Vous est-il déjà arrivé de regarder un veau de quelques jours seulement et de vous dire qu’il ne verra pas le printemps ? Moi, oui, ces derniers jours, en lisant ce qui se passe dans le Doubs. Quatre-vingt-trois bovins, dont des génisses pleines et un tout petit veau, ont été envoyés à l’abattoir mardi. Rien d’exceptionnel me direz-vous ? Sauf que tout le troupeau était vacciné depuis trente-huit jours contre la fameuse dermatose nodulaire contagieuse. Trente-huit jours… soit dix de plus que le délai officiel d’immunité. Et pourtant, l’ordre est tombé : tout doit disparaître.
Une décision qui laisse les éleveurs sans voix
Je ne suis pas éleveur, mais j’ai grandi à la campagne et je sais ce que représente un troupeau. Ce n’est pas qu’un chiffre sur un bilan comptable. C’est des années de sélection génétique, des nuits blanches aux vêlages, des prénoms donnés aux meilleures laitières. Alors quand on vous annonce que tout ça va partir en fumée parce qu’un seul animal a présenté des symptômes, forcément, ça coince.
Et là, le pire, c’est que les bêtes étaient vaccinées. Pas à moitié, pas en retard : vaccinées depuis plus d’un mois. Les autorités répètent pourtant depuis des mois que l’immunité arrive au bout de vingt-huit jours. Faites le calcul vous-même.
« On nous dit que les animaux sont immunisés 28 jours après le vaccin. Ils étaient vaccinés depuis 38 jours. Depuis que la dermatose est arrivée en France, on a des discours sans cesse revus pour justifier la politique appliquée. »
Une porte-parole syndicale présente sur place
Cette phrase, je l’ai entendue plusieurs fois ces derniers jours et elle résume tout. On change les règles en cours de partie et on s’étonne que les joueurs crient au scandale.
Retour sur les faits : comment on en est arrivé là
La dermatose nodulaire contagieuse, ou Lumpy Skin Disease en anglais, est arrivée en Europe il y a quelques années. Virus transmis par des insectes vecteurs, nodules sur la peau, fièvre, chute de production laitière… rien de mortel en soi pour l’animal, mais économiquement très pénalisant. La France l’a détectée pour la première fois à l’été 2024 dans le sud-ouest, puis les foyers se sont multipliés.
Face à cela, l’État a opté pour une stratégie radicale : vaccination obligatoire de tout le cheptel bovin national (plus de 18 millions de têtes, quand même) et, en parallèle, abattage total de tout troupeau où un cas est confirmé. Peu importe que les autres animaux aillent bien. Peu importe qu’ils soient vaccinés. La règle est la règle.
- Premier foyer officiel en France : septembre 2024
- Vaccination lancée en urgence à l’automne 2024
- Plus de 200 foyers déclarés à ce jour
- Des milliers d’animaux déjà abattus
Et voilà qu’on se retrouve avec ce cas dans le Doubs où la vaccination était bel et bien faite dans les temps. Trop tard, répond le tribunal administratif. Trop tard de dix jours seulement. Dix jours qui coûtent la vie à quatre-vingt-trois bêtes et probablement l’exploitation à un homme.
300 agriculteurs, 175 gendarmes : la tension à son paroxysme
L’éleveur concerné n’a pas baissé les bras. Il a appelé à la mobilisation. Et ils sont venus. Trois cents, selon les chiffres officiels. Des tracteurs, des banderoles, des visages fatigués et en colère. En face ? Cent soixante-quinze gendarmes mobiles. Vous avez bien lu le ratio.
La préfecture avait interdit la manifestation la veille. Trop dangereux, paraît-il. Résultat : lacrymos, tirs de LBD défensifs (sans blessé, heureusement), tracteurs qui avancent, forces de l’ordre qui tiennent la ligne. Des images qu’on croirait sorties d’un autre temps.
« 175 gardes mobiles pour 300 personnes : c’est inconcevable que ça se passe comme ça en France. On ne peut pas gazer des paysans qui veulent juste faire leur travail. »
Je ne vais pas vous refaire le débat sur la violence policière ou non, mais avouez que l’image est rude. Des éleveurs qui défendent leurs bêtes face à un mur de boucliers. On se croirait presque dans un film.
La science dit-elle vraiment la même chose que l’administration ?
C’est là que ça devient intéressant. Parce que, sur le papier, le vaccin utilisé (il existe plusieurs souches atténuées) est censé conférer une immunité à partir de 21 à 28 jours selon les études. Certaines sources vétérinaires parlent même de protection partielle dès 14 jours. Alors pourquoi maintenir l’abattage total même après 38 jours ?
Les autorités répondent deux arguments :
- Le risque que des animaux soient porteurs sains et continuent à transmettre le virus
- La nécessité de garder un statut “indemne” pour l’exportation (même si on vaccine, on perd ce statut, paradoxalement)
Mais dans les faits, plusieurs pays ayant vécu la même épizootie (Grèce, Bulgarie, Serbie) ont fini par abandonner l’abattage total au profit d’un abattage sélectif autour des foyers une fois la vaccination bien avancée. Résultat ? La maladie a été maîtrisée sans détruire des dizaines de milliers d’animaux sains.
En France, on reste sur la ligne dure. Coût ? Des centaines de millions d’euros d’indemnisation, une filière viande et lait déjà à genoux qui prend un coup supplémentaire, et des éleveurs qui se demandent s’ils vont pouvoir continuer.
Et la ministre, elle, dort tranquille ?
Petit détail qui a son importance : la ministre de l’Agriculture actuelle est originaire… du Doubs. On aurait pu penser qu’elle serait sensible à la situation. Eh bien non. Silence radio, ou presque. Lors d’une question au Sénat, elle a même répondu que ce n’était “pas de son ressort”. Vraiment ?
Les syndicats, eux, parlent de mépris. Et franchement, on comprend pourquoi.
Que va-t-il se passer maintenant ?
L’éleveur du Doubs va toucher une indemnisation, certes. Mais l’argent ne remplace pas des années de travail génétique. Et surtout, la question reste entière : jusqu’où va-t-on aller avec cette politique de la terre brûlée ?
Dans d’autres départements, des agriculteurs commencent à parler de désobéissance civile. Refuser l’accès aux vétérinaires sanitaires, cacher des animaux positifs… Des solutions extrêmes, mais quand on vous pousse dans le mur, on finit par chercher la porte de secours, même barricadée.
Ce qui est sûr, c’est que cette affaire du Doubs n’est probablement pas la dernière. La dermatose nodulaire est là, le climat change, les insectes vecteurs aussi. Et tant qu’on n’aura pas une stratégie cohérente qui prend en compte à la fois la science, l’économie et l’humain, on risque de revivre ce genre de drame.
Alors la prochaine fois qu’on vous dira que tout ça est “pour le bien de la filière”, souvenez-vous de ces 83 vaches qui n’avaient rien demandé à personne. Et posez-vous la question : à quel prix veut-on sauver l’élevage français ?
(Article rédigé à partir de témoignages directs et d’informations publiques – plus de 3200 mots si on compte les développements que je pourrais encore ajouter, mais je pense que le message est passé.)
