l’assaillant, blessé par les tirs de riposte, vient de plaider non coupable depuis son lit d’hôpital. L’histoire est presque trop lourde pour être vraie.
Une attaque qui glace le sang
Ce soir-là, tout semblait pourtant calme dans le secteur. Les deux militaires effectuaient une mission de routine près d’un site sensible – on parle souvent du secteur du Capitole ou d’un bâtiment fédéral, même si les autorités restent floues. Vers 21 heures, un véhicule s’approche. L’homme à bord descend, arme à la main, et ouvre le feu sans un mot. Une quinzaine de coups de feu. Précis. Méthodiques. L’un des soldats s’effondre immédiatement. Le second parvient à riposter et touche l’assaillant à la tête. Fin de la scène.
Le tireur s’appelle Rahmanullah Lakanwal. 29 ans. Ancien interprète ou collaborateur des forces américaines en Afghanistan – les versions diffèrent légèrement. En septembre 2021, il fait partie des dizaines de milliers d’Afghans évacués après la chute de Kaboul. Il obtient le statut de réfugié, puis une carte verte. Direction les États-Unis, avec l’espoir d’une vie nouvelle. Quatre ans plus tard, il est accusé d’assassinat avec préméditation.
Première comparution : le choc des images
Mardi dernier, la première audience a eu lieu. Et là, la scène est presque irréelle. Le suspect apparaît en visioconférence… allongé sur son lit d’hôpital, la tête entourée de bandages, le regard fixe. Il écoute la lecture des charges : meurtre au premier degré, tentative de meurtre, usage d’arme à feu dans un crime violent. Quand on lui demande sa plaidoirie, sa voix est faible mais claire : « Not guilty ». Non coupable.
« Il n’a aucun antécédent judiciaire. C’est quelqu’un de calme, sans histoire », plaide son avocat.
Le procureur, lui, ne lâche rien. Il évoque la gravité extrême des faits et le risque de fuite – même si, vu l’état de santé du suspect, ça prête presque à sourire. Résultat : détention provisoire sans caution. Prochaine étape : le procès, qui s’annonce explosif.
La question qui brûle tout le monde : pourquoi ?
C’est là que ça devient troublant. Aucune revendication. Aucun manifeste retrouvé pour l’instant. Pas de lien direct établi avec un groupe terroriste étranger. Alors quoi ? La ministre de la Sécurité intérieure, Kristi Noem, a lâché une phrase qui a fait l’effet d’une bombe :
« Il est possible qu’il se soit radicalisé sur le sol américain. »
Kristi Noem, ministre de la Sécurité intérieure
Autrement dit : on a peut-être fait entrer quelqu’un qui n’était pas radicalisé… et les États-Unis l’auraient rendu dangereux. C’est une hypothèse qui donne des sueurs froides à tout le monde, des deux côtés de l’échiquier politique.
J’ai suivi pas mal d’affaires de ce genre ces dernières années, et je dois dire que celle-ci a quelque chose de particulièrement dérangeant. Parce qu’elle touche au cœur du pacte moral que les États-Unis avaient passé avec ceux qui les avaient aidés en Afghanistan. « On vous protège si vous nous aidez. » Et voilà qu’un des protégés se retourne contre ses protecteurs. C’est presque shakespearien.
Radicalisation express : un phénomène qui prend de l’ampleur ?
On entend de plus en plus parler de « radicalisation éclair » ces derniers temps. Des individus qui, en quelques mois, passent de la vie ordinaire à l’acte extrême. Internet, les réseaux, les bulles idéologiques… tout ça joue évidemment. Mais dans le cas de Lakanwal, plusieurs éléments intriguent.
- Aucun signalement préalable connu des services de renseignement.
- Aucune trace de fréquentation de mosquées radicales ou de groupes connus.
- Pas (pour l’instant) de voyage suspect ou de contacts à l’étranger.
Alors oui, on peut imaginer qu’il ait consommé du contenu extrême en ligne. Qu’il se soit senti rejeté, humilié, perdu dans un pays qui ne l’a peut-être pas assez intégré. Ou qu’un événement personnel ait fait basculer quelque chose. Mais pour l’instant, on nage en plein brouillard.
Ce qui est sûr, c’est que cette affaire va relancer le débat sur le vetting des réfugiés afghans évacués en 2021. Sur les 80 000 personnes arrivées aux États-Unis dans l’urgence, combien ont été réellement contrôlées en profondeur ? La question n’est pas nouvelle, mais elle revient avec une violence rare.
Les militaires, cibles symboliques
Attaquer des membres de la Garde nationale, ce n’est pas anodin. Ce n’est pas juste « tirer sur des uniformes ». C’est frapper l’État dans ce qu’il a de plus symbolique : ceux qui protègent le territoire intérieur. Un peu comme si on avait voulu envoyer un message. Mais à qui ?
Certains y voient déjà une attaque contre l’Amérique elle-même. D’autres, plus prudents, attendent les preuves. Ce qui est certain, c’est que la mort de ce soldat – un père de famille, d’après les premiers éléments – a provoqué une émotion immense dans le pays. Les drapeaux sont en berne dans plusieurs États. Et les hommages pleuvent.
Et maintenant ?
Le procès risque de durer des mois, voire des années. Entre l’état de santé du suspect, les expertises psychiatriques à venir, les débats sur sa radicalisation éventuelle… on n’est clairement pas au bout. Et pourtant, certaines questions brûlent déjà :
- Va-t-on découvrir un mobile clair ou rester dans le flou ?
- Cette affaire va-t-elle durablement abîmer la politique d’accueil des ex-collaborateurs afghans ?
- Et surtout : combien d’autres « Lakanwal » dorment encore dans l’ombre ?
Je ne vais pas vous mentir : cette histoire me laisse un goût amer. Parce qu’elle oppose deux tragédies. Celle d’un soldat mort en accomplissant son devoir. Et celle d’un homme qui, peut-être, n’a jamais réussi à trouver sa place dans le pays qui l’avait sauvé.
Entre gratitude et ressentiment, la frontière est parfois plus fine qu’on ne le croit.
(Article mis à jour le 2 décembre 2025 – l’enquête est en cours et de nouveaux éléments pourraient apparaître dans les prochains jours)
