Imaginez la scène. Vous filez sur l’autoroute, musique à fond, le régulateur de vitesse calé sur 130. Tout va bien. Et d’un seul coup, sans prévenir, votre voiture décide de s’arrêter. Pas un petit ralentissement poli, non : un freinage d’urgence, comme si un mur invisible venait de surgir devant vous. Votre cœur s’emballe, les pneus hurlent, et dans le rétro, vous voyez les phares de celui qui vous suit se rapprocher à toute vitesse. Bienvenue dans l’univers des freinages fantômes, ce phénomène qui transforme la conduite en roulette russe high-tech.
Je ne vais pas vous mentir : quand j’ai commencé à creuser le sujet, je pensais tomber sur quelques cas isolés, des conducteurs un peu parano. Et puis les témoignages ont défilé. Des centaines. Des milliers peut-être. Des accidents graves, des carambolages en chaîne, des vies bouleversées. Et surtout, une question qui revient en boucle : comment une voiture censée nous protéger peut-elle soudain nous mettre en danger ?
Quand la technologie se retourne contre nous
On nous avait vendu le rêve : des systèmes d’assistance toujours plus intelligents, capables de détecter un danger avant même qu’on le voie. Freinage automatique d’urgence, maintien dans la voie, régulateur adaptatif… Sur le papier, c’est merveilleux. Dans la réalité, il arrive que ces anges gardiens électroniques se transforment en démons.
Le principe est simple, presque trop. Un ensemble de capteurs (radars, caméras, lidars) scrute en permanence l’environnement. Dès qu’un obstacle est détecté – ou cru détecté –, le système prend le contrôle des freins. Sauf que parfois, il voit des fantômes. Un reflet sur la chaussée, une plaque d’égout, un sac plastique qui vole, une ombre un peu trop marquée… Et bim. Freinage brutal à 130 km/h.
Des témoignages qui glacent le sang
Prenez cette conductrice en Île-de-France, un soir d’octobre. Elle roulait sur l’A86, trafic fluide. Sa voiture – une compacte récente, moins de deux ans – a subitement freiné à fond. Elle n’a rien vu venir. Le choc arrière a été violent. Côtes cassées, traumatisme crânien pour le passager arrière. Elle raconte encore aujourd’hui qu’elle revoit les phares dans son rétro comme dans un film d’horreur.
« J’ai cru que j’allais mourir. Ma voiture s’est arrêtée toute seule, comme possédée. Depuis, je ne prends plus l’autoroute. »
Ou cet artisan qui rentrait de chantier sur la nationale. Même scénario. Freinage brutal, camion derrière qui emboutit l’arrière. Résultat : trois véhicules détruits, deux blessés graves. Il a porté plainte. Comme des dizaines d’autres.
Des modèles particulièrement touchés ?
Difficile d’établir une liste exhaustive – les constructeurs ne communiquent pas vraiment là-dessus –, mais certains noms reviennent souvent dans les groupes de victimes sur les réseaux. Des marques françaises, allemandes, japonaises, coréennes… Personne n’est épargné. Ce qui frappe, c’est que ce sont presque toujours des véhicules récents, bourrés d’assistances niveau 2, parfois niveau 3.
- Berlines familiales sorties après 2021
- SUV compacts avec pack sécurité complet
- Quelques électriques aussi, même si le freinage régénératif complique parfois le diagnostic
- Voitures équipées de régulateur adaptatif avec fonction stop & go
Le point commun ? Des systèmes ADAS (Advanced Driver Assistance Systems) de dernière génération, censés être plus réactifs, plus précis. Raté.
Que dit l’enquête officielle ?
En France, c’est le Service de surveillance du marché des véhicules qui a mis le nez dedans. Et ils ne rigolent pas. Des centaines de signalements reçus, des expertises en cours, des boîtiers noirs analysés. Pour l’instant, pas de rappel massif annoncé, mais ça pourrait venir. Plusieurs constructeurs ont déjà été auditionnés. On parle de défauts logiciels, de capteurs mal calibrés, parfois même de composants fournis par le même sous-traitant défaillant.
À l’étranger, c’est pareil. Aux États-Unis, la NHTSA enquête depuis deux ans sur certains modèles. En Allemagne, des associations de consommateurs montent au créneau. Partout, le même constat : on a peut-être poussé l’automatisation un peu trop vite.
Pourquoi maintenant ?
La réponse est à la fois simple et terrifiante. Plus les voitures deviennent autonomes, plus elles prennent de décisions à notre place. Et plus elles décident, plus elles risquent de se tromper. C’est mathématique. On est passé en quelques années de systèmes qui nous alertent à des systèmes qui agissent directement sur les freins, l’accélérateur, la direction. Sans toujours nous laisser le temps de reprendre la main.
Et puis il y a cette course à l’innovation. Chaque marque veut proposer « le freinage d’urgence le plus réactif du marché ». Résultat : des seuils de déclenchement de plus en plus bas, des algorithmes de plus en plus agressifs. Parfois, trop.
Comment savoir si votre voiture est concernée ?
Franchement ? Vous ne le saurez pas avant que ça arrive. Ou presque. Quelques signes avant-coureurs existent :
- Des alertes de collision fantômes qui s’affichent sans raison
- Un freinage intempestif à basse vitesse (en ville, sur un rond-point)
- Le régulateur adaptatif qui ralentit brutalement alors que la voie est libre
Si ça vous arrive, notez tout : date, heure, conditions météo, vitesse, type de route. Prenez des photos du tableau de bord. Et signalez-le. Plus les autorités auront de données, plus vite elles pourront agir.
Que faire en attendant ?
Quelques réflexes peuvent sauver des vies :
- Gardez toujours une main sur le volant, même avec le régulateur
- Maintenez une distance de sécurité plus importante (comptez 3-4 secondes)
- Désactivez le freinage automatique d’urgence si votre voiture le permet (oui, c’est parfois possible dans les menus cachés)
- Évitez de suivre de trop près les véhicules très équipés – ils risquent de vous surprendre
Je sais, c’est rageant. Payer des milliers d’euros pour des systèmes censés nous protéger et devoir les désactiver. Mais en attendant que les constructeurs règlent le problème – vraiment –, c’est peut-être la solution la plus sûre.
Et demain ?
La vraie question, c’est jusqu’où on est prêt à déléguer notre sécurité à des algorithmes. Parce que les freinages fantômes, ce n’est qu’un symptôme. Demain, avec les voitures 100 % autonomes, ces mêmes systèmes prendront le volant complètement. S’ils se trompent aujourd’hui sur un freinage, qu’est-ce qui nous dit qu’ils ne se tromperont pas sur une trajectoire ?
On marche sur une corde raide entre progrès et danger. Et pour l’instant, personne ne semble vraiment savoir où est l’équilibre.
Une chose est sûre : la prochaine fois que je monterai dans une voiture bardée d’assistances, je garderai le pied pas trop loin de l’accélérateur. Au cas où. Et vous ?
