Vous est-il déjà arrivé de scroller frénétiquement après avoir lu un tweet qui vous a mis hors de vous ? Moi oui. Et puis, un jour, on se rend compte que ce qui commence par une punchline peut finir au tribunal. C’est exactement ce qui arrive à l’un des rappeurs les plus influents de France en ce moment même.
Ce mercredi 3 décembre 2025, Élie Yaffa, plus connu sous le nom de Booba, doit comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris. Au menu : des accusations lourdes de cyberharcèlement aggravé et d’injures publiques à caractère discriminatoire. Les plaignants ? Une journaliste reconnue et un universitaire spécialisé dans les dérives du web. Et comme souvent avec le Duc de Boulogne, l’histoire dépasse largement le simple fait divers.
Quand une punchline devient une arme judiciaire
Reprenons depuis le début – ou presque. En janvier 2024, une série de publications sur un réseau social bien connu met le feu aux poudres. Ce qui ressemble au départ à un énième clash de rappeur prend une tournure bien plus sombre quand les mots dépassent largement la simple provocation artistique.
Pour la journaliste, les messages ont déclenché une vague de haine d’une violence rare. Des centaines, peut-être des milliers de commentaires qui dépassent l’insulte pour tomber dans le racisme pur et dur. Son avocate l’a dit clairement : « Elle n’a fait que son travail d’informer ». Et pourtant, elle se retrouve à devoir se constituer partie civile pour que ça s’arrête.
Le harcèlement qu’elle a subi et les injures à raison de son origine ne peuvent rester impunis.
– L’avocate de la journaliste
Le cas de l’essayiste : quand l’histoire familiale resurgit
L’autre volet du dossier est peut-être encore plus glaçant. L’essayiste visé n’est autre que le petit-fils d’un ancien président du Conseil des années 50. Et quand on touche à ce nom-là, on touche à une mémoire collective particulièrement douloureuse.
Des jeux de mots sur le physique, des photomontages douteux, des allusions à peine voilées… Le genre de contenu qui, isolé, pourrait passer pour une blague de mauvais goût. Mais quand ça vient d’un compte suivi par des millions de personnes, l’effet est dévastateur. L’essayiste l’a lui-même souligné : ses publications ont déclenché « un flot spectaculaire de commentaires antisémites ».
Et là, on ne parle plus seulement de clash entre personnalités publiques. On parle d’une mécanique bien rodée : une célébrité lance une pierre dans la mare, et c’est tout un écosystème de haine qui se met en marche.
Booba, déjà dans le viseur de la justice
Ce n’est pas la première fois que le rappeur se retrouve dans cette situation. Déjà mis en examen dans d’autres affaires de harcèlement moral en ligne – contre une figure connue du milieu des influenceurs, puis contre l’ex-compagne d’un autre artiste – il semble pris dans une spirale judiciaire qui n’en finit plus.
- Octobre 2023 : mise en examen pour harcèlement moral aggravé
- Janvier 2024 : nouveaux faits présumés contre la journaliste et l’essayiste
- Octobre 2025 : nouvelle mise en examen dans une autre affaire
- Décembre 2025 : comparution immédiate pour les faits de janvier 2024
On peut se demander : est-ce que la justice traite différemment quand il s’agit d’une personnalité publique suivie par des millions de personnes ? Ou au contraire, est-ce que ces affaires successives montrent justement que personne n’est au-dessus des lois, même pas le « patron des redes sociales » autoproclamé ?
La vraie question : où s’arrête la liberté d’expression ?
Voilà le nœud du problème. Booba a construit sa légende en partie sur sa capacité à dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Ses punchlines font mouche, ses clashs font le buzz, et une partie de son public adore ça. Mais à partir de quand est-ce que la liberté d’expression devient de l’incitation à la haine ?
J’ai suivi l’évolution du rap français depuis les années 2000, et ce que je vois aujourd’hui me laisse perplexe. On est passé du clash artistique – souvent violent, certes, mais cantonné à la musique – à quelque chose de beaucoup plus toxique. Les réseaux sociaux ont donné à tout le monde une tribune. Et quand on a des millions de followers, chaque mot pèse des tonnes.
Le plus inquiétant ? Le phénomène de meute. Un tweet, une story, une phrase sortie de son contexte… et c’est parti pour des jours, parfois des semaines de harcèlement coordonné. Les victimes ne dorment plus, changent leurs habitudes, parfois même leur métier. Et pendant ce temps, l’auteur du message initial peut se contenter de dire « c’était de l’humour » ou « je visais quelqu’un d’autre ».
Les réseaux sociaux, ce Far West moderne
Ce procès arrive à un moment où la question du contrôle des plateformes est plus brûlante que jamais. On parle beaucoup de régulation, de modération, de responsabilité des hébergeurs. Mais concrètement ? On en est toujours au même point : une publication reste en ligne tant qu’elle n’a pas été signalée des milliers de fois.
Et pourtant, les outils existent. Les algorithmes savent très bien quand une conversation dérape. Ils savent repérer les mots-clés, les pics d’activité anormaux, les coordonnées de harcèlement. Alors pourquoi est-ce que ça continue ? Parce que la haine fait du clic. Parce que l’indignation génère de l’engagement. Parce que tant qu’il y aura des audiences à capter, il y aura des contenus toxiques.
Et nous, dans tout ça ?
La question que je me pose – et que vous devriez vous poser aussi – c’est : qu’est-ce qu’on fait quand on voit ça ? Est-ce qu’on like ? Est-ce qu’on retweet ? Est-ce qu’on reste silencieux ? Chaque interaction compte. Chaque silence aussi.
Je ne vais pas vous faire la morale. Moi aussi, j’ai déjà ri à des clashs bien sentis. Moi aussi, j’ai déjà suivi des comptes juste pour le spectacle. Mais il y a une différence entre apprécier l’art de la punchline et cautionner la destruction d’une personne.
Ce procès, ce n’est pas seulement l’histoire d’un rappeur qui serait allé trop loin. C’est notre histoire à tous. Celle d’une société qui a donné les clés de la place publique à des algorithmes et à des ego surdimensionnés. Celle d’un monde où dire « c’est juste internet » est devenu l’excuse ultime pour tout justifier.
Vers un avant et un après ?
Le dossier pourrait être reporté, dit-on dans les couloirs du tribunal. Booba ne devrait pas être présent à l’audience. Mais peu importe la date exacte : ce moment marque quelque chose. Une prise de conscience ? Peut-être. Un précédent judiciaire ? Sûrement.
Ce qui est certain, c’est qu’on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas. Qu’on ne pourra plus prétendre que « c’est juste des mots ». Parce que derrière chaque écran, il y a des êtres humains. Avec leurs failles, leurs histoires, leur dignité.
Et si ce procès était finalement l’occasion de se regarder dans le miroir ? Pas seulement Booba. Pas seulement les réseaux sociaux. Nous tous.
Parce qu’au fond, la vraie question n’est pas de savoir si Booba sera condamné ou relaxé. La vraie question, c’est : est-ce qu’on est prêts à changer ? Ou est-ce qu’on va continuer à regarder le train dérailler en se disant que, de toute façon, c’est pas notre problème ?
La réponse, on l’aura tous ensemble. Ou pas.
