Il y a des matins où l’on se dit que la campagne, c’est quand même le bout du monde. Plus de boulanger, plus d’épicerie, plus rien à moins de dix kilomètres. Et puis un jour, sans crier gare, une petite bâtisse toute neuve apparaît au coin d’une rue, avec une porte qui s’ouvre toute seule et des rayons remplis de pain, de lait et de camembert. C’est exactement ce qui vient d’arriver à trois villages du Calvados.
Franchement, quand on m’a parlé de supérettes sans personne dedans, j’ai d’abord pensé à une blague. Et pourtant, ça existe, ça fonctionne, et surtout, ça change la vie de centaines d’habitants qui avaient presque oublié ce que signifiait « faire ses courses au village ».
Le retour inattendu du commerce de proximité, version 2025
Dans des communes où le dernier commerce avait tiré le rideau il y a parfois trente ans, trois nouvelles enseignes viennent de s’implanter presque en même temps. Le principe ? Un magasin ouvert de 5 heures à 22 heures, sept jours sur sept, sans le moindre employé sur place. On entre avec son téléphone ou une carte, on remplit son panier comme on veut, et on paye à une borne automatique. Simple, rapide, et surtout viable là où aucun modèle classique ne tenait la route.
Ce qui m’a frappé dès le début, c’est à quel point les gens en parlent avec enthousiasme. Pas cet enthousiasme poli qu’on réserve aux gadgets, non. Un vrai soulagement, presque de la gratitude. Comme si on leur rendait quelque chose qu’ils pensaient perdu pour toujours.
Comment ça marche concrètement ?
Vous arrivez devant la porte. Vous scannez un QR code via l’application dédiée ou vous passez votre badge (distribué gratuitement aux habitants). La porte se déverrouille. À l’intérieur, c’est une supérette tout ce qu’il y a de plus classique : frigos, rayons secs, produits frais, fruits et légumes. Environ 700 références, essentiellement des produits de première nécessité, avec une belle place faite aux producteurs locaux.
Petite particularité qui a son importance : pas d’alcool. Choix assumé pour éviter tout problème de sécurité la nuit et simplifier la gestion. D’ailleurs, les caméras et les portiques anti-vol sont discrets mais bien présents. Résultat : en quelques semaines d’ouverture, quasiment zéro incident signalé.
Une fois les courses terminées, direction la caisse autonome. On pose ses articles, on scanne, on paye par carte ou téléphone. Et hop, on ressort. Le tout en moins de temps qu’il n’en faut pour trouver une place de parking en centre-ville un samedi matin.
Pourquoi ce modèle fonctionne là où les autres échouaient
La question que tout le monde se pose : comment rendre un commerce rentable dans un village de 800 habitants ? La réponse est brutale de simplicité : en supprimant le principal poste de dépense, le personnel. Un seul employé peut aujourd’hui gérer trois magasins à distance : réassort, maintenance, surveillance vidéo. Le modèle devient viable là où une épicerie traditionnelle aurait fermé en six mois.
« Si on devait mettre un salarié dans chaque magasin, on ne tiendrait pas trois mois. Là, c’est rentable, donc c’est durable. Et surtout, c’est utile. »
– Une responsable du réseau
Et cette rentabilité n’est pas un gros mot ici. Elle permet justement d’exister là où plus personne ne voulait s’installer. C’est peut-être ça le plus intéressant : la technologie ne remplace pas l’humain par idéologie, elle le rend tout simplement possible dans des zones oubliées.
L’impact sur les personnes âgées : bien plus qu’une simple commodité
Parlons-en, des seniors. Dans ces villages, ils représentent souvent 30 à 40 % de la population. Beaucoup n’ont plus le permis, ou plus envie de prendre la voiture pour cinq minutes de route. Faire 10 km pour un paquet de pâtes et un pot de yaourt, ça use.
Maintenant, certains font leurs courses à pied. Oui, à pied. Une dame de 81 ans m’a raconté qu’elle venait tous les deux jours chercher son pain et son journal. Elle mettait son réveil à 6 h 30 pour être tranquille. Quand elle m’a dit ça, j’ai réalisé à quel point on sous-estime parfois le poids du quotidien quand la mobilité diminue.
- Plus besoin de demander à la voisine de faire les courses
- Plus besoin d’attendre le passage du boulanger trois fois par semaine
- Plus besoin de stocker trois mois de conserves par peur de manquer
- Et surtout, plus besoin de se sentir dépendant
C’est peut-être là que le concept touche le plus juste : il redonne de l’autonomie à ceux qui en perdent peu à peu.
Le lien social inattendu autour d’une caisse automatique
On aurait pu penser qu’en enlevant le commerçant, on supprimait le dernier lieu d’échange du village. Et pourtant, c’est l’inverse qui se produit. Les gens se croisent à des heures où ils ne se voyaient plus jamais. Le matin tôt, le soir tard, le dimanche à 8 heures… Des habitudes changent, et avec elles, les discussions reprennent.
Un maire d’une de ces communes me confiait que depuis l’ouverture, il voyait plus souvent ses administrés en une semaine qu’en un mois auparavant. « Ils viennent, ils papotent deux minutes devant les frigos, ils se donnent des nouvelles. C’est con, mais ça manquait. »
Comme quoi, parfois, il ne faut pas un comptoir et un patron derrière pour créer du lien. Juste un endroit où l’on sait que l’on peut croiser quelqu’un.
Et l’écologie dans tout ça ?
Moins de trajets en voiture, c’est moins de CO2. Quand on habite à la campagne, chaque kilomètre compte. Faire 20 km aller-retour pour un litre de lait, ça laisse des traces. Là, beaucoup redécouvrent le plaisir de marcher jusqu’au magasin. Et quand on voit des gamins venir acheter leurs bonbons à vélo, on se dit que quelque chose bouge, même à petite échelle.
Les limites et les questions qui restent
Évidemment, tout n’est pas parfait. 700 références, ça ne remplace pas un hypermarché. Pas de viande fraîche, pas de rayon traiteur, pas de produits trop spécifiques. Et puis il y a ceux qui n’ont pas de smartphone ou qui n’aiment pas la technologie. Pour eux, des solutions existent : cartes physiques, aide à l’inscription par la mairie, accompagnement des associations.
Il y a aussi la question de l’emploi. Un poste pour trois magasins, c’est peu. Mais dans des zones où il n’y avait déjà plus rien, créer ne serait-ce qu’un emploi polyvalent, c’est déjà une victoire. Et l’employé en question a un métier bien plus varié et moins pénible que celui de caissier toute la journée.
Vers une vague nationale ?
Ce qui se passe dans le Calvados n’est qu’un début. D’autres régions regardent, d’autres réseaux préparent des implantations. On parle déjà de plusieurs dizaines de projets similaires en France pour 2026. L’idée fait son chemin : là où le commerce traditionnel a disparu, la technologie peut peut-être le faire renaître, sous une autre forme.
Et si finalement, le magasin sans vendeur était le seul moyen de garder un magasin tout court dans nos campagnes ? La question mérite d’être posée. Parce qu’entre fermer définitivement et accepter un peu de modernité, beaucoup choisissent la deuxième option. Et ils ont l’air plutôt contents de leur choix.
Quelque part, c’est une belle leçon : la technologie ne tue pas toujours le lien, elle peut aussi le sauver. Quand elle est utilisée à bon escient, dans le bon contexte, pour les bonnes personnes. Dans le Calvados, en tout cas, elle a déjà gagné le cœur de plusieurs villages. Et ça, franchement, ça fait plaisir à voir.
